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Tunisie – L’élite humiliée
02/07/2025 | 10:17
6 min
Tunisie – L’élite humiliée

 

Les politiciens, les avocats, les journalistes, les hommes d’affaires et les militants des droits et des libertés sont déjà en prison. Maintenant, c’est au tour des jeunes médecins d’être menacés d’y être. L’État ne recule devant rien pour humilier l’élite du pays, au nom d’un populisme sans limite.

 

Les clés de la prison ne sont plus entre les mains des magistrats, comme dans tout État de droit. Tout ministre semble aujourd’hui pouvoir s’en emparer à sa guise.

C’est ce que l’on peut conclure de la phrase, terriblement choquante, du ministre des Affaires sociales Issam Lahmar.

Mardi 1er juillet, face à des jeunes médecins en colère qui réclament un minimum d’égard, le ministre les a menacés de prison et d’être remplacés par des Chinois ou des Hongrois. À ses yeux, l’émigration des jeunes médecins devient même un atout : ils enverront des devises.

Interrogé par des jeunes médecins sur le caractère menaçant de ses propos, Issam Lahmar a répliqué du tac au tac : « Je ne menace pas, j’agis. »

 

Médecins : vingt ans d’effort pour l’humiliation

Voici donc comment un fonctionnaire de l’État s’adresse à l’élite du pays : une élite qui a consacré plus de vingt ans à ses études pour décrocher son doctorat en médecine, et qui est reconnue à l’international pour ses compétences.

Conscient de la grosse bourde de son ministre, fortement dénoncée sur les réseaux sociaux, le président de la République a reçu le même jour le ministre de la Santé pour couvrir de louanges les médecins qui brillent à travers le monde. « La Tunisie est fière de ses diplômés de médecine », tranche Kaïs Saïed.

Trop tard, le mal est fait. La phrase choquante d’Issam Lahmar ne sera pas oubliée de sitôt.

Elle incarne parfaitement la mentalité de ce régime autocratique, sûr de sa toute-puissance et prompt à user de la répression pour tout et n’importe quoi. Si le président de la République jette en prison ses adversaires et ses critiques, et n’a aucun égard pour les forces vives du pays, pourquoi le ministre des Affaires sociales n’en ferait-il pas autant ?

 

La logique du deux poids deux mesures

La situation est ubuesque, c’est une évidence. Nabil Hajji, secrétaire général d’Attayar, la résume parfaitement. Il fustige avec virulence « l’hypocrisie de l’État tunisien qui se félicite des mentions "Très bien" des bacheliers s’orientant vers la médecine, tout en maltraitant les jeunes médecins déjà en exercice.

Ces derniers vivent des conditions de travail déplorables : gardes payées d’un à trois dinars de l’heure, logements et repas facturés, retards de paiement allant jusqu’à six mois…

Ce traitement tranche violemment avec la générosité déployée envers des élus locaux inutiles : 200 dinars par réunion pour des conseils sans pouvoir, et des millions de dinars dépensés chaque année pour des institutions inefficaces. »

Enfin, dans une pirouette ironique, M. Hajji suggère aux médecins de créer une société communautaire, pour accéder à des privilèges et financements, puisque c’est la voie désormais encouragée.

Conclusion implicite de Nabil Hajji : « dans la Tunisie actuelle, le mérite et le sacrifice sont punis, tandis que l’inutilité institutionnelle est grassement récompensée. »

 

Un État qui piétine ceux qui brillent

Le comportement grotesque d’Issam Lahmar envers les jeunes médecins n’a rien d’anodin. Bien que contrecarré par l’intervention immédiate de Kaïs Saïed, il dénote l’état d’esprit de ce régime envers l’élite en général et ce qu’elle représente.

Parfaitement populiste, le régime a toujours dressé le peuple contre l’élite. Un clivage dangereux, pleinement assumé. L’élite est pointée du doigt parce qu’elle a réussi. Sur les comptes des réseaux sociaux proches et sympathisants du régime, on ne cesse de dénigrer ceux qui brillent par leur travail ou leur verbe.

Conscient des dividendes immédiats d’une attaque contre l’élite, le président de la République n’a jamais hésité à l’humilier publiquement. Il a commencé par les magistrats en dissolvant le Conseil supérieur de la magistrature. C’est d’ailleurs à travers l’exemple des magistrats qu’Issam Lahmar a menacé les jeunes médecins.

Kaïs Saïed s’en est pris ensuite aux politiciens, aux lobbyistes, aux hommes d’affaires, aux avocats, aux journalistes et aux militants des droits. Plus le nom est célèbre, plus il est exposé à des représailles et à la prison.

Ils se comptent aujourd’hui par dizaines ceux qui sont passés par la case prison ou qui y croupissent encore, et dont le seul tort est de figurer parmi l’élite célèbre : Noureddine Boutar, Kamel Letaïef, Lazhar Akremi, Sonia Dahmani, Sherifa Riahi, Abir Moussi, Mourad Zeghidi, Borhen Bssaïs... Tous ces noms font partie de l’élite et figurent parmi les personnalités les plus respectées en Tunisie.

