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Chroniques
Un président consensuel avant les élections est vital
11/08/2014 | 16:59
6 min
Par Nizar Bahloul

La semaine dernière, nous n’avons enregistré aucune mort de soldat ou de membre des forces de l’ordre. Une pareille semaine est à mentionner, tant la mort de nos vaillants défenseurs s’est banalisée depuis quelque temps. Le dernier soldat assassiné n’a pas eu droit, comme ses pairs, au cérémonial habituel et à la déclaration d’un deuil national. Il parait que l’on ne doit pas donner de mauvais signaux pessimistes à la population, aux investisseurs et aux touristes. Ce climat de peur n’est pas bon, disent plusieurs de nos critiques. Parfait, il fait beau, le soleil est splendide, les hôtels sont proches du surbooking et tout va bien madame la marquise.
Alors puisque tout va bien, comme aimeraient le croire plusieurs concitoyens, continuons sur cette lancée positive et optimiste et regardons le rendez-vous électoral qui s’approche.

Ennahdha continue à se préparer sérieusement pour le scrutin. La première fournée, fuitée, des têtes de liste montre que le parti islamiste s’est débarrassé de ses clowns, de ses extrémistes et des fidèles de Hamadi Jebali.
A Nidaa Tounes, le combat bat son plein. Ça ne s’arrêtera jamais chez eux tant ce parti est hétéroclite.
A Ettakatol, on a éliminé ceux qui ne sont pas béni oui-oui.
A Afek, on a sélectionné les plus compétents, alors qu’à Al Massar, on continue à observer la sieste.
Que reste-t-il ? Le CPR. Ah oui, rien n’a fuité. C’est combien d’adhérents le CPR déjà ? Il y aura certainement un Kahlaoui à Ben Arous. Après les 500 voix obtenues en 2011, il entend faire mieux cette fois. Les autres Badi, Maâtar, Ben Hamidène, Ben Amor, Nefzi et Daïmi seront naturellement récompensés pour leur bonne et loyale servilité au chef et leurs insultes et bassesses à l’encontre de l’opposition et des médias. Trois ans de servitude, ça exige un retour d’ascenseur.

Je vous vois venir, à la lecture même de ces noms, vous n’avez plus envie d’aller vous taper trois heures de file d’attente pour glisser votre bulletin. C’est pourtant ce qu’il ne faut pas faire. Quoiqu’il advienne, il faut aller voter. Il faut se mettre dans la tête que les soldats de la troïka sont très disciplinés. Si on les laisse seuls, ils rafleront 100% des votes. Toute personne qui va glisser son bulletin, même si c’est un bulletin blanc, va réduire le pourcentage des troïkistes. Si cinq troïkistes et cinq démocrates votent, les nahdhaouis obtiendront 50% des voix. Si on laisse les cinq troïkistes aller voter seuls, ils obtiendront 100% des voix. Rappelez-vous en et dites le autour de vous.

Aller voter seulement n’est cependant pas suffisant pour contrer les programmes de la troïka. Il faut avoir un programme, ce que la gauche n’a pas.
Il faut avoir de bons candidats, ce que la gauche n’a toujours pas.
Il faut avoir de solides matelas financiers, ce que la gauche n’a pas.
Dans le camp d’en face, il y a le programme, les hommes, la discipline et l’argent. D’où vient cet argent ? On l’ignore et tant pis, il n’y a plus de temps matériel pour s’occuper sérieusement de ce problème.

