Violences dans les stades : Et ce qui devait arriver arriva…
Le samedi 31 mars 2018 sera considéré à jamais comme une journée noire pour le monde sportif tunisien. Aux détours d’un match ordinaire comptant pour la 22ème journée du championnat national de football, Omar Laâbidi, jeune supporteur du Club Africain, âgé de 19 ans, trouve la mort. Il s’est noyé au niveau de Oued Meliane, qui se trouve à plus de deux kilomètres du Stade Olympique de Radès. Retour sur un tragique événement qui a endeuillé toute la société tunisienne.
« Taâlem Oum » (apprends à nager) ! Depuis samedi dernier, ce slogan, devenu vite viral, envahit la toile. Parti d’un hashtag créé sur twitter, la phrase choc se partage en masse sur Facebook, l’espace virtuel prisé et très influent en Tunisie. A l’origine de cette campagne relayée depuis par plusieurs activistes et groupes de supporters des différents clubs, une phrase qu’auraient prononcée des policiers à l’adresse du défunt Omar Laâbidi, qui les auraient suppliés de ne pas le pousser dans la rivière car il ne savait pas nager. Là, des policiers lui auraient ordonné d’« apprendre à nager »
C’est la version avancée par les derniers compagnons du défunt ainsi que par son frère, par ailleurs agent de la protection civile, pour expliquer la mort du jeune supporter.
Noyé dans l’Oued, se retrouvant seul dans cet espace qu’il ne maîtrise pas, et sans aucune voie de secourir, Omar finira par rendre l’âme
Les agents de la protection civile arrivés une heure après le signalement de la disparition, finiront par repêcher le cadavre plus de 12 heures après, soit le lendemain à l’aube. La faute à un manque de matériel leur permettant d’effectuer des plongées après le coucher du soleil. Matériel élémentaire qui pourrait, pourtant, contribuer à sauver bien des vies.
Si ces faits ont été décrits par les proches de la victime, aucune source officielle n’a donné une version des faits complète et détaillée dans une conférence de presse ou dans un communiqué. De même, un silence radio est observé de la part de l’autorité judiciaire qui devrait éclairer les nombreuses zones d’ombre qui entourent cette affaire.
Le ministère de l’Intérieur est, jusqu’à aujourd’hui, le seul à avoir réagi. Il s’est, d’ailleurs, contenté de dépêcher son porte-parole Khalifa Chibani, lundi 2 avril 2018, sur un plateau télévisé assez peu médiatisé, d’après les taux d’audimat, pour affirmer dans un langage assez classique qu’une enquête judiciaire et interne a été ouverte, et que l’appareil sécuritaire se mettait à disposition de la justice pour un bon déroulement de l’enquête.
Toutefois, Chibani a fini par reconnaitre, sous la pression des intervenants et des chroniqueurs, l’existence de « certains abus » dans le traitement policier infligé aux supporters. Il a aussi indiqué que tout agent qui serait mis en cause lors de l’enquête sera sanctionné selon ce que prévoit la législation. En revanche, aucun commentaire ou version des faits n’a été avancé par son département pour expliquer les détails de cette affaire ne serait-ce qu’aux proches de la victime.
Pour Chibani, le ministère fournira les éléments en sa disposition uniquement à la justice, seul organe habilité à établir la vérité dans cette affaire. Le fait qu’il y ait eu un mort, des blessés et des interpellations, ne semble pas susciter outre-mesure l’émoi du ministère. Une enquête a été ouverte mais il est fort probable que la vérité soit enterrée sous une tonne de PV douteux et de dossiers poussiéreux.
En réalité, cette position très « formaliste » du ministère de l’Intérieur trouve son explication. D’une part, le département se cache derrière des arguments procéduriers juridiques pour ne pas évoquer le fond de l’affaire et se contenter de commenter la forme, mais surtout il sait très bien que la justice mettra un temps considérable pour trancher cette affaire. Il fait donc tout pour gagner du temps afin d’absorber la colère des supporters et de l’opinion publique.
Cette « stratégie médiatique » a des revers. Au lieu d’analyser, d’expliquer et de traiter le phénomène de la violence dans les stades, les policiers préfèrent adopter la politique de l’autruche et font pression pour « imposer » des huis clos dans les prochaines rencontres sportives. Sauf que dans les travers des gradins et des virages, la colère monte et les affrontements avec les forces de l’ordre deviennent monnaie courante. Plus que jamais, la relation supporter- policier se rapproche du point fatidique de non-retour.
On ne compte plus les affrontements à l’intérieur et à l’extérieur des enceintes sportives entre des groupes de supporters de plus en plus organisés, engagés et, dans une certaine mesure, violents et des policiers qui continuent d’user de l’autorité et du bâton pour réprimer toute contestation. Pendant ce temps, le ministère du Sport, dans le déni, se contente d’observer la situation du haut de sa tour d’ivoire. Aucune étude sérieuse n’a, jusque-là, été faite pour comprendre et traiter ce phénomène qui risque de faire beaucoup de dégâts en Tunisie.
En réalité, l’ambiance dans les stades n’est qu’un thermomètre de ce qui se passe dans le pays. La violence qui y règne doit être vue comme un sérieux indicateur de la tension de la société, et un avertissement à l’encontre de ceux qui gouvernent. En s’attaquant à des policiers ou à d’autres groupes de supporters, les jeunes fans ne font que ressortir leur frustration face à une situation de plus en plus préoccupante : chômage en masse, violences policières, détérioration du pouvoir d’achat et hausse du sentiment d’injustice. Autant de facteurs qui ont contribué au déclenchement de la révolution de 2011 et qui continuent de peser sur les épaules d’une jeunesse tunisienne de plus en plus désemparée…
Nessim Ben Gharbia