La question est : respectés par qui ? Pas par le petit peuple qui a applaudi des deux mains leurs arrestations. Et c’est précisément sur cette haine sociale que Kaïs Saïed a choisi de capitaliser. En humiliant ces personnalités publiques, il se fait bien voir par les citoyens lambda qui n’ont pas réussi dans la vie et qui jalousent tout ce qui brille.

 

La suite logique d’un projet d’humiliation

L’épisode de Issam Lahmar avec les jeunes médecins n’est pas une simple sortie malheureuse ou un écart isolé. Il s’inscrit dans une ligne politique cohérente, portée depuis juillet 2021 par un pouvoir qui se nourrit d’un antagonisme entretenu entre le peuple et ses élites. Cette politique repose sur un double mécanisme : d’un côté, flatter les couches populaires en leur désignant des coupables ; de l’autre, humilier systématiquement ceux qui ont réussi.

On ne s’en prend plus aux figures médiatiques ou aux icônes nationales. La cible a changé. Ce sont désormais des profils anonymes mais méritants, comme ces jeunes médecins à peine sortis de l’université, qui deviennent les nouveaux ennemis symboliques du régime. Leur tort ? Avoir incarné l’excellence dans un pays qui n’a plus les moyens de la récompenser — ni l’envie de la tolérer.

Ce n’est plus le président de la République lui-même qui donne l’ordre de réprimer : la verticalité s’est transformée en délégation d’agressivité. Ce sont désormais ses ministres, ses cadres subalternes, ses relais zélés qui traduisent l’esprit du régime par des paroles et des pratiques autoritaires. Et s’ils se trompent dans la forme, peu importe : le message, lui, reste parfaitement conforme à la ligne du sommet.

Il faut aussi souligner une évolution dangereuse. L’autocratie se banalise, elle s’institutionnalise. Il n’est plus nécessaire d’être connu pour être humilié. Il suffit d’être respectable. D’avoir étudié. De demander légitimement des droits. De rappeler à l’État ses obligations. Dans ce contexte, le médecin remplace le juge, l’infirmier succède à l’avocat, et demain peut-être, ce sera le professeur, l’architecte, l’ingénieur ou le chercheur.

Il ne s’agit plus seulement d’un pouvoir qui sanctionne ses opposants. C’est un pouvoir qui méprise l’intelligence, l’expertise et l’engagement. Et qui, pour préserver son autorité, n’hésite plus à sacrifier ses ressources humaines les plus précieuses sur l’autel de la propagande et du ressentiment.

 

Raouf Ben Hédi

02/07/2025 | 10:17
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Commentaires
FALLAG
Boumounchar fait parler de lui et peut faire encore plus
a posté le 07-07-2025 à 10:28
Malgré les critiques internationales, l'Arabie saoudite continue d'appliquer la peine de mort à une échelle alarmante. Rien qu'en juin 2025, 46 personnes ont été exécutées, principalement pour des infractions liées aux stupéfiants. Les ressortissants étrangers, notamment pakistanais et syriens, seraient touchés de manière disproportionnée.
Carthage Libre
Il est temps de mettre fins aux fonctions du "***", pour qu'il goûte un peu aux "délices suprême" de la Prison du Royaume...
a posté le 05-07-2025 à 17:04
....avant que ce pays s'écroule définitivement..

On vit, depuis 2019, en plein délire!!! Page noire Historique!
Citoyen_H
@BOUSS KHOUK - 02-07-2025 à 17:50 EXACTEMENT
a posté le 05-07-2025 à 15:02
"ELITE OU PAS ELITE ( si grabuge tu tombes )"

Ce n'est pas le point de vue des élites parvenues, autrefois affamés.
Les vrais élites, les choub3anines, n'ont rien à se reprocher.
A leurs yeux, l'étiquette sociale les exempte, les exonore de toutes sortes contrôles et de toutes formes de suspicions.
Tu es propre, tu n'as rien à craindre.
Tu es sale, ou même éclaboussé, tu plonges. Point final.



