alexametrics
vendredi 29 mars 2024
Heure de Tunis : 09:41
A la Une
Success story à Sbeïtla : hier paysannes précaires, aujourd'hui femmes d'affaires
19/11/2017 | 15:59
7 min
Success story à Sbeïtla  : hier paysannes précaires, aujourd'hui femmes d'affaires

 

Elles s’appellent Essia, Sana, Dalenda, Dalila, Jamila, Sondos, Sana, Mbarka, Delenda, Noura, Karima, Nabiha, Kaouther, Ahlem, Sana, Imen et Sihem. Elles ont bravé la précarité, l’analphabétisme et les interdits d’une société foncièrement patriarcale pour lancer leur projet, celui de leurs rêves, une fromagerie artisanale à Sbeïtla.

 

 

A près de 300 km au sud-ouest de Tunis se niche Sbeïtla, une ville construite autour de la cité romaine antique « Sufeitula » fondée par l’empereur Vespasien. Sbeïtla est connue pour son site archéologique aux vestiges exceptionnellement bien conservés, elle est aussi connue pour faire partie du gouvernorat de Kasserine, une zone « chaude », trop proche du mont Châambi infesté de terroristes. Victime d’une réputation sans doute amplifiée, notamment par les médias, Sbeïtla est pourtant une ville animée de projets et d’espoirs. Nous avons eu la chance de le constater lors d’une visite que nous avons effectuée auprès de 17 jeunes entrepreneures de la région, au sein de leur fromagerie.

Grandes gagnantes du prix agricole de la BNA, décerné en marge du salon de l’Agriculture, le groupe composé de 17 jeunes femmes, toutes originaires de Sbeïtla, nous avait fortement marqué. Ce sont donc des femmes enthousiastes, intrépides et animées par une volonté de fer que nous avons rencontré. Elles nous ont livré leur parcours, leurs espoirs, ce qui les anime et leurs ambitions.

 

Aussitôt arrivés, nous avons été pris en charge par la pétillante Essia. « Voici l’endroit par lequel tout commence » nous a confié la jeune femme. « Ici, le lait est réceptionné puis analysé, s’il est conforme il est transféré chez mes collègues de l’atelier de fabrication des fromages » a-t-elle poursuivi.

 

La représentante de la fromagerie Elathar, Karima Harhouri, nous a renseigné, pour sa part, sur les tâches attribuées aux équipes. « Nous avons ici une vice-présidente, une trésorière, deux filles chargées de l’analyse, deux autres pour la fabrication, deux pour le nettoyage, deux pour l’emballage et puis encore deux filles chargées du point de vente » a-t-elle révélé.

« Nous avons toutes bénéficié d’une formation offerte par le bureau international du travail (BIT), et c’est de là que tout est parti. Nous avons eu de nombreuses formations, sur l’alimentation du bétail, le lait, les analyses, tout ceci nous a pris près de quatre ans et entre temps, nous avons lancé notre projet et nous avons écumé les foires et les expositions pour promouvoir nos produits et notre région » nous a confié Karima.

 

« Le BIT s’est intéressé à Sbeïtla et a découvert une région avec des ressources inexploitées, dont l’élevage des vaches laitières. Ainsi, l’idée est née de transformer ce lait, qui part d’habitude exclusivement vers les centres de collecte, en un produit de qualité et à valeur ajoutée. Des générations ont nourri le rêve de profiter des ressources locales pour monter des projets et améliorer leurs conditions, alors quand l’idée nous a été proposée nous nous sommes rassemblées et nous avons entamé notre formation avec un enthousiasme tel que nous avons appris en un mois ce que certains mettent des années à intégrer »a précisé Essia.

« Nous avons été aidées, plus nous montrions de la détermination et plus nous avions du soutien, que ce soit en formation, en matériel, le local et pour finir nous avons pu bénéficier du financement de la part de la Banque nationale agricole (BNA), qui nous a permis d’acheter chacune quatre vaches et de produire notre propre lait, ce que nous avions réclamé pour produire un fromage de qualité fabriqué exclusivement de lait et non celui fait à base de lait dilué ou de poudre, comme on peut en trouver dans les commerces » a-t-elle ajouté.

 

« La BNA ne s’est pas arrêtée là, la banque nous a offert un véhicule réfrigéré pour transporter nos produits car nous avions émis le souhait au PDG de la BNA, Habib Ben Hadj Kouider, de conquérir d’autres marchés et de voir le fromage de Sbeïtla sur les rayons des grandes surfaces du pays » a poursuivi Essia, le bout-en-train de la bande.

 

Décliné en plusieurs variétés, le fromage parfumé aux herbes ou nature, du yaourt, du lait caillé, du beurre, de la ricotta, de la mozzarella, le lait avec lequel sont fabriqués les produits de la fromagerie est contrôlé dès la traite et jusqu’à ce qu’il arrive dans les bassines de fabrication. Un gage de qualité dont se sont vanté les jeunes femmes entrepreneures, trop soucieuses de présenter un produit « exceptionnel » mais mieux encore, à un prix très compétitif.

« Nos produits sont proposés à des prix nettement plus bas que ceux que nous avons relevé à Tunis notamment, alors que notre produit est de meilleure qualité que certains fromages plus chers que nous avons eu l’occasion de voir. Il faut absolument qu’on puisse promouvoir nos produits et puis qui sait, un jour notre magasin sera un lieu incontournable de la ville pour les visiteurs et Sbeïtla sera aussi célèbre pour ses fromages » a affirmé Essia.

 

Un enthousiasme qui ne laisse pas indifférent, surtout que les conditions ne sont toujours pas optimales. En effet, lors de notre visite nous avons constaté que si le local a bien été aménagé et que le matériel est bien là, aucune machine ne fonctionne. Nous avons interrogé les filles à ce sujet et elles nous ont confié que depuis près d’un an, elles travaillent artisanalement leur fromage car la STEG ne leur a toujours pas branché l’électricité « on ne sait pourquoi ».

