Election présidentielle : les candidatures fratricides
Par Sofiene Ben Hamida
Finalement, de la centaine de personnes qui ont présenté leurs candidatures pour la prochaine élection présidentielle qui se déroulera le 15 septembre prochain, pas plus d’une trentaine de candidatures seront vraisemblablement retenues par l’Isie. Ce n’est pas énorme comparé aux 27 candidatures retenues lors du premier tour de la dernière campagne présidentielle en 2014.
Seulement dans l’absolu, se retrouver avec plus d’une vingtaine de candidats pour une élection présidentielle dans un pays de notre dimension est un peu exagéré. On aurait trouvé une explication plausible si ces candidatures traduisaient, toutes, des options politiques différentes. Ce n’est absolument pas le cas puisque toutes ces candidatures pourraient être regroupées en trois groupes seulement, ce qui aboutirait logiquement à une dizaine de candidatures tout au plus. Les sociologues tunisiens devraient se pencher d’ailleurs sur cette question et nous apporter des explications sur les raisons d'un tel engouement de la part des hommes politiques mais aussi de la part des citoyens anonymes pour le poste de chef de l’Etat dans un régime parlementaire à peine aménagé comme le notre. Les médias tunisiens devront de leur côté publier des enquêtes journalistiques (la terminologie en vogue voudrait que je parle de journalisme d’investigation ce qui est exactement du pareil au même) pour clarifier les mobiles et les mécanismes latents qui poussent autant de citoyens tunisiens à briguer soudainement un poste dont ils n’ont visiblement pas la compétence.
Concernant le groupe centriste et moderniste, on aurait compris, compte tenu de la crise politique qui a secoué tout le pays durant les deux dernières années, que le chef du gouvernement Youssef Chahed se présente et que le ministre de la Défense, Abdelkrim Zbidi, supposé dépositaire des dernières volontés du président défunt Béji Caïd Essebsi, lui conteste le leadership de ce segment centriste et moderniste. Mais ce qui est peu compréhensible par contre, c’est cette multitude de candidatures toutes issues des mêmes origines politiques, le Nidaa historique, et n’apportant rien de nouveau par rapport à ce que réclament les autres. Mohsen Marzouk a juste confirmé qu’il est toujours aussi pressé. Néji Jelloul a montré qu’il est profondément meurtri et qu’il n’a toujours pas digéré son éviction indélicate de la direction de Nidaa. Selma Elloumi atteste que malgré les moyens dont elle dispose, elle est incapable de se hisser au niveau d’un dirigeant politique de premier plan. Reste le mystère Saïd Aïdi parce qu’on s’attendait à une meilleure attitude de sa part. Tous ces quatre candidats de la même famille politique doivent être conscients qu’ils jouent contre leur propre camp et que leur comportement dénote d’une immaturité politique qui leur est préjudiciable.
La chance du groupe centriste et moderniste est que le groupe des conservateurs de droite, connait lui aussi une multitude de candidatures qui laissera son électorat aussi dispersé que ses concurrents, du moins lors du premier tour de l’élection présidentielle. Bien entendu, Abdelfettah Mourou part en pole position, ayant obtenu officiellement l’aval du parti islamiste Ennahda. Mais il risque de se faire fortement bousculer à droite par le non moins islamiste et ancien dirigeant d’Ennahdha Hammadi Jebali, et à sa gauche par Mohamed Abbou, figure montante du conservatisme édulcoré. Mehdi Jomâa malgré les moyens dont il dispose, Amor Mansour et Kais Saïd ne seront que des comparses et des figurants dans cette compétition pour le leadership de ce segment conservateur de droite.
Quant aux candidats populistes, il est naturel qu’ils soient tous présents au premier tour de l’élection présidentielle. Leurs égos surdimensionnés les condamnent à vivre dans leurs propres bulles et à ne voir le monde qu’à travers leurs propres personnes. Abir Moussi, Nabil Karoui et Safi Saïd ne lâcheront rien et continueront chacun de son côté à développer leurs discours populistes et fallacieux, dans des styles différents, en espérant que la vague populiste qui a porté ailleurs des inconnus aux plus hautes fonctions de leurs pays, les aidera eux aussi à se hisser aux portes de Carthage.
L'équipe de Mehdi Jomâa a tenu à commenter la chronique de notre confrère Sofiene Ben Hamida, nous reproduisons le commentaire en question tel qu'il nous est parvenu
Mehdi Jomaa est-il conservateur ou moderniste ?
