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Chroniques
Un chef qui ne voit rien venir, ne mérite pas d’être chef
Par Nizar Bahloul
16/09/2019 | 16:59
7 min
Un chef qui ne voit rien venir, ne mérite pas d’être chef

 

 

Belle gueule de bois après le gros fracas d’hier. Ça fait mal, aïe combien ça fait mal à ceux qui ont subi cette chute vertigineuse depuis leur tour d’ivoire jusqu’au sol ! Se sont-ils fracassés au moins ? Non, pas à ce que l’on voit jusque là.

Quelques heures après la défaite, le camp du chef du gouvernement Youssef Chahed continue encore à jouer aux coqs, à chercher des boucs émissaires, à dire que le peuple est idiot, que c’est la division du camp progressiste qui explique la défaite, aux tricheries de ses adversaires, aux médias qui lui ont tourné le dos, à la presse corrompue et un tas de verbiage aussi bien inutile que faux et trompeur. En attendant les résultats officiels préliminaires qui seront annoncés demain par l’Instance supérieure indépendante des élections, le candidat Youssef Chahed a été classé cinquième par les deux instituts de sondage les plus crédibles de la place Sigma Conseil (partenaire de Business News pour la période 2014-2019) de Hassen Zargouni et Emrhod Consulting de Nébil Belaam. Ce classement sera-t-il confirmé demain par l’Isie ? Le doute est permis, car Youssef Chahed risque d’être sixième voire septième, sous Safi Saïd et Lotfi Mraïhi. La défaite avec l’humiliation en plus, ouille combien ça fait mal !

 

Les raisons de la défaite sont nombreuses. Certaines d’entre elles ont été exposées dans l’analyse publiée hier dans notre journal, après la publication des premiers résultats sortie des urnes. Les causes de la défaite de Youssef Chahed résident là même où se trouvent les raisons du succès de Nabil Karoui. Inutile donc de revenir dessus et de remuer le couteau dans la plaie.

S’il est vrai que ça ne sert à rien de tirer sur les ambulances, il est en revanche utile d’attirer l’attention sur ce qui va suivre. D’autant plus utile que le camp du chef du gouvernement ne semble pas convaincu (pour le moment du moins) par les raisons réelles de sa défaite et ne semble pas disposé à tirer les conséquences de cet échec cuisant. 

Cela fait des mois que Business News a averti ses lecteurs, le camp progressiste et le chef du gouvernement du danger à venir. Cela fait des mois que l’on a expliqué, à plusieurs reprises, que la stratégie suivie par Youssef Chahed était erronée et allait le mener droit au mur. Ces appels et ces avertissements ont été accueillis par le camp de Youssef Chahed avec dédain, mépris, pressions et  injures. A l’actif de ce camp, il n’y a pas eu de menaces ou d’intimidations, mais ceci est à inscrire sur le compte du dédain plutôt que du respect de la liberté d’expression, car il n’y en avait pas et je pèse mes mots.

Et c’est là où tout le mal de Youssef Chahed réside, le dédain et le mépris des autres. Il était dans sa tour d’ivoire, il regardait les autres de haut, il n’écoutait que ses laudateurs qui lui disaient « monsieur le chef du gouvernement, vous avez raison ! ». Ses amis qui lui voulaient du bien, il ne les écoutait pas, ces derniers mois, il ne les écoutait plus.

 

Inutile de remuer le couteau dans la plaie, soyons constructifs. On va supposer que tout le monde a tort et que Youssef Chahed avait raison. Qu’il avait raison de ne pas s’unir et faire front commun avec Abdelkarim Zbidi (mieux classé que lui), Mehdi Jomâa (nettement plus compétent que lui), Mohsen Marzouk (plus communicateur que lui) ou encore Saïd Aïdi (plus sage que lui). On va supposer qu’il n’avait pas tort de chercher à confectionner une loi sur mesure pour barrer la route à ses adversaires politiques les plus menaçants (Nabil Karoui et Abir Moussi) et on va supposer qu’il avait raison de mettre Nabil Karoui en situation d’hors d’état de nuire. On va supposer que Youssef Chahed avait raison de bout en bout et qu’il fallait lui accorder une confiance aveugle, comme c’est le cas de ses aficionados. C’était quoi leur devise ? Attendez voir, Youssef a raison de faire ce qu’il a fait, la fin justifie les moyens.

