
Par Ramla Dahmani Accent*
Quand Sonia vacille, c’est mon univers qui bascule
Il y a des piliers qu’on croit inébranlables.
Des voix qu’on pense inextinguibles.
Des présences qui, même derrière des barreaux, illuminent tout ce qu’elles touchent.
Sonia est de celles-là.
Elle a tenu bon
Quand ils sont venus l’arracher à sa liberté.
Quand ils l’ont traînée, sous les cris et la violence, jusqu’à cette cellule sans âme.
Quand ils ont multiplié les attaques, les humiliations, les injustices.
Elle a tenu bon.
Quand elle a compris que ce combat ne serait pas celui du droit, mais celui de l’arbitraire.
Quand chaque procès s’est transformé en mascarade.
Quand la machine judiciaire s’est mise à tourner inlassablement, non pas pour juger, mais pour broyer.
Elle a tenu bon.
Pour nous.
Pour ne pas nous inquiéter.
Pour nous envoyer des sourires, même derrière des vitres trop épaisses.
Pour nous remonter le moral alors que c’était elle qu’ils avaient enfermée.
Quand la fatigue devient une punition
Aujourd’hui, elle est fatiguée, mais elle tient encore.
Parce que la fatigue ne prévient pas.
Parce que la fièvre s’installe et refuse de partir.
Parce que dans cet endroit, tout est compliqué. Ici, même tomber malade est une punition, une condamnation supplémentaire.
Elle a mal. Elle frissonne.
Elle attend qu’on daigne s’occuper d’elle.
On ne l’ignore pas. Non. Ce serait trop simple.
On la fait attendre.
On la laisse dans cet entre-deux, où l’espoir s’effrite, où l’inconfort devient une torture.
Elle pourrait être soignée.
Elle pourrait aller mieux.
Mais non. Pas tout de suite.
Parce que le pouvoir, ici, se mesure en heures volées, en souffrances prolongées, en humiliations silencieuses.
Une justice de façade
Et pendant ce temps, l’acharnement continue.
Un nouveau rendez-vous avec la justice.
Un de plus.
Une nouvelle convocation. Une nouvelle justification absurde à donner.
Une nouvelle preuve que la justice n’existe plus.
Un énième face-à-face avec l’injustice, où tout est déjà écrit d’avance.
Même si je dois le reconnaître aujourd’hui, la Cour de cassation a pris une “décision historique” qu’on n’a plus vue depuis la déchéance de la justice tunisienne : elle a cassé la décision de la chambre d’accusation et renvoyé l’affaire devant une autre chambre d’accusation pour un nouvel examen. Acceptons avec bonheur d’être leur balle de ping-pong.
Je reconnais et salue l’effort de la chambre 29 de la Cour de cassation, mais
je n’ai jamais aimé les pilules calmantes qui apaisent la douleur sans soigner la maladie.
Je préfère les traitements qui éradiquent le mal à la racine.
Mais tout ça ne change rien.
Ils veulent l’épuiser, elle résiste
Ils veulent user sa patience, son corps, son moral.
Ils savent qu’ils n’arriveront jamais à la soumettre autrement.
Ils espèrent que l’épuisement finira le travail que la prison n’a pas encore réussi à faire.
Mais ils se trompent.
Parce que Sonia ne tombe pas.
Elle plie peut-être sous le poids de l’injustice, mais elle ne cède pas.
Elle souffre, mais elle résiste.
Ils peuvent la priver de tout, la pousser à bout, essayer de lui arracher jusqu’à son dernier éclat de force…
Elle leur échappe encore.
L’injustice en pleine lumière
Je ne peux rien faire pour calmer sa fièvre.
Je ne peux rien faire pour alléger son fardeau.
Je ne peux que constater, encore et encore, à quel point ils sont lâches.
À quel point ils ont besoin de la faire souffrir pour asseoir leur pouvoir.
À quel point ce système entier repose sur l’injustice et la cruauté.
Alors non, je ne vais pas dire que tout ira bien.
Je ne vais pas faire semblant d’y croire.
Je ne vais pas prétendre qu’il y a un espoir immédiat.
Mais une chose est sûre : Ils n’auront jamais ce qu’ils veulent.
Parce que Sonia ne cède pas.
Parce qu’elle leur renvoie leur propre violence en pleine figure, sans même lever la voix.
Parce que leur acharnement prouve une chose : c’est eux qui ont peur.
Nous tiendrons bon
Et nous, dehors ?
Nous, nous tenons bon avec elle.
Nous n’avons pas le droit d’être fatigués, pas le droit de douter, pas le droit de faiblir.
Parce que si elle continue, malgré tout, nous continuerons aussi.
Alors aujourd’hui, je n’ai pas envie de hurler ma haine.
Je n’ai pas envie de pointer du doigt les bourreaux.
Je n’ai pas envie d’écrire sur les monstres qui orchestrent tout ça.
Aujourd’hui, j’écris pour elle.
Pour qu’elle sache que même si elle n’a plus la force de sourire, même si elle n’a plus la force de nous rassurer, même si elle tombe, nous serons là pour la rattraper.
Et tant qu’il nous reste une once de souffle, une once de rage, une once d’espoir, on ne lâchera rien.
Qu’ils le sachent.
Ils ne gagneront pas.
*Ramla Dahmani Accent est la sœur de l’avocate et chroniqueuse Sonia Dahmani détenue pour ses opinions dans les prisons du régime de Kaïs Saïed
- Le titre et les intertitres sont de la rédaction
On en croit pas un mot.

