Même la mort ne nous unit plus
Encore des larmes cette semaine. 27 citoyens des vrais de vrai, sont décédés entre dimanche et aujourd’hui. Paix à leurs âmes. Pendant que nous vaquions à nos occupations ordinaires et routinières du dimanche, un bus touristique fait une chute mortelle de 70 mètres et cause la mort de 27 personnes (selon le bilan actualisé aujourd’hui) et en blesse 16 autres. Pendant que nous continuons à vivre, insouciants, des familles enterraient leurs enfants.
Paix à leurs âmes, on ne le dira jamais assez.
Le pays est plongé dans une tristesse générale. Des manifestations de soutien et des messages de condoléances affluent dans plusieurs villes et de très nombreux citoyens sont attristés par le drame qui vient s’abattre sur de nombreuses familles tunisiennes.
Mais la compassion n’est pas partagée par tous et la mort ne réussit plus à unir un peuple décimé par des divisions de plus en plus marquées. Messages moralisateurs, commentaires haineux et appels à ne pas réciter la Fatiha sur l’âme des victimes. Au-delà des croyances de chacun, dénigrer des victimes d’un accident de la route en leur imputant une part de responsabilité dans leur propre mort, est tout simplement inqualifiable.
« Des parents qui n’auraient pas dû laisser leurs enfants sortir s’amuser et faire, Dieu sait quoi avec Dieu sait qui » ; « Des couples non mariés qui sortent ensemble en excursion et qui ont provoqué la colère divine » ; « Des jeunes qui chantent et qui dansent dans un bus et qui ont distrait le chauffeur et provoqué l’accident »… autant de réactions difficiles à comprendre.
Si nous évoquons aujourd’hui ces réactions honteuses, qui écorchent les yeux et les oreilles et qui ne méritent pourtant aucune ligne, c’est pour nous interroger sur la fracture qui se creuse aujourd’hui de plus en plus dans un pays plus divisé que jamais.
Les drames nationaux n’ont plus le même impact sur les citoyens. Régionalisme et religiosité font que des citoyens ne se sentent pas concernés par les drames de leurs concitoyens et se permettent même de les minimiser et de leur faire la morale. Ils veulent les punir pour ne pas vivre comme eux et pour ne pas être comme eux allant même jusqu’à vouloir dire, pas qu’à demi-mots : « Si tu n’es pas comme moi, tu mérites de mourir et ta vie ne vaut rien ». Cet élan de haine a aussi été observé lors de la mort du jeune Adam Boulifa dans des conditions tragiques et de nombreux citoyens ont préféré la haine à la compassion.
Ce genre de drame aurait pu nous unir, mais il ne l’a pas fait. Il a permis d’exposer aux yeux de tous, cette haine, plus très enfouie, et cette division, de plus en plus visible, qui marque désormais notre société.
Une seule chose, cependant, met tout le monde d’accord. C’est que ce genre d’accident, horrible et dramatique, ne devrait jamais plus se reproduire. Les drames nationaux émeuvent les citoyens pendant quelques jours et la douleur générale finit, comme à chaque fois, par s’estomper laissant place à l’indifférence générale. Des commissions d’enquête qui ne donnent rien de concret ; des séances plénières lors desquelles on se jette la balle et on se dérobe de ses responsabilités et des mesures annoncées trop tard. Chaque catastrophe laissera la place à une autre, encore plus douloureuse et l’indifférence générale, mêlée à de la haine, rendent ces drames de plus en plus « ordinaires ».
Des nouveau-nés livrés dans des boites en carton, une jeune écolière emportée par les flots, un jeune homme assassiné dans un restaurant, des ouvrières fauchées dans leur chemin vers leur travail, des jeunes noyés en pleine mer… Le laisser-aller, la médiocrité, l’incompétence et l’impunité ne peuvent que causer des drames à répétition. Au final, ils annonceront des mesures qui n’arrangeront rien, mais les citoyens continueront tout de même à voter pour eux…