citoyen
Echec
a posté le 04-07-2025 à 15:40
Dans des pays qui se respectent, les responsables de haut niveau publient leur bulletin de santé ! Des fois qu'il y ait des malades mentaux a des positions stratégiques !
A4
C'est normal !
a posté le 03-07-2025 à 20:35
Si tu es riche, c'est que tu es un voleur !
Et si tu as réussi dans tes études, c'est que tu es un tricheur !!
L'idéal dans le royaume de chesmou, c'est d'être un misérable ignorant !!!
Comme ça tu fais partie du peuple ... et le peuple veut la répartition équitable de la misère !!!
Faute de savoir créer de la richesse. Evidemment ...
Hannibal
@A4
a posté le à 09:05
C'est tout-à-fait ça.
Ce que chesmou oublie peut-être c'est que la richesse paient des employés et des familles qui consomment et paient des impôts pour que lui et ses acolytes aient des salaires entre-autres. Imaginons que les contribuables arrêtent de payer. Tous en taule diraient chesmou et ses acolytes. La prison, l'autre nom de la Tunisie!
Tounsi
Conseil
a posté le 03-07-2025 à 19:28
A bounegcha,
La prochaine fois quand tu tombe malade, je te conseille d'aller voir un bon électricien.
Bounegucha
vendeu de lumiére, payé au resultat
a posté le à 23:47
je suis electricien,
et si dans ma livraiosn de chantiers la lumiére ne s'allaume pas,
je ne serais pas payé.
Bounegucha
les suels payés sans l'obliguation du resultat
a posté le 02-07-2025 à 22:29
Un médecin, que ce soit en Tunisie ou ailleurs dans le monde, ne fait rien d'exceptionnel.

Son utilité est souvent limitée, voire superflue, et bien moins importante que celle d'un électricien ou d'un plombier. Il passe 99% de son temps à simplement faire des prescriptions.

un mdecin c'est juste une personne non payé au resultat, comme les avocats, ils vendent juste de la paperasse et du vent.
Lucky Luke
Un jour ou l'autre
a posté le à 11:31
Et au plus tard, quand on est confronté à la mort, à ce moment là quand une vie sera sauvée par un médecin, on réalise alors l'importance de ce métier.

Ceci dit, les problèmes du secteur de la santé (publique) en Tunisie sont ailleurs que dans la nature du métier lui-même d'un médecin.
Nephentes
Une destruction en règle du pays
a posté le 02-07-2025 à 18:28
C'est une dérive sans issue et surtout sans but.C'est une dérive nihiliste.

En interfaçage continu avec les organismes publics je constate chaque jour l'effroyable nivellement de l'administration tunisienne
De sa clochardisation.

Du manque flagrant surréaliste de compétences en gestion de projet - il y en a qui ne savent même pas utiliser Excel - en diagnostic territorial en business plan en gestion des risques en négociation en gestion des parties prenantes en langues etc etc

De l'autre côté les véritables compétences s'exilent en masse a un niveau jamais connu depuis l'indépendance du pays

Les parcours ingénieurs toutes spécialités confondues, secteur public comme privé , forment pour les entreprises allemandes belges canadiennes françaises

Dans les rues au quotidien cet extraordinaire nivellement de nos capacités et in fine de notre société s'observe partout

Anarchie généralisée et barbarie latente; zombies débonnaires assis pendant des heures sur leur misérable chaise de café de la misère;
trottoirs défoncés et squattés par des mafieux en tout genre
saleté inimaginable sachets plastiques canettes restes de sandwichs de la honte glibettes partout

Corniches en bord de mer de tout le pays de Tabarka a Midoun devenus des décharges publiques où s'agglutinent des matronnes effrontées déversant des copeaux de glibettes a la tonne

Gamins abandonnés à eux mêmes trafics en tous genres

Ce n'est plus un pays c'est une cour des miracles
Rebel
@Nephrentes
a posté le à 14:41
Bravo! Excellente analyse fine et pertinente. Que pouvons-nous attendre d un peuple qui veut vivre dans la calamité. Conscients ou non sont presque tous complices de la catastrophe qui va les plonger dans les abîmes.
Hannibal
Elite et pas élite
a posté le 02-07-2025 à 18:04
Normalement, ceux et celles qui gouvernent font partie de l'élite. Mais, s'ils dénigrent l'élite, ceci veut dire qu'ils ne se considèrent pas comme faisant partie de l'élite. Pour une fois, je suis d'accord avec eux. Pourquoi détestent-ils autant leur pays et ne préparent-ils qu'un futur sombre pour ses enfants ? En réalité, je ne veux pas savoir. Allez hop! Dans la poubelle de l'histoire ! Le plus vite sera le mieux.
BOUSS KHOUK
ELITE OU PAS ELITE ( si grabuge tu tombes )
a posté le 02-07-2025 à 17:50
1 ) n'oubliez pas que KAIES SAIED EST LE PR'?SIDENT TUNISIEN et c'est ainsi . 2 ) une nouvelle vague de pourris seront convoqués par la justice pour EXPLICATIONS , plus d'échappatoire
Médecin
Vive la médecine
a posté le 02-07-2025 à 15:01
On était les brillants les bosseurs. On a travaillé jour et nuit pour décrocher notre diplôme de médecine. C'est malheureux qu'on insulte notre élite. Les jeunes ne vont pas se laisser faire. Ils sont patriotes et veulent rester en Tunisie mais le minimum c'est de les respecter et améliorer leurs conditions de vie. Vive la Tunisie vive la médecine