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Taux directeur : un signal au gouvernement et un coup de semonce aux banques
Par Houcine Ben Achour
21/02/2019 | 19:43
4 min
Taux directeur : un signal au gouvernement et un coup de semonce aux banques

 

Comme il fallait bien s’y attendre, la décision de la Banque centrale de Tunisie (BCT) de relever son taux directeur de 100 point de base, de 6,75% à 7,75%  a provoqué un tollé général. Mais aucun de ceux qui stigmatisent aujourd’hui une telle mesure ne fut capable de contester les raisons ayant amené l’autorité monétaire à décider cet ajustement.

Dans le brouhaha autour du taux directeur de la BCT, le silence du gouvernement est curieux. En effet, aucun membre du gouvernement, ni même le chef du gouvernement lui-même, n’a osé un avis, un commentaire, à fortiori une prise de position. L’adage dit que le silence est d’or. Malheureusement, celui du gouvernement semble être de plomb. Car, il ne fait aucun doute que le gouvernement a été informé de l’inéluctabilité de la décision bien avant la réunion fatidique du Conseil d’administration de la BCT.

 

Il ne faut pas s’en cacher non plus, l’accord sur les augmentations de salaires dans le secteur public n’a fait que précipiter la décision de l’institut d’émission. Celle-ci couvait depuis le début de l’année, à l’annonce des résultats du commerce extérieur du pays pour l’année 2018. Elle est devenue plus pressante encore avec la publication du solde de la balance commerciale du mois de janvier 2019. L’accord sur les salaires a fait le reste.

 

Pourtant, un indicateur pouvait encore freiner le processus de décision de la BCT. Pour la première fois depuis 5 ans, le rythme de croissance du PIB dépasse le rythme de croissance de la consommation,  avec un taux de 2,6% contre 2,1%. Tandis que durant la période 2013-2017, la moyenne de croissance du PIB était de 1,8% alors que celle de la consommation affichait une moyenne annuelle de 3%. Cela ne semble pas avoir suffi pour faire pencher la balance face à l’abyssal déficit de la balance commerciale de 19 milliards de dinars enregistré pour toute l’année 2018 ; déficit qui a entraîné un déficit record de la balance des paiements courants de plus de 11% par rapport au PIB.

La Banque centrale avait pourtant alerté le gouvernement sur la nécessité absolue de réduire les importations durant l’année 2018. L’institut d’émission avait établi pour le gouvernement une liste de produits pour lesquels aucun crédit d’importation ne serait autorisé jusqu’à nouvel ordre. Autrement dit, il fallait payer cash l’achat de devises nécessaires à l’importation de ces produits. Selon les simulations de la BCT, cette liste devait permettre de dégager 5 milliards d’économie en devises. Las, la pression des lobbies, des copains et des coquins, a fait que la liste de la BCT a été modifiée de multiples fois au niveau du ministère du Commerce, radiant des dizaines de produits. A tel enseigne qu’il ne fallait espérer de la liste définitive publiée par le ministère du Commerce qu’un gain en devises d’un milliard de dinars. Cette dernière liste n’a même pas été reconduite pour l’année 2019.

 

En quelque sorte, il apparait que c’est en désespoir de cause que la BCT a été acculée à relever son taux directeur. Et son objectif premier est de freiner les importations par le seul moyen en sa possession, c'est-à-dire le taux d’intérêt, conscient des dommages collatéraux que cela provoquerait particulièrement au niveau de l’investissement.

La décision de la BCT constitue par ailleurs un véritable coup de semonce aux établissements de crédits. L’autorité monétaire reproche aux banques leur mollesse dans la politique de rationalisation du crédit. Un premier signal leur avait été lancé d’une part, par le rabaissement du ratio de couverture des crédits par les dépôts à 110% alors que la norme de Bâle impose un ratio plafond de 100%, et d’autre part en exigeant des garanties constituées à hauteur de 60% de titres de créances privées reflétant mieux la structure de leurs portefeuilles commercial et d’investissement. Elles aussi n’en ont eu cure.

