Arrêtons le délire, Ben Ali ne reviendra pas !
Par Marouen Achouri
Il aura suffit de deux articles et de quelques tweets pour déclencher un flot de spéculations et d’analyses plus ou moins valables à propos d’un éventuel retour de l’ancien président Ben Ali en Tunisie, poussé par une alliance entre l’Arabie Saoudite et les Emirats.
Tout cela a été déclenché par la visite effectuée par le ministre de l’Intérieur, Lotfi Brahem, en Arabie Saoudite et la série de rencontres qu’il a tenues au royaume. Des rencontres de très haut niveau qui ont servi de base pour alimenter différents fantasmes et pour permettre à certains politiciens d’exister, tout simplement.
D’abord, il faut adresser un blâme aux services du ministère de l’Intérieur et de la présidence du gouvernement. Il a fallu que les nouvelles concernant la visite de notre ministre de l’Intérieur nous viennent de l’agence officielle saoudienne et du journal Al Qods Al Arabi. Pas un mot de nos services officiels à propos de cette importante visite. Ils n’ont pourtant pas été avares en communiqués durant la même période. Ce silence et cette opacité entretenus par les ministères concernés n’ont fait qu’aider à alimenter les fantasmes.
Mais comme les rumeurs et les théories du complot, les rêves d’un retour de Ben Ali en Tunisie correspondent à un besoin bien réel. Il s’agit d’un impérieux besoin d’autorité et d’ordre. Une large frange de la société tunisienne ressent une grande insécurité par rapport à la situation actuelle et par rapport à leur avenir et celui de leurs enfants. Indicateurs économiques dans le rouge, fuite des élites, grève des enseignants, délinquance… autant de facteurs qui préparent à une volonté d’autorité et d’ordre dans un réflexe largement expérimenté et éprouvé à travers l’Histoire du monde. Plus la situation économique est défaillante, plus il y a d’insécurité et d’inquiétude, plus les peuples sont préparés à la dictature. Cette demande d’ordre et d’autorité fait que beaucoup de gens ne verraient pas d’un mauvais œil un retour de Ben Ali aux commandes. Par conséquent, ils se saisissent de la moindre parcelle d’information ou du moindre début de rumeur pour se conforter dans leur lâcheté, car c’est de cela qu’il s’agit en fait. Déléguer son avenir et sa condition à quelqu’un d’autre est tellement plus reposant ! C’est tellement plus simple que de voir la réalité en face et de se confronter aux problèmes.
C’est en réponse à ce même besoin que l’interview de Samir Majoul, patron de l’UTICA, a connu un tel succès. Le patron des patrons a été clair, direct, tranchant et surtout, il appelé à ce qu’on arrête « les jeux de gamins ». Dans un geste théâtral, il a posé un sifflet rouge sur la table en invitant ceux qui s’en sentent les épaules de le saisir et de siffler la fin de la récréation. Il a réussi à exprimer en termes clairs tout le désarroi et la déception que ressentent les Tunisiens par rapport à leur gouvernance actuelle. La gabegie, l’incompétence, le manque de courage que nous subissons depuis maintenant des années poussent certains à une certaine nostalgie pour le régime autoritaire sous la houlette de Ben Ali.
D’un autre côté, certains politiciens n’ont pas hésité à se saisir de la balle au bond. Ceux-là n’ont pour unique programme que l’opposition au régime de Ben Ali. Par conséquent, ils surfent sur les rumeurs d’un retour d’une dictature sous n’importe quelle forme pour donner de la voix et faire des envolées lyriques aussi inutiles que ridicules sur le danger imminent du retour de la dictature et sur tout le mal que nous veulent nos voisins et les pays du Golfe.
En réalité, le peuple est gouverné par la peur. La peur de l’avenir, de l’incertitude, la peur pour les enfants alors que d’autres ont peur pour leurs intérêts, leurs privilèges et d’autres encore ont peur d’un retour en arrière, peur d’être emprisonnés, chassés. Dans cette configuration, chacun essaye de surfer sur la peur qui lui convient le mieux. Dans tous les cas, la peur reste le plus puissant des moteurs. Voyez par exemple les leaders de Nidaa Tounes qui se basent sur la peur de l’islam politique pour tenter de se faire réélire aux municipales. Voyez le discours gouvernemental qui agite la peur de l’avenir en martelant que si on ne fait pas telle ou telle chose, l’avenir sera sombre. Les dictateurs aussi gouvernent par la peur de la punition, la peur de la dissidence. Nelson Mandela disait : « J’ai appris que le courage n’est pas l’absence de peur, mais la capacité de la vaincre », alors triomphons de nos peurs pour le bien de ce pays.