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Chroniques
Youssef Chahed doit partir, s’il veut revenir
Par Nizar Bahloul
17/06/2019 | 16:59
8 min
Youssef Chahed doit partir, s’il veut revenir

 

 

Les élections législatives et présidentielle s’approchent à grands pas. Le 16 juillet 2019 démarre officiellement la précampagne électorale des législatives ; le 22 juillet, on démarre le dépôt des candidatures et le vote aura lieu du 4 au 6 octobre.

La précampagne pour la présidentielle démarre le 27 août, le dépôt des candidatures se fera à partir du 3 septembre et les votes auront lieu du 15 au 17 novembre pour le 1er tour et au cours des deux semaines qui suivent la proclamation des résultats définitifs (le 25 décembre) si aucun des candidats n'obtient la majorité absolue des suffrages exprimés.

La scène politique est en pleine effervescence et les partis devraient être comme une ruche en ce moment, ce qui est tout à fait normal dans toute démocratie qui se respecte. Sauf que la Tunisie n’est pas (encore) comme toute démocratie qui se respecte. Elle est encore une « démocratie en construction ». Cette expression de « démocratie en construction » qu’on doit protéger a été formulée par Habib Bourguiba, utilisée à souhait par Zine El Abidine Ben Ali et usée et abusée par la troïka. On nous la servait à chaque fois qu’on voulait justifier un acte non démocratique pour nous dire que la classe politique était plus intelligente et plus sensée que le reste de la population. On ne sait pas si cette formule était bien ou mal intentionnée (peut-être les deux, en fonction de la période), mais une chose est sure, elle n’a jamais convaincu personne. Pas dans la durée du moins. Pour chacun de ces gouvernants, un jour est venu où on leur a dit basta avec cette formule bâtarde, vous vous moquez un peu trop de nous !

 

Tous les régimes qui ont gouverné la Tunisie sont passés, au moins une fois, par les urnes lors d’élections réellement transparentes sans tricherie quoique disent leurs successeurs. Tous. Chacun d’eux a dit et répété, moi je suis venu au pouvoir par les urnes. Leurs successeurs n’ont pas hésité à leur dire, par la suite, qu’ils ont été des tricheurs. Tous. Bourguiba a bien organisé des élections réelles au début, mais il a bien triché ensuite en se faisant élire à vie. Ben Ali a bien organisé des élections réelles en 1989, mais il a triché ensuite. La troïka a été élue pour un mandat ferme d’un an en 2011, mais elle est restée au pouvoir pendant trois ans. Et voilà que l’équipe actuelle née de l’adultère Rached Ghannouchi – Béji Caïd Essebsi qui a été bel et bien élue à la loyale en 2014 veut aussi tricher. En modifiant le code électoral un mois avant le démarrage de la précampagne électorale, mais aussi en acceptant que le chef du gouvernement Youssef Chahed soit dans la position de juge et partie. Il est à la fois chef de l’exécutif et candidat (probable) aux futures élections. La question de la modification du code électoral a déjà fait couler beaucoup d’encre et a été bien étalée dans ces colonnes. Si le code est réformé dans une direction autre que celle démocratique, le doute et la suspicion seront jetés sur les prochaines élections et les cinq ans qui la suivront. Cinq ans durant, on rappellera à la future équipe qu’ils sont des tricheurs qui ont accédé au pouvoir après avoir éliminé leurs adversaires par une loi confectionnée sur mesure.

 

Reste la question du chef du gouvernement qui se présente à l’élection. Cette pratique n’est pas démocratique et ne peut pas l’être. Elle est possible pour un président de la République, car il est loin et au-dessus de la mêlée (et encore), mais elle n’est pas possible pour un Premier ministre ou chef du gouvernement. Les possibilités de tricherie sont nombreuses et l’égalité avec les autres candidats n’est tout simplement pas garantie. Faut-il rappeler comment Moncef Marzouki a triché en 2014 en utilisant les moyens de l’Etat et de la présidence de la République pour sa campagne ?