Le Tunibor, qui est le taux d’intérêt sur la base duquel les banques sont disposées à se prêter de l’argent sans garantie sur des échéances allant d’une semaine à un an, affiche 7,67% à une semaine et 9,35% sur un an, alors que la facilité de prêt sur 24 heures proposée par la BCT est de 7,75%  et le Taux directeur à 6,75%, avec présentation de garanties. Là aussi, la réaction de l’autorité monétaire était inévitable dès lors qu’on touchait à la crédibilité d’un instrument fondamental de la politique monétaire.

 

« L’augmentation du taux directeur renforcera la crédibilité de la BCT en donnant le signal fort au grand public que la BCT est déterminée à lutter contre l’inflation en fixant les anticipations des investisseurs et en stabilisant le fonctionnement des marchés », indique-t-on du côté de la rue Hédi Nouira.

Par Houcine Ben Achour
21/02/2019 | 19:43
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Commentaires (4)

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Mansour Lahyani
| 23-02-2019 12:13
"Comme il fallait bien s'y attendre" ? Jamais encore une décision de la BCT au sujet des conditions de banque n'a soulevé un tel tollé ! Le TMM a été disséqué, interprété à toutes les sauces, jusqu'à en devenir non-comestible et toxique à l'envi... Il a même été mis au programme des entretiens de hauts responsables politiques dont l'un, au moins, n'en avait jamais entendu parler, mais à juste titre : qu'est-ce que la BCT et son arsenal de mesures de gestion de la masse monétaire pouvaient bien gagner de ce déballage de décisions bien trop techniques pour être au menu des discussions de comptoir et dans les plénières de l'ARP ?
Revenons un peu plus vite à l'orthodoxie de la palabre ordinaire, et laissons les instruments de la politique monétaire à qui en comprend réellement les arcanes : le TMM ne peut pas être réduit au niveau d'un joujou entre les doigts gantés des invitées d'El Ouafi, ni entre les gros doigts de Taboubi!

ABC
| 22-02-2019 14:57
Tuer l'économie pour sauver l'économie?
Des taux d'intérêts aussi élevés vont mettre en faillite la moitié des entreprises et la moitié des ménages!
Le phosphate devrait revenir à des niveaux d'exportation supérieurs à 2010, Un contrôle sévère et sans pitié des prestations touristiques pour monter en gamme et augmenter de 20 ou 30% les recettes, et une gestion sérieuse des entreprises publiques en ruines, ramener des gestionnaires étrangers s'il le faut, tout cela avec un vrai coup de frein à toutes les importations non essentielles.
Si le Dinar revient à 2 Euros, il y aurait un énorme gain de pouvoir d'achats pour tous les tunisiens et une capacité d'investissement en équipements pour les entreprises. En plus d'aider au payement de la dette, libellée en Dollars et Euros.
A moins que l'objectif soit de ruiner le pays pour le vendre en pièces détachées?

DHEJ
| 22-02-2019 10:05
Pour créer un MINISTERE DU COMMERCE EXTERIEUR comme son mentor BCE responsable des affaires étrangères!

Forza
| 21-02-2019 20:07
La situation est tellement difficile que les autorités ne savent pas où commencer. Il y'a besoin d'un plan avec des actions déterminées qu'il faut mette en exécution avec fermeté indépendamment des lobbies. La banque centrale était obligée d'agir même si on peut se demander s'il n'était pas mieux de procéder sur deux étapes 50 points + 50 points après trois ou six mois. Les prochaines semaines montreront si la dose était la bonne ou s'il fallait faire moins ou plus, pas de salut sans production et sans austérité en ce qui concerne les produits de luxe mais on voit bien que le lobby des concessionnaires de voitures prépare la prochaine attaque.