 

La fin c’était hier avec la publication des premiers résultats. Quand bien même Youssef Chahed avait raison sur tout d’adopter cette tactique et de ne pas écouter ses amis qui lui voulaient du bien, l’échec d’hier est suffisant pour lui dire : « ta stratégie aussi bonne soit-elle a montré ses limites, elle n’était pas la bonne pour réussir ». En se basant donc sur le principe que la fin justifie les moyens, les moyens utilisés par Youssef Chahed n’étaient pas les bons pour gagner. Partant, on ne peut que conclure une chose : Youssef Chahed ne sait pas écouter les bons conseils qu’on lui donne, Youssef Chahed ne sait pas lire un tableau de bord, Youssef Chahed ne sait pas voir les choses venir de loin. En politique, il ne faut pas chercher midi à quatorze heures. Quand on n’a même pas 10%, alors que son poste de chef du gouvernement lui offrait d’office 5%, c’est qu’on est un incompétent et un incapable. Les mots sont durs, mais ils sont à la hauteur de la dureté de la chute. Mais ils sont également à la hauteur de l’aveuglement dont il a fait preuve ces derniers mois.

 

Qui étaient les conseils principaux de Youssef Chahed pour l’empêcher de voir les choses comme elles sont ? La liste est un peu longue (ce qui n’est pas bien) et on peut citer Iyad Dahmani, Mehdi Ben Gharbia, Mofdi Mseddi, Fayçal Hefiane, Karim Baklouti Barketallah ou encore Ryadh Mouakher et l’inoxydable Lazhar Akremi. Tout ce beau monde est responsable de l’échec d’hier (avec deux trois autres noms que je tairai), mais celui qui doit vraiment porter en premier le chapeau de l’échec, c’est Selim Azzabi. C’est lui qui doit encaisser toute la responsabilité de l’échec de son poulain en sa qualité de directeur de campagne, de fondateur et secrétaire général de son parti et de son plus proche confident. 

S’il enregistre un ou deux succès dans son parcours politique, le passif de Selim Azzabi est hélas supérieur à son actif. Il a beau être sympathique (très), convivial, cultivé, plein de bonne foi et de bonne volonté, force est de rappeler qu’il était proche du Qotb au moment de son échec en 2011 et d’Ahmed Néjib au moment de la forte crise interne ayant frappé le Jomhouri en 2013 au lendemain de l’assassinat de feu Mohamed Brahmi. Après l’indéniable succès de Béji Caïd Essebsi en 2014, pour lequel Selim Azzabi a joué un rôle des plus positifs, il était proche de l’ancien président défunt au moment de sa chute libre dans les sondages à cause des différends ayant opposé la famille présidentielle au chef du gouvernement. On ne peut pas dire qu’il est responsable de tous les échecs, mais on ne peut pas ne pas constater qu’il était là assez souvent quand il y a eu de gros échecs frappant sa famille politique.

 

C’est tout cet entourage qui a isolé Youssef Chahed dans sa tour d’ivoire et l’a déconnecté de la vie réelle. C’est cet entourage qui l’a éloigné, voire séparé, de ses conseils réels (discrédités et dénigrés par tous les moyens) et gonflé son égo à la démesure. Youssef Chahed encaisse seul la défaite, certes, mais la responsabilité de tout cet entourage ne peut être occultée.

L’échec fait partie de la vie politique, c’est évident. Mais les peuples agissent différemment avec cela. Dans la culture arabe, un gouvernant qui échoue continue à gouverner contre vents et marées jusqu’à sa mort ou jusqu’à ce qu’on l’éjecte avec humiliation. Dans la culture latine, un gouvernant qui échoue, va traverser le désert 2-3 ans, se fait oublier puis revient à la  charge. Dans la culture américaine, un gouvernant qui échoue est un gouvernant mort. Youssef Chahed porte ces trois cultures, mais son ADN semble être arabe et c’est dommage.

La recette du succès politique (à court ou à long terme) est très facile et réside en un mot : la confiance avec le peuple. Pour vous accorder leur confiance, le peuple a besoin de croire en vous, de  croire en votre sincérité et en votre programme. Or Youssef Chahed n’a pas été sincère, la preuve est (une parmi d’autres) cette question de nationalité française qu’il nous a cachée. La question de la sincérité est quelque chose d’invisible à laquelle on ne pense pas toujours, y compris chez ses plus proches soutiens. C’est quelque chose de profond qu’on a, mais qu’on ne ressent pas toujours. Un véritable homme politique sincère transmet systématiquement cette sincérité à son public et finit, tôt ou tard, par obtenir gain de cause dès lors que son programme est convaincant et fiable.

On aurait bien pu lui pardonner cet échec, somme toute naturel, et lui offrir une seconde chance. Après tout, c’est un peu notre culture arabo-latine. Sauf que Youssef Chahed n’est pas seulement coupable d’échec, Youssef Chahed est coupable de ne pas avoir vu l’échec venir, d’avoir eu un égo surdimensionné, d’avoir été contre le bon sens, de ne pas avoir été sincère et d’avoir été sourd et aveugle aux conseils qu’on lui a donné. Plusieurs gouvernants échouent et ont droit à une seconde chance, car ils avaient vu la chose venir, ont tout fait pour la contrer, mais ils n’ont pas pu.

