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La République et les couacs de l’« expérimentation » démocratique !
24/07/2019 | 19:59
8 min
La République et les couacs de l’« expérimentation » démocratique !

 

 

Il y a 62 ans, Le 25 juillet 1957, l’assemblée nationale constituante décide l’abolition de la monarchie et l’instauration de la République. Habib Bourguiba sera déclaré président de la première République tunisienne et le restera jusqu’en 1987. C’est durant ces années que furent mis en œuvre les programmes de développement social qui feront de la Tunisie le fleuron de l’Afrique. Après la révolution de 2011 et l’adoption de la deuxième constitution de 2014, ce sera au tour de Béji Caïd Essebsi de porter le lourd flambeau de la présidence. A quelques mois de la fin de son mandat, le bilan de cette présidence est loin de faire l’unanimité car la République n’aura jamais été aussi fragilisée…    

 

La fête de la République sera bien amère cette année, disent de nombreux Tunisiens. Pour cause, les tensions qui secouent la scène politique, toujours en proie à la discorde, et l’immense retard dans la mise en place des institutions constitutionnelles dont la cour constitutionnelle, toujours au point mort.

 

Quand elle a été proclamée en 1957, l’expérience de la République a démarré en trombe. Bourguiba avait engagé des réformes qui ont changé à jamais le visage de la Tunisie. De la réforme de l’éducation publique qui fera chuter le taux d’alphabétisme de 84% en 56, à 35% en 90, en passant par le Code du statut personnel, qui donna à la femme une place inédite dans le monde arabe, Bourguiba a aussi œuvré à isoler le religieux trop longtemps mêlé à l’éducation et à la justice, pour séparer une fois pour toutes les pouvoirs et les libérer du poids des traditions. Bien d’autres réformes profondes ont été engagées pour moderniser la société tunisienne. Certaines ont abouti, d’autres pas. Certaines ont été mises en œuvre et d’autres bloquées. Certaines ont atteint leurs objectifs et d’autres ont été abandonnées mais très rarement on a assisté à un sur-place qui s’éternise ou encore à un rétropédalage dans les acquis chèrement payés, même au temps de Ben Ali.

C’est que la deuxième République a une croix à porter, celle d’une démocratie fragile et balbutiante, arrachée au sang des martyrs, ayant encore du mal à tenir debout et donnant lieu à tous les débordements qui entravent l'avancement des choses. Quoi de plus normal, pour un pays qui ne l’a jamais vraiment connue que de faire face aux couacs de l’expérimentation démocratique.  Elle n’allait pas couler de source cette expérience, on se le disait bien mais de là à faire un bond en arrière en votant une loi « exclusionniste » ou encore à attendre 5 ans pour mettre en place la cour constitutionnelle, seule garante de la primauté effective de la constitution, on a eu beau faire preuve de compréhension et de bonne volonté, la pilule n’est pas passée…

 

Les débats continuent de s’enflammer contre l’amendement de dernière minute de la loi électorale, proposé, puis voté dans des délais record pour exclure des candidats « gênants ». La montée inattendue de Nabil Karoui et de Olfa Terras dans les sondages, a ébranlé la quiétude du système politique actuel. Dans l’urgence et la précipitation, on décide d’amender la loi et d’empêcher leur candidature. Le projet de loi amendant la loi électorale est voté à l’ARP, puis validé par l’Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des lois avant d’atterrir sur le bureau du président de la République pour être promulgué. Or, depuis des jours, personne ne semble avoir des nouvelles de cette loi de toutes les controverses.

Décriée par l’Association des magistrats tunisiens (AMT), qui a estimé que le politique a interféré dans le vote de la loi électorale et que cet amendement a divisé le pays, la loi électorale amendée devait être signée, ou rendue pour relecture à l’ARP dans un délai ne dépassant pas le 18 juillet. A la date du 24, on continue toujours à spéculer sur le destin de ce texte alors qu’ont commencé depuis deux jours les dépôts des candidatures pour les législatives d’octobre, régies par la loi en vigueur.

