Kaïs Saïed et la culture des buveurs de café
Mercredi 23 octobre 2019 est une journée historique pour les Tunisiens. Le nouveau président élu Kaïs Saïed prête serment, l’ancien président par intérim Mohamed Ennaceur assure la passation après avoir occupé le poste moins de trois mois, suite au décès de feu Béji Caïd Essebsi, premier président élu de la IIème République. Vu de l’occident, ceci n’a rien de particulier, mais vu du monde arabe, cela devient une première et le cas mérite d’être signalé puisqu’il est assez rare en Afrique. Le président élu de la Tunisie décède le 25 juillet, le jour même et en total respect de la constitution, un autre prend sa place pour assurer l’intérim pour un maximum de 90 jours. Durant ces 90 jours, des élections sont organisées, des dizaines de candidats se présentent, dont 26 sont retenus et ont pu (plus ou moins) organiser normalement leur campagne pour convaincre quelque 3,5 millions de personnes d’aller voter au premier tour et 3,9 millions d’aller voter au second tour, les urnes sont dépouillées, les bulletins comptabilisés, les résultats publiés et le président cède sa place à l’heureux élu, le tout sans effusion de sang, sans attentat, sans tricherie manifeste et sans contestation de résultats, cela mérite d’être inscrit dans l’Histoire. Même les tentatives de saboter le processus, en mettant un des favoris en prison, ont échoué grâce à une forte mobilisation de la société civile et des médias, mais aussi grâce à quelques juges intègres, justes et impartiaux qui ont bloqué la manipulation de leurs collègues complices d’une certaine classe politique décevante.
Alors voilà, quand on prend un peu de distance par rapport à ce qui s’est passé depuis le décès de feu Béji Caïd Essebsi et jusqu’à ce fameux 23 octobre 2019, il y a de quoi être fier de cette Tunisie démocratique. On va laisser quelque chose de solide pour nos enfants !
Il n’est un secret pour personne et Business News a été plus que transparent sur ce registre, le nouveau président Kaïs Saïed n’a bénéficié à aucun moment de notre soutien, même quand on savait, grâce aux sondages de notre partenaire Emrhod, que c’était déjà plié. On ne pouvait pas soutenir un candidat sans programme n’ayant pas de direction précise à suivre.
Maintenant qu’il est là, on se doit de respecter les résultats et de l’observer. L’observer sans l’attendre au tournant à l’affût de la moindre erreur. Il a droit, comme tout élu, à cent jours de travail sans critique, sans dénigrement, sans tanbir. Il a droit, comme tout un chacun, à être jugé sans a priori. Sauf que ceci ne doit pas, non plus, nous empêcher, en tant que médias, de relever les insuffisances ou les manquements à ses obligations de président de la République. A attirer son attention sur les éventuelles erreurs politiques, stratégiques ou de communication qu’il pourrait faire ou être amené à faire. Cela ne doit pas, non plus, nous empêcher de stopper ceux qui vont tenter de lui mettre les bâtons dans les roues ou de le dénigrer injustement pour marquer des points politiques. Le monsieur a été élu avec 72%, il a droit à travailler tranquillement pour cent jours et après on verra, on le jugera sur actes et non sur intention.
Le nouveau président tunisien de la République est assez particulier dans son genre. Il est du type qui veut communiquer directement avec le peuple. Il dit ne pas avoir affaire à Facebook et autres réseaux sociaux, là où il y a pourtant l’essentiel de son électorat. Il dit qu’il sera respectueux des médias, alors que les représentants officiels de ces derniers ont été éloignés de sa cérémonie d’investiture. Pourtant, force est de constater que l’un de ses proches durant la campagne, directeur d’un journal people, a été bel et bien convié à la cérémonie. Le nouveau président dit vouloir être le président de tous les Tunisiens, sans distinction, mais une cheffe de parti qui a eu 4% à la présidentielle et 17 sièges aux législatives a bien été écartée de cette cérémonie.