La faute de Youssef Chahed est de ne pas avoir vu la chose venir et ceci est impardonnable, car on peut pardonner les erreurs, pas les fautes. Un gouvernant qui ne voit pas les choses venir ne mérite pas une seconde chance, il doit céder sa place et revenir dans 5-10 ans. 

 

Par Nizar Bahloul
16/09/2019 | 16:59
7 min
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Commentaires (86)

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ntc
| 19-09-2019 22:23
'? vous voir depuis des semaines critiquer sans cesse YC , et à voir les traits du visage de ST , votre confrère lors de l'émission avec YC , un visage plein de haine . Je me pose la question en tant que lecteur , qu'elles sont les raisons réelles de tout ça ? Dites nous la vérité SVP . Si vous êtes bien sûr honnêtes et sincères et merci

Major
| 18-09-2019 15:21
Nous sommes dans une dictature parlementaire et le premier ministre n'a aucune marge de man'?uvre.
Vous vous moquez de YC mais tous les premiers ministres après lui seront dans le même cas, car aucun n'aura de majorité parlementaire suffisante.
Espérons juste qu'il n'aura pas comme YC son propre parti et le président contre lui, ce qui n'a vraiment pas arrangé les choses.

Lotfi
| 18-09-2019 14:20
Je suis entièrement d'accord avec vous. J'ai dit que le meilleur message à passer était de faire une liste commune autour de Abdelkrim Zbidi . C'était l'intérêt national. Mais l'intérêt individuel passait avant. Une belle claque

Faouzi ben hassibe
| 18-09-2019 08:55
bravo Mr NIZAR pour votre article, pour l'analyse que vs avez présentée ,quelle lucidité et quelle classe.heureusement qu'en tunisie existent tjs des hommes honnêtes et intègres. votre place est parmis la classe dirigeante .mais hélas.

Lecteur
| 18-09-2019 08:41
De quels jounalistes parlez vous ? '?clairer les électeurs vous plaisantez. Leur rôle est de taper sur YC qui est le moins dangereux de tous, leur rôle est détruire les progressistes,... Bravooooooooooo leur mission est accomplie.

La pire est à venir

rayma
| 18-09-2019 06:37
Aucun article aucune parole aucun mot sur Kais Said à part quelques sondages. à la limite on pouvait mettre en doute ces sondages surtout quand on place Nessma en 1ere position et en plus Karoui à 30% loin de Kais Said. Franchement BN aurait dû fuiner sur l'effet sous marin de Kais Said.

LAM
| 17-09-2019 22:45
TOUT SAUF CHAHED.... Voilà c'est gagné !

nazou de la chameliere
| 17-09-2019 22:28
ils ne comprennent pas qu'ils ont définitivement cadenassés la Tunisie !
Ils ne comprennent pas la raison de votre colère !!
Ils ne comprennent pas que vous en vouliez au responsable de ce désastre !
C'est triste ,car nous allons assister a la "mise a mort " d'un "innocent" !
Ils ne voient meme pas ,ils ne font meme pas la relation avec la colere de certain islamistes !

La mise a mort a commencée , la mise a mort d'un innocent ,d'un idéaliste !
C'est triste ! c'est triste pour la Tunisie c'est triste pour l'afrique ,c'est triste pour le monde arabe et le monde musulman !
C'est triste pour notre humanité .

Abdelkader
| 17-09-2019 19:40
Excellent !!
De Gaulle , tout comme Mitterand , ont fasciné les journalistes et souvent les ont manipulé !
Il est bon de rappeler qu'au lendemain de la libération , De Gaulle avait fait appel à Beuve-Méry pour diriger une sorte d'organe officiel du pouvoir .
Ironie du sort , Le journal Le Monde est devenu un contre-pouvoir et a échappé à la mainmise de son " instigateur " .

Gg
| 17-09-2019 19:31
...dont on ne voit guère l'intérêt.
Pauvre Chahed, coupable de tous les maux, par incompétence ou inadvertance?
C'est oublier un peu vite le rôle délétère et implacable de l'UGTT et des syndicats en général, le nécessaire compromis avec les islamistes, la situation de quasi faillite du pays dont Chahed a hérité lors de son arrivée, la propension d'un peuple à passer plus de temps au café qu'au travail, et la féroce compétition internationale.
Quel qu'il soit, je souhaite beaucoup de courage au prochain président, et préfère attribuer cet article en forme de lapidation à la déception de son auteur.
Bien respectueusement, M. Bahloul !