Les tous nouveaux fidèles de Youssef Chahed diront que cela existe partout dans le monde et qu’il n’est pas interdit par la loi que le chef du gouvernement se présente aux élections. C’est vrai, mais à ce moment-là il faudrait que eux-mêmes cessent de parler de « démocratie en construction » car la candidature du chef de l’exécutif est une chose que l’on voit dans les démocraties confirmées qui ont plusieurs siècles de pratique, et encore. Pour ce qui est de l’argument purement légal, il est non recevable venant de gens qui souhaitent changer la loi en leur faveur, et puis il existe un concept légèrement supérieur à la loi écrite appelé « morale », tout ce qui n’est pas interdit par la loi n’est pas acceptable.

 

En théorie donc, pour une bonne pratique démocratique et pour veiller à rester au-dessus de toute suspicion, un ministre ou un Premier ministre, chef de l’exécutif, ne peut pas se présenter aux élections. Quel que soit son nom. Il se trouve que le nôtre s’appelle Youssef Chahed. Si l’on se base sur ses différents discours, ses déclarations de bonnes intentions et sa guerre contre la corruption, Youssef Chahed se doit et a le devoir d’être conséquent avec lui-même et de respecter sa parole.

Partant, il a l’obligation morale de quitter son poste à la Kasbah si jamais il envisage de se présenter à la présidentielle ou aux législatives. S’il n’envisage pas de se présenter, il doit le dire maintenant. S’il envisage de se présenter, il doit le dire maintenant aussi.

L’automne dernier, au cours des discussions de Carthage II, quand Béji Caïd Essebsi a exigé son départ, Ennahdha l’a soutenu en déclarant qu’on ne peut pas jouer avec les intérêts de l’Etat en le laissant partir maintenant. Ce soutien était cependant conditionné par sa déclaration d’intention par rapport aux élections. A l’époque, Youssef Chahed n’a dit ni oui, ni non. Il était encore tôt. Dans les coulisses, on savait qu’il tenait à rester jusqu’à la fin de l’année (2018) avant de partir et il était encore, à l’époque, conséquent avec lui-même.

Le 31 décembre 2018 est arrivé et Youssef Chahed n’est pas encore parti. Nous sommes à la mi-juin 2019 et Youssef est toujours là. Faut-il comprendre que l’actuel chef du gouvernement n’envisage pas de partir et va participer, quand même, aux élections ou bien que le chef du gouvernement est ce démocrate respectueux de ses principes et valeurs et veut rester jusqu’à la fin à la Kasbah, sans pour autant se présenter aux élections ? Un peu comme Mehdi Jomâa avant lui ? Au vu de l’actualité et des échos, il semble (hélas) que c’est la première théorie qui a le plus de chances de se confirmer.

 

Alors voilà le topo que l’on a, à la veille des élections, au cas où cette triste théorie se confirme et que les plans de Youssef Chahed et son parti Tahya Tounes passent comme une lettre à la poste. Nous aurons un chef du gouvernement juge et partie qui participe aux élections tout en étant chef de l’exécutif. Ceci est injuste et inéquitable à l’égard de tous les autres candidats, car il bénéficiera alors d’au moins 5% de plus dans les urnes, d’après toutes les études en la matière. 5% des électeurs accordent aveuglément leur confiance au pouvoir en place quel que soit son bilan.

Non satisfait de cette petite avance sur ses adversaires, son équipe de députés (et quelques alliances intéressées au parlement) s’apprêtent à voter une loi scélérate pour écarter d’autres candidats favoris aux sondages.

Last but not least, les futurs déplacements et activités de Youssef Chahed embarrasseront systématiquement tous les médias qui se respectent : on ne saura pas à quel Youssef Chahed on fait face, le chef du gouvernement ou le candidat ? Il y aura tellement d’ambiguïté et de mélange de genres qu’on ne saura jamais qui est qui et quoi est quoi. Quand un conseil ministériel décide de lancer tel programme ou tel chantier d’avenir, est-ce à mettre sur le compte d’une activité gouvernementale classique ou d’une promesse électorale ? Ce qui est valable pour Youssef Chahed l’est également pour ses ministres candidats aux législatives.