Le nouveau président a bien apprécié la présence des représentants officiels des trois principales religions en Tunisie, mais il n’a pas hésité à se faire accompagner, durant ses premières réunions, d’une personne fortement controversée qui a affiché publiquement son antisémitisme et son antichristianisme en déclarant être contre la nomination de tout ministre tunisien qui soit chrétien ou juif. Et il dirait quoi M. Abderraouf Bettbaïeb si l’on est athée ou agnostique ? Sur ce point, je vous invite à (ré)écouter la chronique de Maya Ksouri (cliquer ici) qui a très bien dit pourquoi ce Abderraouf Bettbaïeb ne doit pas être à Carthage près de Kaïs Saïed. Les très mauvais souvenirs de Moncef Marzouki et de son entourage clivant et violent sont encore dans les mémoires. M. Bettbaïeb fait partie de cette « race » là, voire pire.
Comme dans toute démocratie qui se respecte, un président de la République a des comptes à rendre quotidiennement aux citoyens. Cela ne se ferait pas sans communication efficace. Depuis Tunis, on peut voir qui Donald Trump ou Emmanuel Macron va rencontrer cette semaine et à quel sujet. Depuis Tunis, on peut avoir une idée plus ou moins exacte de ce qu’ils ont dit. Or il est anormal que l’on voie quelqu’un comme M. Bettbaïeb aux côtés du nouveau président de la République sans que l’on sache sa qualité. Tout aussi anormal qu’il soit à ses côtés déjà.
Kaïs Saïed n’est plus Kaïs Saïed, il est devenu président de la République. Et, à ce titre, il se doit d’agir comme tel et de se comporter comme tel.
En Tunisie, un président de la République habite au palais de Carthage et non chez lui. Il n’a pas à choisir où habiter, il se doit de se plier aux exigences de la fonction.
En Tunisie, un président de la République roule avec des escortes et se plie aux contraintes de la fonction exigées par ses services de sécurité et de la police de circulation. Il n’a pas le droit de prendre en otage les automobilistes tunisois.
En Tunisie, un président de la République ne va pas boire un café dans un café populaire et ne va pas chez son coiffeur du quartier, il se doit de plier aux contraintes exigées par ses services de protocole et aux règles de sécurité. Il n’a pas le droit de mettre sa sécurité en danger.
En démocratie, un président de la République ne dit pas ce qu’il veut quand il veut et se plie aux contraintes exigées par ses services de communication. Il n’a pas le droit de salir son image.
Kaïs Saïed cherche à déroger à ses règles, comme l’autre qui a choisi de ne pas porter de cravate et ceci s’appelle du populisme à deux balles. C’est juste qu’il entache la fonction et ceci n’est pas du tout souhaitable pour quelqu’un élu avec 2,7 millions de voix.
En démocratie, quand le président de la République vous convie, vous vous devez de répondre présent, sauf si vous avez un message politique violent et de haute importance à transmettre. L’argument de Abir Moussi qui a choisi de ne pas rencontrer Kaïs Saïed sous prétexte qu’elle n’est pas à Tunis et qu’elle doit d’abord consulter son comité politique est juste fallacieux. Pour un politique qui se respecte et respecte ses électeurs, cette consultation pouvait se faire par téléphone, Whatsapp ou Messenger.
Ni Abir Moussi, ni quiconque n’a le droit de manquer de respect à la fonction du président de la République.
Le premier qui ne doit pas manquer de respect à cette fonction de président de la République est le président de la République lui-même. Nous avons déjà des antécédents fâcheux avec Habib Bourguiba qui n’a pas quitté le palais quand la santé l’a desservie, Zine El Abidine Ben Ali qui n’a pas su arrêter ses pulsions policières et sa belle-famille et Moncef Marzouki qui n’a respecté ni la fonction, ni son entourage, ni ses conseillers, ni ses concitoyens.
Parce que nous avons tous intérêt à ce que l’actuel président de la République réussisse sa mission, nous nous devons tous, et Kaïs Saïed en premier, de respecter la fonction de président de la République et d’obéir à toutes ses exigences professionnelles, fonctionnelles, protocolaires et sécuritaires. Personne n’a demandé à Kaïs Saïed de devenir président, c’est lui-même qui a choisi de le devenir. Maintenant qu’il a réussi, il se doit d’assumer le rôle, de bénéficier de tous les privilèges de la fonction et de se plier à toutes ses contraintes. Il se doit d’abandonner son café et coiffeur de quartier et d’occuper la chambre à coucher du palais. Il se doit d’être fédérateur, ainsi que son équipe, et non sectaire, partial et clivant.