Vous avez beau être présidents, vous n’êtes pas immortels !
Par Nizar Bahloul
Une tempête, des records de pluies, des inondations spectaculaires, le Cap Bon a vécu une véritable catastrophe naturelle, digne des pays tropicaux, ce week-end. Six morts au moins et des dégâts matériels considérables. Paix aux âmes de nos concitoyens ! L’Homme demeure encore et toujours faible face à Dame nature. On ne résiste pas contre la mort, on ne résiste pas contre la Nature, ces deux là ont toujours existé depuis la genèse de la terre, il y a 4,6 milliards d’années.
Face à une catastrophe naturelle quasiment inédite, la réaction des autorités a été, comme d’habitude, en deçà des attentes. Le Tunisien, expert en tout, regarde beaucoup la télévision et s’attendait à une mobilisation des autorités identique à celles des régions tropicales habituées aux ouragans. A défaut, il s’en est pris au gouvernement, à l’Etat, aux dirigeants etc.
Ce même Tunisien dont les caractéristiques principales sont la construction anarchique, l’évasion fiscale, le farniente, les grèves, les sit-in, le travail bâclé, l’imperfection, le tanbir (la médisance), etc, ce même Tunisien exige que ses autorités aient une réactivité et des moyens dignes des pays civilisés. On ne veut toujours pas admettre que le mal est en nous tous, et que les autorités dirigeantes (qu’elles soient communistes, islamistes, nationalistes ou libérales) émanent de notre société, sont imbibées de notre culture et nous ressemblent. Finalement, nous n’avons que les dirigeants que nous méritons et c’est le cas pour toutes les autres nations. Paix aux âmes de nos six concitoyens ! On va vous pleurer 24 heures puis on va vous oublier, sans retenir une quelconque leçon. Très rapidement, on va passer à autre chose pour nous chamailler entre libéraux et communistes, islamistes et laïcs et continuer à suivre nos jolis feuilletons de guerres intestines dans les partis.
Sur la scène politique, on n’a pas attendu le week-end pour vivre une catastrophe, on y est depuis des années.
Chez Nidaa, Hafedh Caïd Essebsi fils à papa, a eu de très belles claques ce week-end, en prévision de l’interview que devrait donner son père, président de la République, ce soir à 19h à Myriam Belkadhi sur Al Hiwar Ettounsi. Il est de plus en plus lâché par ses bases et ses députés (il en a perdu 4 ce week-end). Même ses milices sur les réseaux sociaux ont dû abdiquer après avoir constaté que l’avenir se jouera sans lui et qu’il est incapable de sauver l’un d’eux de la case prison en cas de problème.
Chez le Machrouû, on a changé de position de 180°. Le parti s’est effrité au point que Mohsen Marzouk a dû se déculotter pour affirmer, maintenant, son soutien à Youssef Chahed et sa disposition à participer à une coalition gouvernementale.
Chez Harak Tounes El Irada, et contrairement aux autres partis, l’implosion a été soudaine et spectaculaire. Cela fait des années qu’on dit que Moncef Marzouki est un valet du Qatar et de la Turquie, qu’il est un incapable, mégalomane et égoïste et cela fait des années que ses milices nous démentent, nous injurient et tentent de nous intimider. Ni la claque des législatives et de la présidentielle 2014, ni celle bruyante des municipales 2018, n’ont fait prendre conscience aux membres d’Irada qu’ils sont à côté de la plaque et en déphasage total avec la population. Il y avait toujours un bouc émissaire prêt à l’emploi (souvent les médias) pour justifier leur échec. Il a fallu qu’ils entament sérieusement les préparatifs des élections de 2019 pour se rendre compte que Moncef Marzouki est un têtu qui ne roule que pour sa propre bosse et pour ses propres intérêts personnels. Il veut mobiliser toute une machine électorale et partisane pour que lui, revienne au palais de Carthage. Quant au parti, les législatives et l’intérêt du pays, il s’en moque. Faute d’intérêt personnel, ses troupes ont fini par se rendre à cette évidence et l’ont lâché. Pourquoi voudriez-vous qu’ils participent à une campagne en sachant d’avance que leur président ne vaincra pas ? Et quand bien même il vaincrait, il ne pourra pas leur offrir plus qu’un simple petit poste de conseiller au palais de Carthage ou, au mieux, un poste de ministre de la Défense ou des Affaires étrangères.
Qui de Béji Caïd Essebsi, Hafedh Caïd Essebsi, Mohsen Marzouk et Moncef Marzouki, a retenu la leçon de ce qui leur est arrivé ou arrivé à leur parti, ces derniers temps ? Au vu des réactions des uns et des autres, la réponse est claire : personne !
Chacun d’eux est dans sa tour d’ivoire, se prenant pour le nombril du monde, vissé sur ses positions. « J’ai raison envers et contre tous, j’ai raison contre l’évidence même », devraient-ils penser. Il faut dire qu’ils ne sont pas trop différents de leurs compatriotes, Tunisiens, experts en tout.
D’après les quelques échos nous parvenant du palais de Carthage, Béji Caïd Essebsi ne devrait pas déroger à cette règle. Dans son interview de tout à l’heure, il devrait poursuivre son soutien à son fils dans son combat contre son chef du gouvernement Youssef Chahed. En dépit de tous les avertissements, en dépit des démissions, en dépit des conseils de ses plus proches, en dépit des analyses des plus grands éditorialistes du pays, le président de la République devrait jouer la fuite en avant. J’espère sincèrement être démenti par Béji Caïd Essebsi en retrouvant ce soir celui qu’on a connu en 2011-2015, l’homme d’Etat qui privilégiait la patrie au parti et à sa propre personne. L’espoir est mince, mais il fait vivre.
Hélas pour nous concernant les uns, heureusement pour nous concernant les autres, tous ces présidents demeurent enfermés dans leur tour d’ivoire, mus par leur ego surdimensionné et ne se rendent pas compte qu’ils sont déjà morts. Ils sont accrochés à leurs fauteuils, se croyant éternels et refusant tout constat d’échec. Ils n’ont d’oreille que pour leurs laudateurs et leur miroir qui leur dit chaque jour qu’ils sont les plus beaux. Ils ont beau être chevronnés en politique, comme Béji Caïd Essebsi, et disciples des plus grands politiciens, comme Moncef Marzouki ou Mohsen Marzouk, ils n’ont rien retenu de ce qu’ils ont vécu ou de ce qu’ils ont lu. Face à l’exercice du pouvoir et la magie maléfique du fauteuil présidentiel, ils sont devenus sourds et aveugles. Non messieurs, non seulement vous n’êtes pas immortels, mais vous êtes déjà morts ! Il vous reste encore quelques jours pour sortir par la grande porte et ne pas recevoir une autre claque humiliante, saisissez cette opportunité et ne faites pas comme les Néjib Chebbi, Mustapha Ben Jaâfar ou Sihem Ben Sedrine qui ont été trainés dans la boue, parce qu’ils ne se sont pas aperçus de leur mort à temps. Il faut savoir quitter la politique quand l’amour des partisans est desservi.