 

Alors, appliquons à la lettre ce que nos gouvernants nous ont toujours dit. Puisque nous sommes une démocratie en construction qu’il faut protéger, protégeons-là !  Ils veulent la protéger contre les futurs candidats tricheurs, qu’ils la protègent aussi contre les ministres et chef du gouvernement tricheurs aussi. Il n’y a pas de raison qu’on fasse une loi sur mesure pour barrer la route à Nabil Karoui et Olfa Terras pour protéger la démocratie naissante et pas pour barrer la route à Youssef Chahed qui risque fort d’utiliser les moyens de l’Etat dans sa campagne.

A neuf mois des élections, il était encore tôt pour le chef du gouvernement de quitter la scène. A six mois, il est déjà temps  de quitter. A trois mois, il sera déjà très tard pour partir. Là, on est à cinq mois, pour Youssef Chahed, s’il est vraiment démocrate imbibé de l’esprit démocratique et bon joueur qui n’aime pas la triche, il est vraiment temps de quitter la scène.

La vérité est, hélas, que Youssef Chahed ne semble pas du tout être dans cette optique. Depuis la création de Tahya Tounes, il semble être parasité par plusieurs ondes négatives, par plusieurs mauvais conseillers et énormément d’opportunistes venus de tous bords. Des opportunistes qui l’injuriaient 24/7 il y a à peine six mois. Tout ce nouveau monde qui entoure Youssef Chahed ces dernières semaines, est en train de le placer dans une tour d’ivoire et de le griser par son pouvoir au point qu’il s’est éloigné de ses premiers fidèles qui étaient là dans ses différentes crises antérieures et des soutiens aux principes démocratiques réels qu’il défendait sincèrement il n’y a pas si longtemps. 

 

 

 

Par Nizar Bahloul
17/06/2019 | 16:59
8 min
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Commentaires (14)

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Abdelkader
| 18-06-2019 21:57
Dans une vieille démocratie , la France en l'occurrence , un chef de l'exécutif , Edouard Balladur , s'est présenté à l'élection présidentielle et l'obligation morale chère à Monsieur Bahloul n'en a pas été escamotée pour autant .
Il y a jurisprudence !

Tunisino
| 18-06-2019 15:50
Le pouvoir est une drogue, il est difficile de le quitter sans être obligé ou sans être décidé. D'où l'utilité des instituons, qui permettent d'éjecter les non décidés.
Nahda a encore besoin du temps pour s'enraciner politiquement (le volet socioéconomique n'a aucune importance pour le littéraire RG, il ne veut que gouverner la Tunisie à sa manière, tout le reste vient après), il voit en YC et son parti une couverture idéale pour cela (YC et Tahya vont prendre la place de BCE et Nida, ce qui correspond à leurs ambitions), et en Kamel Morgene un oiseau rare (Futur président, ce qui est largement acceptable pour lui). YC est aussi probablement sous d'autres pressions, intérieures et extérieures, la gestion de toutes les pressions (y compris les ambitions personnelles) ne pourrait pas être optimale vu la formation, l'expérience, et la personnalité de ce dernier. Désormais, RG et YC vont faire tout ce qui est nécessaire pour que leurs objectifs, pour les prochaines élections, soient atteints. Mais les tunisiens sans emploi, appauvris, affamés, ou dégoutés, oubliés par des politiciens ingrats et incompétents, vont peut être faire une différence. Espérons que cette différence, si elle se présente, soit vers le bien et non vers le mal.

Tatou
| 18-06-2019 14:39
Bonjour
J'approuve l'approche de Nizar Bahloul.
Partir avant de revenir me paraît un geste nécessaire dans toute démocratie Rappelez vous de Chirac premier ministre du gouvernement Mitterand avait démissionné pour se présenter aux présidentielles. Pareil pour Valls premier ministre du gouvernement Hollande qui avait démissionné avant de se présenter

Sidi Bou
| 18-06-2019 14:20
Isar j'ai toujours lu tes analyses avec admiration pour ton objectivité et de ta connaissance de la scène politique en Générale mais sur ce qui précède il n'est pas tout à fait vrai l'argumentaire concernant un chef de Gouvernement
En Allemagne Helmut Kohl et Angela Merkel ont fait chacun quatre législations de 4 ans et ils ont animés à chaque fois eux même leur compagnes électorales sans pour autant l'opposition leur approcher quoi se soit.
C'est ça la vrai démocratie..