Outre ces avantages, la troïka, et spécialement Ennahdha et le CPR, vont bénéficier d’un allié de taille, en la personne de Moncef Marzouki. Durant trois ans, le président de la République a fait pour les nahdhaouis le sale boulot. Depuis quelque temps, il s'est aplati face à eux. L’essentiel pour lui est qu’ils le maintiennent à Carthage. Après, on verra. Soutenu par le Qatar, le Maroc et l’Union européenne (du moins la France), Moncef Marzouki ne prend déjà pas la même ligne de départ que ses adversaires.
Il a en outre l’autre avantage d’être le locataire de Carthage, bien que son bail soit fini. Il l’a dit et répété à maintes reprises, il ne transmettra le poste qu’à un président élu. Hors de question pour lui de quitter avant.
Sachant qu’il va se présenter à coup sûr et qu’il bénéficie de toute la machine de l’Etat pour assurer sa campagne et espionner ses adversaires, il n’hésitera pas un instant à utiliser tous les moyens à sa disposition (et au-delà) pour demeurer là où il est.
Le fait qu’un président de la République demeure à son poste tout en étant candidat à la présidentielle n’a rien d’illégal et n’est même pas contraire à l’éthique. Mais ceci est valable dans les démocraties qui se respectent et dans les pays où les médias obligent les hommes et femmes politiques à démissionner quand ils font éclater un scandale.
Pour le cas de Moncef Marzouki, les scandales éclatent tous les jours et ça ne lui fait pas bouger un poil.
Les médias ont dévoilé plus d’un scandale de mauvais usage des deniers publics de ses soldats du CPR et aucun d’eux n’a réagi comme le font leurs pairs dans les démocraties respectables.

Contrairement à ce que pensent plusieurs, Moncef Marzouki est loin d’être naïf. Regardez sa réaction et la réaction de ses « soldats » lorsque le ministre de la Défense a poussé à la porte le général Mohamed Salah Hamdi. De toute la classe politique, seuls les CPR et les néo-révolutionnaires, ont crié au scandale pour mener une campagne contre le ministre et le chef du gouvernement. On les accuse de politiser l’armée en oubliant que c’est le mouvement opéré il y a un an par Marzouki qui a entamé cette politisation.
Marzouki et ses pairs n’hésitent pas à frapper partout, quand ils se sentent menacés. Deux exemples tout récents. A la démission du général Mohamed Salah Hamdi, la présidence de la République a annoncé, dans un communiqué, que son successeur sera choisi parmi ceux qui répondent aux critères de l’expérience, de l’ancienneté, de la neutralité politique et de l’intégrité. Est-ce à dire que nous avons des généraux qui ne sont pas intègres ? Après avoir mis en doute la crédibilité des institutions nationales privées (médias, cabinets de sondage…), c’est carrément l’armée que la présidence cible maintenant !
Outre les procès collés aux médias (au moins trois que sont Express FM, Tanit Press et Business News), on s’intéresse maintenant aux simples citoyens insolents qui osent qualifier le président par son surnom notoire. Huit mois de prison ferme pour ce Tunisien de 39 ans qui a osé dire « tartour » !
Que faut-il d’autre pour s’apercevoir qu’aucune élection transparente et digne de ce nom ne peut être organisée dans ces conditions et avec un tel candidat qui profite des deniers publics pour battre ses cartes.

Ennahdha a accepté de quitter le gouvernement pour bien finir cette période de transition. Que le parti islamiste ait été acculé à le faire ou qu’il l’ait fait de son plein gré, le fait est là, nous avons un gouvernement de technocrates qui accepte le jeu démocratique et ne s’ingère pas dans la politique.
Pour réussir les élections et pour qu’il n’y ait pas d’ambages à cette première élection présidentielle dans l’histoire de la Tunisie post-révolutionnaire, il est impératif que l’ensemble des candidats soient mis à pied d’égalité. Ensuite, c’est au plus valeureux de l’emporter. Il est hors de question de laisser des candidats profiter des dons ou des financements étrangers et encore moins profiter des deniers publics.
Le processus du dialogue national qui s’est mis d’accord pour désigner un successeur à Ali Laârayedh jusqu’aux prochaines élections doit se remettre autour d’une table pour faire de même avec Moncef Marzouki. Nous avons eu suffisamment d’élections entachées par le passé pour tirer les leçons nécessaires et ne pas refaire les mêmes erreurs.
11/08/2014 | 16:59
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