Souad Abderrahim n'est pas juste une femme
Par Synda Tajine
L'information du jour est sans doute l'élection de Souad Abderrahim à la tête de la municipalité de Tunis.
L'élection de la première femme au poste de "Cheikh de la Médina" est quand même un événement à saluer. Les femmes peuvent toutes en être fières. Vraiment?
Toute personne, un tant soit peu soucieuse de s'attaquer au problème du plafond de verre, de l'instauration d'une égalité entre les genres et de la réussite de femmes aux compétences avérées à un poste de prestige, ne pourrait qu'être fière de cette élection.
Seulement voilà, l'élection de Souad Abderrahim à la mairie de Tunis est-elle un gage de sa compétence? Est-ce une preuve que la candidate d'Ennahdha est indéniablement un choix de première qualité pour occuper ledit poste?
Permettez-moi d'être sceptique. D'accord, Souad Abderrahim est une femme. Elle est aussi une personne instruite, en théorie cultivée. Il s'agit aussi d'une militante islamiste ne portant pas le voile et habillée à l'occidentale, comme nombreuses femmes qui s'identifient à elles.
Mais ceux qui se réjouissent aujourd'hui de l'ascension de Souad Abderrahim à un poste pour lequel aucune autre femme n'a eu droit auparavant, se focalisent uniquement sur le fait que c'est une femme et occultent complètement qui elle est vraiment. N'est-ce pas ça le plus important? N'est-ce pas être tout aussi sexiste que ceux qui estiment qu'une femme ne peut occuper ce poste car...c'est une femme?
Que ce soit bien clair, Souad Abderrahim ne doit pas ce poste à ses compétences, mais uniquement au fait qu'elle soit la représentante du tout puissant parti islamiste et donc l'un de ses pions. Vu la discipline implacalble qu'on reconnait tous au parti de Rached Ghannouchi, Souad Abderrahim sera une autre porte-parole d'Ennahdha, qui portera son message et ses objectifs et ne fera rien de plus que servir sa cause. Saura-t-elle défendre les valeurs de ceux qui voient en son ascension un événement? Saura-t-elle porter le message des citoyens qui aspirent à la liberté et à une avancée de leurs droits? Il est évident que non.
La percée islamiste dans ces municipales montre à elle seule à quel point les pogressistes, eux, ont échoué à instaurer les valeurs pour lesquelles ils se sont battus. Ça n'aura pas été les progressistes, eux qui ont longtemps défendu, à demi-mots, les grandes valeurs de la femme, de son émancipation et de sa liberté, qui auront permis d'élire la première cheikh de la municipalité de Tunis. Si l'élection de Souad Abderrahim ne peut qu'être saluée, elle ne fait que pointer du doigt l'amateurisme et la grande improvisation de ses adversaires au pouvoir qui lui ont permis d'être là où elle est aujourd'hui.
Mais il ne faut pas avoir la mémoire courte. Si l'élection de Souad Abderrahim à la municipalité de Tunis est sans conteste un évenement, il ne faut tout de même pas se leurrer. N'oublions pas ses déclarations hostiles à la cause de l'émancipation féminine, ses propos incendiaires et moralisateurs contre les mères célibataires qu'elle avait qualifié d'"infamie" pour la société tunisienne et les enfants nés en dehors du cadre légal du mariage.
Je félicite Souad Abderrahim pour son élection. Pas uniquement parce que c'est une femme, mais parce qu'on ne peut que saluer l'acharnement, la détermination et la grande discipline dont son parti Ennahdha a su faire preuve pour arriver à ses fins. Arriver à donner cette image de lui, de parti civil, moderne, soucieux des intérêts des citoyens en constant changement et qui sait se remettre en question en utilisant Souad Abderrahim, Lotfi Zitoun, et bien d'autres. Un parti islamiste qui a su réaliser cela alors que ceux dont le progressisme est le gagne-pain et le fond de commerce ont échoué.
Nombreux progressistes pensent que la victoire de Souad Abderrahim est aussi la leur. Mais s'agit-il d'être content lorsqu'une femme, peu importe qui elle est, accède à un poste longtemps réservé aux hommes? Non il n'est pas suffisant d'être une femme. Si longtemps, des hommes incompétents ont été élus cheikhs de la Médina, pourquoi se réjouir uniquement car une femme aux compétences non avérées a réussi à le faire? Il ne s'agit pas de remplacer des incompétents par des incompétentes ni de défendre le diable lorsqu'il porte des habits de femme...