Abir
| 18-06-2019 11:52
Pourquoi vous conseillez Youssef Chahed de se cacher un moment, pour que les Tunisiens oublieront ses lâchetés et ses négativités en politique et en générale, c'est vrai les Tunisiens ont une courte mémoire mais pas à ce point , déjà la situation catastrophique de leur pays. ne manquera pas de leur rappeler que le chef du gouvernent était un nul

Tunisien Majeur
| 17-06-2019 23:38
Je lui avance que quelque soit le costume qu'il portera , YC perdrait les élections
Au vu des résultats catastrophes subis par la Tunisie et par les tunisiens, durant
Ces 3 années de sa gouvernance, qui désormais, resteront dans les annales
Comme la pire période jamais vécue dans l'histoire de la Tunisie ! ! !

TATA
| 17-06-2019 22:02
La majorité de nos politiciens et de Tunisiens font l'hypothèse que le dernier baromètre politique de Sigma Conseil reflète les intentions de vote des Tunisiens avec une erreur négligeable!

Moi, je fais l'hypothèse que le dernier baromètre politique de Sigma Conseil est bon pour la poubelle et qu'il est trompeur.

Je m'explique :
-Le mythe de Sigma Conseil est du fait que son sondage sortie des urnes en 2014 était parfait, mais ça serait une très grande faute de comparer un sondage sortie des urnes à un sondage d'intention de vote qui contient beaucoup d'incertitude.
-Le Tunisien pour des raisons historique a peur d'avouer ses préférences/intentions politiques, après 80 ans de dictature.
- Certes Mr. Hassen Zargouni est quelqu'un de très correct par contre je mets en question la professionnalité et la neutralité de certains de ses agents de sondages occasionnels.
-n'importe qui pourrait réaliser un sondage sortie des urnes, par contre il faut avoir une bonne formation afin de réaliser un sondage d'opinion.


Je résume: Si Nizar a découvert trop tôt ses cartes (de poker), et je parie avec lui que Nabil Karaoui ne sera pas notre Prochain Président de la République. Certes, il a gagné les sondages mais pas les élections.


YC a encore toutes les chances et je lui conseille de renoncer à cette loi à la prompte et sur mesure. Il a beaucoup plus de chance à gagner les élections sans la nouvelle loi qu'avec.


Fazit: Je suis désolé de vous le dire, Très Cher Nizar, mais cette-fois-c, vous avez écrit beaucoup du non-sens.

mansour
| 17-06-2019 21:40
avec un geste trompeur d'oser dire non à Ennahdha et se présenter aux élections mais le courage politique manque aux hommes politiques au pouvoir depuis 2011

Forza
| 17-06-2019 20:21
Dans toutes les démocraties des chefs d'exécutive restent en poste jusqu'aux prochaines élections. Dans certaines démocraties, le gouvernement sortant choisi même la date des élections, je pense c'est le cas de la Grande-Bretagne. Le chef de l'exécutive ne profite pas toujours de son poste, il profite seulement si les résultats de sa politique sont bons. Et c'est un bon point pour le système, le candidat en poste a un bonus s'il délivre bien et les candidats qui le challengent doivent se surmonter et presenter des idées meilleures pour pouvoir gagner, ceci rend le système plus performant. Il faut bien sur appliquer les règles de la neutralité, à mon avis la chaîne nationale est la plus professionnelle, il faut que l'ISIE et la Haica impose le fairness aux chaines privées Nesma, Elhiwar, Attassia, Tunesna, zitouna et les radios privées aussi mosaïque, shems etc. et le chef du gouvernement n'a pas le droit d'utiliser l'administration, les medias et les journalistes investigateurs doivent aussi faire leur travail de critique s'il y'a abus de pouvoir.

Amazigh Tunisien
| 17-06-2019 19:37
La prochaine fois présente toi comme conseiller de YC puisque vous avez les mêmes idée vous venez de la même famille, et puisque ya que vous que vous possédez les clés de la Tunisie. Malgré que vous connaissez la France plus que la Tunisie