 

Le conseiller politique auprès de la présidence de la République, Noureddine Ben Ticha, est intervenu pour affirmer que le chef de l’Etat ne signera pas la promulgation de la loi électorale. Ben Ticha a souligné que le président de la République « refuse la notion d’exclusion et de signer des amendements taillés sur mesure pour certaines parties », annonçant dans la foulée que Béji Caïd Essebsi s’adressera aux Tunisiens dans les jours à venir pour éclaircir de nombreux points relatifs à l’amendement de la loi électorale et à d’autres sujets. Car l’absence très remarquée du chef de l’Etat, après sa sortie de l’hôpital au début du mois, alimente tous les ragots quant à sa capacité d’assurer sa fonction après avoir été victime d’un « grave » malaise le 27 juin.

Selon Mohamed Abbou, candidat à la présidentielle sous les couleurs du Courant démocratique, le président de la République, Béji Caïd Essebsi, serait actuellement inapte à ses fonctions et serait même influencé par ses proches qui rejettent la loi électorale.

« Ils l’ont peut-être même empêché d’examiner les textes de loi ou tout simplement empêché d’exercer ses fonctions », écrit M. Abbou dans un post Facebook, appelant le chef de l’Etat à annoncer au public son refus de signer la loi électorale pour dissiper les doutes.

« S’il ne le fait pas, le procureur de la République devra alors ouvrir une enquête et rencontrer le président de la République pour savoir si on l’empêche d’assurer ses fonctions à cause de son état de santé » poursuit le candidat et il n’est pas le seul à avoir émis des inquiétudes sur l’état de santé du président.  Chez le parti du chef du gouvernement, Youssef Chahed, le ton n’est pas bien différent. A Tahya Tounes on s’inquiète aussi de l’absence de communication entre les deux présidences, affirmant que depuis des semaines, les deux têtes de l’exécutif n’ont eu aucun contact.

 

Sur la question de la loi électorale, les délais, même les plus larges ont, semble-t- il, bien été dépassés. L’expert en droit constitutionnel, Slim Laghmani, a toutefois inclut ce scénario dans une analyse de la situation qu’il a publié le 18 juillet. « Au-delà de demain, vendredi 19 juillet minuit, aucune interprétation ne vaut. Toutefois Béji Caïd Essebsi pourra ne pas promulguer sans craindre grand-chose. D’abord parce que la procédure de l'article 88 de la Constitution (destitution du chef de l'Etat pour violation grave de la Constitution) ne pourra pas, en pratique, être mise en œuvre contre lui (parce qu'elle suppose une majorité des députés -109- pour la provoquer et 2/3 des députés -145 pour la décider) et ensuite parce qu'il ne compte pas se représenter donc, il ne craint aucune sanction politique » avait-il expliqué. 

Rien ne va plus non plus pour la mise en place de la cour constitutionnelle, pourtant « urgentissime » mais néanmoins longtemps oubliée. Alors qu’on est loin des échéances électorales, le sujet a été mis au placard durant deux ans. « En 2015, alors qu’Ennahdha et Nidaa combinaient 155 députés, le sujet n’a même pas été abordé. En 2016, ils avaient 130 députés et rien n’a avancé » dénonçait hier le député de la Coalition nationale, Sahbi Ben Fredj.

 

A partir de 2017, les candidatures ont été ouvertes mais elles ont buté sur les intérêts des uns et des autres. Se livrant une guerre acharnée, les blocs parlementaires d’Ennahdha et de Nidaa ont campé sur leurs positions empêchant ainsi la machine d’avancer. « Depuis fin 2017 à octobre 2018, tous les consensus sont tombés car Ennahdha posait son véto contre Sana Ben Achour et Nidaa et Machroûu en faisaient de même avec Ayachi Hammami… Nous nous sommes alors mis d’accord fin 2018 de lever les vétos sur les deux candidats. Nous sommes passés au vote, Sana Ben Achour a obtenu 120 voix et Ayachi Hammami 90. Depuis 2019, il y a une impossibilité de s’accorder… » expliquait Sahbi Ben Fredj, estimant que le bloc qui a le plus entravé la mise en place de la cour constitutionnelle est celui de Nidaa Tounes et qu’Ennahdha, « qui a refusé toute concession » en est tout aussi responsable.