Cette question ne cesse de revenir sur la table avec insistance aussi bien au niveau des réseaux sociaux que dans de nombreux articles médiatiques- pour preuve le dernier article publié sur Business News par Sofiane Ben Hamida, qui a défaut de le considérer islamiste comme certains, le classe parmi les personnalités conservatrices.
N’est-il justement pas du devoir du journaliste d’éclairer autant que faire se peut le citoyen sur les divers positionnements des candidats afin que ceux-ci puissent faire leur choix en connaissance de cause ? Cela suppose que le devoir journalistique repose sur des bases factuelles soit d’actes politiques soit de positionnements publics émis par l’intéressé et non ne se contente des avis et impressions des uns et des autres. Car les enjeux sont bien trop importants pour prendre cette question des positionnements à la légère, surtout dans cette période très sensible où la responsabilité des électeurs dans le choix de leurs futurs dirigeants sera lourde de conséquences pour le pays.
Mais alors qu’en est-il précisément des positions, actions, discours politiques attribués à Mehdi Jomaa sur la seule base desquelles un avis sur la question pourrait trouver un début de réponse ? Mehdi Jomaa a commencé sa carrière politique en occupant le poste de Ministre de l’Industrie et de l’Energie dans le gouvernement d’Ali Laarayedh, poste éminemment technique s’il en est. Faut-il rappeler que le gouvernement Ali Laareyedh est arrivé en Mars 2013 après la chute du gouvernement de Hamadi Jebali suite à l’assassinat de feu Chokri Belaid et l’échec de la mise en place d’un gouvernement de technocrates (dixit wikipédia) et dont l’objectif principal était de s’ouvrir à des personnalités dites « indépendantes » ? Mehdi Jomaa suite à son passage au Ministère de l’industrie a tellement été perçu comme un technocrate indépendant que dès lors qu’il s’est agi de créer un gouvernement de technocrates en janvier 2014, c’est justement à Mehdi Jomaâ que la tâche fut confiée. Jusque-là toujours pas de possibilité de classer Mehdi Jomaa parmi le clan ni des conservateurs ni des islamistes.
Les actes politiques révélant souvent beaucoup de l’homme politique, qu’en est-il de son passage en tant que chef du gouvernement où les prérogatives d’exercice du pouvoir étaient importantes malgré la feuille de route qui lui était imposée ? Qui a réhabilité l’essentiel des mosquées qui échappaient au contrôle de l’état sous influence salafiste ou radicale ? Mehdi Jomaa et son gouvernement.
Qui a dissout les ligues de protection de la Révolution et les associations islamistes radicales ? Mehdi Jomaa et son gouvernement.
Qui a remplacé pléthore de gouverneurs inféodés au précédent pouvoir afin de neutraliser l’administration à la veille des élections ?
Mehdi Jomaa et son gouvernement.
Qui a combattu et maintenu les extrémistes hors des villes où ils sévissaient auparavant ? Mehdi Jomaa et son gouvernement. Ensuite l’homme est revenu à la politique en 2016 avec un think tank, puis en 2017 avec son nouveau parti El Badil. Aurait-il recruté ce faisant des personnalités islamistes ou conservatrices ? Non, seulement des compétences qui ont exercé au niveau national et international et qui TOUTES appartiennent à la famille de pensée bourguibienne, progressiste, républicaine, et centriste. Enfin, lors de son discours de déclaration de candidature, Mehdi Jomaa a répondu à ses détracteurs en précisant qui il était, et à quelle famille de pensée il appartenait, une famille qui ne fait pas de différence entre les filles et les fils, une famille respectueuse de notre patrimoine culturel mais résolument tournée vers l’avenir et la modernité.
Alors n’est-il pas venu le temps de ne plus céder aux ouïes-dires et autres qu’en dira-t-on et de se forger plutôt sa propre opinion sur une réalité de faits et d’engagements ?
N’est-il pas venu le temps de juger les hommes politiques sur la réalité de leurs actions et de leurs opinions exprimées ? Même si elle ne plaira pas beaucoup au camp « centriste moderniste », la réponse à la question est NON, Mehdi Jomaa n’est ni islamiste, ni conservateur, mais il a bien au contraire l’intention de briguer le leadership du camp progressiste.
A bon entendeur salut.