 

Notre visite s’est achevée avec un point confidences. A travers ce projet, ces 17 femmes nous ont confié entrevoir un avenir meilleur et une mission, celle de promouvoir leur région. Le parcours n’a pas été facile, et nombre d’entre elles nous ont fait part des obstacles, notamment familiaux, rencontrés. « Vous savez, durant toutes ces années, nos maris, pères, frères, ont tenté de nous décourager, nous rabâchant que ce que nous faisions était vain, que nous serions plus utiles à traire des vaches dans nos champs et nous avons tenu bon ! Si l’une de nous était interdite de venir au travail, nous nous rassemblions, les 16 autres pour aller convaincre le père et nous la ramenions avec nous » ont-elles expliqué, une leçon de ténacité et de volonté.

 

Le projet de la Société Mutuelle de Services Agricoles « Elathar »s’est notamment inscrit dans le cadre des nouveaux concepts de financement des chaines de valeurs agricoles (CVA) proposés par la BNA. Ce concept s’articule autour d’un Interface qui est un crédit de gestion accordé à l’opérateur économique chargé de la valorisation d’une filière qui est destiné à couvrir les besoins d’exploitation des petits agriculteurs, il s’agit en somme d’un crédit tripartite accordé aux éleveurs pour l’acquisition du matériel d’élevage et pour leurs besoins d’exploitation. Un financement adressé à des entrepreneurs qui ne sont pas éligibles pour bénéficier d’un crédit et dont la banque est particulièrement fière. C’est d’ailleurs une fierté partagée par les premiers intéressés.

 

Les femmes que nous avons rencontrées entendent bien faire bon usage de ce financement amplement mérité. Une volonté qu’elles n’ont cessé d’exprimer tout au long de notre visite et qui nous a poussé à nous demander si le succès n’était qu’une question de gain ou s’il peut également s’agir du simple fait de mettre un projet sur pied, dans les conditions les plus improbables. Pour cette fois nous avons opté pour une sucess story de détermination, de travail acharné, une de celles qui redonnent de l’espoir et qui nous rappellent qu’avec de la volonté on peut venir à bout de toutes les marginalisations… 

 

Myriam Ben Zineb

19/11/2017 | 15:59
7 min
Suivez-nous

Commentaires (32)

Commenter

Blanche neige
| 22-11-2017 11:21
Nos banques et toute sorte de nos Agences ne savent plus lancer des projets d'eux-mêmes et de leurs propres initiatives. C'est honteux et à plaindre. Merci à UE OIT /

Gg
| 21-11-2017 21:34
Oui, il ne plaît pas à la censure que l'on pose des questions sur cette belle réalisation industrielle.
Pourtant, je demandais seulement ce que fait le drapeau européen sur l'une des photos, en fait je me demandais si par hasard ces femmes en foulard, qui méprisent l'Europe, n'aurait pas accepté son argent.
Et je faisais remarquer que dans les entreprises de ce genre, on porte le bonnet en lieu et place du foulard, et la blouse intégrale. Question d'hygiène.
Mais bravo, au moins elles se remuent!

HAtemC
| 21-11-2017 18:16
Il faut comprendre que la Tunisie comptent facilement entre 70 et 80% de femmes incultes et analphabètes c'est énorme ... cette catégorie de femmes est facilement manipulée et se voilent souvent sous la pression de l'entourage ... les régions du Sud ... du Nord Ouest ... Est ... sont concernés .... d'ailleurs certaines régions le voile est mis à 100% et celles qui se définissent comme la classe moyenne elles se voilent par opportunisme ...

Le pays qui a voilé rapidement toutes les femmes reste l'Egypte et suivi de près par l'Algérie ... le Maroc c'est fait depuis belle lurette c('est le pays le plus conservateur ... HC

TAW TCHOUFOU
| 20-11-2017 23:55
Une simple question , toujours sans réponse : où est mon commentaire ?


B.N : Merci de relire nos règles de modération

lebochat
| 20-11-2017 19:54
Bravo pour votre courage et vos ambitions
soyez fier de vous violé ou pas en s'en fou tant que votre fromage est bon et de qualité

Zohra
| 20-11-2017 18:48
Vous savez ça m'arrive à être très mâle à l'aise en Tunisie partout où je vais dans les milieux, des profs, de femmes de médecins, femmes d'avocats, femmes d'ouvriers.... sont voilées et dès elles me regardent bizarrement.
Sérieux je ne suis plus à l'aise en Tunisie. Le pire qu'il ya beaucoup d'hypocrisie dans l'histoire.

HAtemC
| 20-11-2017 18:04
Le poids de l'islamisation ... ça commence dans les régions défavorisées .. plus réceptives au discours populiste ... et ça prend de l'ampleur quand les femmes en générale sont agressions verbalement ...
Elles ne comprennent pas qu'elle diffuse l'islamisme par leur accoutrement ... le voile est un signe distinctif de l'islamisme ... HC

anti rats
| 20-11-2017 17:52
Bravo à ces honorables dames
fierté du pays
vs travaillez dur tandis que des hommes jouent aux cartes ou sont en train d organiser des harkas

Microbio.
| 20-11-2017 17:20
L'hygiène en général est un mot étranger: comme aussi à l'hôpital, une Blouse est seulement habillée pro forma. JAMAIS FERMÉE, et cela en dit long ..

Zohra
| 20-11-2017 17:05
Bonjour,

80 % des femmes habillées de cette façon en Tunisie aujourd'hui. Alors on fait même plus attention. Bouguiba doit se retourner dans sa tombe.

Bonne continuation