Alors qu’elle aurait dû être mise en place un an après les législatives de 2014, la cour constitutionnelle a encore trébuché sur la mauvaise volonté manifeste et préméditée de certaines députés. A quelques semaines du scrutin, ses chances de voir le jour dans des délais encore acceptables, bien qu’ostentatoirement dépassés, sont très faibles. Cette option est d’ailleurs très peu recommandée à présent, car très sensible, une cour constitutionnelle ne peut être composée à la hâte.

 

62 années se sont écoulées depuis la proclamation de la République et si on veut être optimiste, on peut se targuer du fait que la République tunisienne n’a pas chômé ! Dopée par des réformes fondamentales à sa naissance, puis otage d’un régime autoritaire, qui disons-le, a tout de même continué à construire un tant soit peu sur les acquis du premier, elle est aujourd’hui face à un nouveau défi et pas des moindres. La République tunisienne est désormais aux mains de nouveaux gouvernants, aux orientations diverses et aux intérêts en conflit. Face à ce contexte, qui fait prévaloir les individus au détriment de ses intérêts, elle doit résister et elle résistera car elle a été construite par le plus habile des architectes et car elle peut encore compter sur la loyauté de ses enfants.

 

Vive la République et vive la Tunisie !

 

Myriam Ben Zineb

 

 

24/07/2019 | 19:59
8 min
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Commentaires (6)

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Said
| 26-07-2019 07:24
Séparer l'état civil et le religieux en supprimant le ministère des affaires religieuses; réhabiliter l'enseignement public; améliorer la santé publique quitte à augmenter les cotisation assurances maladie; exiger le diplôme national 6eme; 9eme; bac et les diplômes du supérieur ; pour les enseignants il faut choisir entre privés et national et supprimer radicalement les heures supplémentaires sous peine de licenciement ; penser instaurer le service militaire obligatoire et renforcer l'armée nationale pour mieux surveiller nos frontières contre les terroristes; mieux gérer le laisser aller de toutes les fonctions publiques en legant certaines tâches aux privées qui ne touchent pas aux services piblics;...

Abel Chater
| 25-07-2019 10:28
Les Tunisiens avancent vers le meilleur et les vendus nous tirent par les cheveux, vers un passé macabre, dont ils sont nostalgiques par une quelconque parenté privilégiée par les os, que leur jettent les deux dictateurs déchus Bourguiba et Ben Ali.
L'auteur se moque encore des "couacs de l'expérimentation démocratique des Tunisiens" dont elle profite elle-même, en postant une telle misérable photo, qui fait pleurer les victimes de Sabbat Edhalèm et les souterrains de Porto Farina.
Le monde entier nous envie notre démocratie. Les infrastructures qui ont été réalisées après la Révolution du 14 janvier 2011, dépassent toutes les réalisations de leurs 55 années macabres de dictature, de vol et de despotisme. Pour la première fois de toute l'histoire de la Tunisie, nous avons maintenant le seul vrai Etat de vraies Institutions dans l'ensemble du monde arabe et même, dans ces pays où l'ordre du dirigeant l'emporte même sur la Justice. Malgré tout, ceux qui échouent leur vie sans «pistons», nous pleurent leur propre malheur et transforment leurs cocoricos, en succès contre la Révolution et la réussite de la transition démocratique en Tunisie.
La jalousie rend aveugle.

mansour
| 25-07-2019 08:31
Le Leader Habib Bourguiba avec son amour héroïque pour la Tunisie nous a sortis du profond tunnel sombre pour voir la lumière de la civilisation,la culture et le développement aujourd'hui seule Madame Abir Moussi est capable de reprendre le flambeau du Zaim Habib Bourguiba

TunPat
| 25-07-2019 07:44
Hé oui , lorsque vous êtes sur la chaise d'un dentiste pensez à celui qui se trouve sur la table d'opération !

On peut être donc heureux par comparaison , pensez aux malheureux Libyens , syriens , yéménites , soudanais etc....

J'ai foi en notre peuple et sa jeunesse pour bâtir une nouvelle Tunisie , ça demande des sacrifices et du temps et ça viendra .

Citoyen 1956
| 24-07-2019 21:07
Merci BN, devant de telles photos il y a un seul critére: la chair de poule, on l'a ou on l'a pas.

DHEJ
| 24-07-2019 20:10
Hier, aujourd'hui et demain.