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Chroniques
Certains sont nostalgiques de la génération Joseph Staline
Par Synda Tajine
30/05/2023 | 15:59
5 min
Certains sont nostalgiques de la génération Joseph Staline

 

« Certaines plumes sont nostalgiques du discours de la génération Jules Ferry ». C’est ce qu’avait déclaré le chef de l’État hier face à son ministre des Affaires étrangères. Kaïs Saïed évoque ceux qui seraient, selon ses dires, nostalgiques de l’expansion coloniale de la France dans des pays comme la Tunisie. Le colonialisme français est dénoncé par Kaïs Saïed comme étant une menace immédiate, lui qui prône « des relations d’égal à égal » et qui se dit intransigeant sur « la souveraineté de la Tunisie ».

Les mêmes éléments de discours ont été tenus vendredi par le ministre des Affaires étrangères. Dans l’une des rarissimes sorties ministérielles à la presse locale, Nabil Ammar avait dénoncé ceux qui « vont chercher du soutien à l’étranger ».

« Si tu es fort dans ton pays et que tu n’as pas de problèmes, il faut résoudre tes problèmes ici. Pourquoi aller à l’étranger pour se plaindre de la situation de ton pays ? », a-t-il soutenu, ajoutant qu’il n’y avait pas de « problèmes de libertés au point que les opposants aillent demander l’appui des forces étrangères » et que même s’il y en avait : « Nos problèmes, il faut les résoudre en interne entre nous ».

 

Des propos qui interviennent avant la visite, qui se tient en ce moment-même, de Nabil Ammar en France,  à l’invitation de son homologue Catherine Colonna. Le timing de ces deux apparitions n’est certes pas fortuit.

Dans les deux interventions successives, le message est clair : Nous n’avons pas besoin de vous et vos interventions dans nos affaires internes sont perçues comme un manque de respect.

Les mêmes éléments de langage sont utilisés dans des apparitions, à 72h de décalage, qui arborent la même rhétorique. Nabil Ammar ne fait que préparer le terrain au discours, plus « officiel », du Président qui y apportera sa touche complotiste dont lui seul a le secret.

On peut y entendre : respect, échanges d’égal à égal, souveraineté et responsabilité. Jusqu’ici tout va bien, mais face à ces slogans pompeux, se dote-t-il des moyens de ses ambitions ? Rien n’est moins sûr. « La souveraineté du pays était une évidence et que les pays étrangers se devaient de respecter la Tunisie » ; « Ils nous doivent le même respect. Après, on peut discuter » ; « les partenaires de la Tunisie sont en partie responsables de la situation actuelle du pays ». La France – mais pas que – sait à quoi s’en tenir.

 

A qui s’adressait au juste Kaïs Saïed en évoquant « les nostalgiques de la génération de Jules Ferry » ? Est-ce qu’il fait référence aux médias français qui s’indignent de voir la Tunisie refuser l’aide du FMI ? « Poker souverainiste » s’est indigné Le Point il y a deux jours, expliquant que « la situation serait une farce avec panache si la crise économique n'était pas aussi féroce ». Fait-il référence à des voix tunisiennes lui reprochant cette rupture avec les partenaires occidentaux en ces temps de crise ? Y aurait-il une réelle tendance tunisienne nostalgique du protectorat français ?

 

En attendant, s’il n’hésite pas à taper sur « les adeptes » de la génération Jules Ferry, c’est plutôt la génération Joseph Staline qu’il semble prendre pour modèle. En effet, le chef de l’État, que ce soit via ses discours directs ou à travers son chef de la diplomatie, et l’un de ses plus proches ministres à l’heure actuelle, emprunte des codes assez cohérents avec une logique totalitaire. Un État fort, qui n’a besoin de personne, des médias aux agendas bien connus, des arrestations d’opposants exagérées par l’opinion publique…le tout sur fond de complot.

En attendant, les exemples d’un État totalitaire et qui ne respecte pas ses citoyens sont pourtant bien là.

Prenons quelques exemples très simples. La crise des carburants d’hier. Les Tunisiens ont entendu parler d’une pénurie de carburant, ils se sont rués vers les stations-service pour faire le plein. Résultat : des files d’attente monstres en pleines heures de pointe et en pleines intempéries, ce qui a créé un désordre et un état de panique. En réaction, aucune réaction officielle. Aucun officiel n’est venu s’expliquer sur une telle situation, pourtant préoccupante pour le commun des citoyens. Les Tunisiens ne méritent pas de savoir.

Autre exemple : la justice. Oui, là on s’attaque à du lourd. Quatre affaires de complot contre l’Etat sont actuellement devant les tribunaux. Dans ces affaires, on juge pêle-mêle : opposants politiques, avocats, anciens dirigeants, hommes d’affaires, journalistes… Ces affaires diffèrent mais ont deux choses en commun : des accusations complotistes et des dossiers vides. Comment seront jugées ces affaires face à une justice qui n’a pas encore pu bénéficier d’un mouvement judiciaire attendu depuis des mois ? Comment fonctionnera la justice face à un pouvoir qui lui reproche d’innocenter des personnes accablées par la foule et qui propage l’idée de présomption de culpabilité : vous êtes d’abord coupable, ensuite ce sera à vous de prouver votre innocence. Au diable la présomption d’innocence.

Adeptes des théories de complot bien locales fomentant un complot contre l’État, un plan d’assassinat le visant, un projet visant à changer la composition démographique du pays, Saïed semble chercher aussi du complot à l’étranger.

Si la nostalgie à une époque coloniale reste une pensée marginale, on ne peut reprocher aux étrangers d’estimer que le pays coule et qu’il a besoin d’aide (afin que les répercussions de ce naufrage ne finissent pas par les éclabousser). Comment fera le pouvoir tunisien pour les convaincre qu’il peut se permettre le luxe de se passer de leur aide ?

 

Par Synda Tajine
30/05/2023 | 15:59
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Commentaires
Fares
La génération Mohamed Essadik Bey
a posté le 30-05-2023 à 20:28
Plutôt nostalgique à l'ère de Mohamed Essadik Bey, le monarque qui a donné le coup de grâce à la Tunisie pour l'offrir aux colonisateurs par son incompétence, l'arbitraire de ses décisions et sa naïveté face à Ben Samaiel et Ghaznadar. Cette mauvaise pièce de théâtre se joue actuellement en Tunisie, le rôle de Mohamed Essadik Bey est joué, ladies and gentlemen, par ennajm attafi Kaies Saied, applaudissements svp.

Les affaires de la Tunisie se discutent à Bruxelles, plus personne ne prend Saied au sérieux à l'échelle internationale, et tonton rêve toujours de souveraineté. Les cocus sont toujours les derniers à être au courant.