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Chroniques
Socle de protection social ou l’Etat-providence de Youssef Chahed
01/02/2018 | 18:12
4 min

C’est vraiment dommage que le discours du Chef du gouvernement, Youssef Chahed, à l’ouverture de la Conférence de haut niveau, tenue les 29 et 30 janvier 2018 à Marrakech, organisée par le FMI, le FMA, le FADES et le gouvernement marocain sur le thème, de la promotion de la croissance, de l’emploi et de l’inclusion dans le monde arabe, soit médiatiquement passé inaperçu, escamoté par la visite d’Etat qu’effectue actuellement le Président français Emmanuel Macro en Tunisie. Le discours méritait d’être approfondi, tant il se situait à rebours de ce qu’on pouvait attendre ou plutôt de ce qu’on a l’habitude d’entendre en pareilles circonstances où tout est convenu que ce soit en termes de diagnostics ou de pré-requis et autres exigences de croissance que l’on veut aujourd’hui inclusive et durable. Bref, le lieu commun.

A l’occasion, Youssef Chahed a visiblement surpris ses hôtes et particulièrement le FMI, le bailleur de fonds incontournable des pays en crise financière, en balayant d’un revers de main ses exigences de réformes dans le seul objectif de dégager de la croissance, sans se soucier des effets sociaux dévastateurs de ces réformes, ni des nécessités d’une juste répartition des fruits de cette croissance. Le simple rappel du Chef du gouvernement, à l’entame de son intervention, sur le fait que la croissance économique affichée par ce « bon élève » avant 2011 a débouché sur une révolte qui a tout balayé sur son passage, était un premier message coup de semonce adressé aux participants et particulièrement aux bailleurs de fonds présents. 

 

Les politiques qui se fondent essentiellement sur le critère quantitativiste du PNB par habitant ne peuvent faire qu’illusions si par ailleurs le citoyen mesure le progrès économique de son pays selon l’évolution de son propre niveau de vie ; niveau de vie qui prend certes en considération le niveau de revenu mais aussi les opportunités d’emploi, la sécurité économique et les perspectives de bien être, a-t-il signifié. Il enfoncera un peu plus le clou en invitant les bailleurs de fond à intégrer d’autres critères que la croissance et les équilibres macroéconomiques pour mesurer les performances d’un pays, suggérant de s’inspirer de l’approche du Forum économique mondial de Davos qui ne privilégie pas moins de 15 critères, ces fameux « piliers », pour juger les prédispositions socioéconomiques d’un pays au développement et au progrès.

 

Le SPS : un projet en attente depuis 2014

A un moment où l’équipe du FMI  est encore en train de plancher sur l’état d’avancement du programme de réformes du gouvernement pour pouvoir bénéficier d’une tranche supplémentaire du crédit élargi mobilisé en faveur de la Tunisie, Youssef Chahed n’y est pas allé avec le dos de la cuillère soulignant, à l’occasion, que les réformes économiques engagées et celles à mettre en œuvre doivent être accompagnées des dispositifs et des moyens qui en réduisent les effets néfastes sur les catégories sociales les plus vulnérables  et même au-delà en dégageant de nouvelles espérances. Pour ce faire, le Chef du gouvernement n’a pas hésité à annoncer la mise en place d’un Socle de Protection Sociale (SPS), un projet qui dort depuis un lustre dans les tiroirs du ministère des Affaires sociales. Ce dispositif devrait être à la base de la stratégie d’intégration sociale et s’articulera autour de trois axes : la garantie d’un revenu minimum permanent pour les familles nécessiteuses, c'est-à-dire une variante du revenu universel, la couverture médicale globale et le soutien à l’acquisition d’un logement décent pour les familles à faibles revenus.

L’idée du Socle de protection social a émergé en 2014. A l’époque, il avait fait l’objet d’une large consultation entre le gouvernement, les partenaires sociaux et les représentants de la société civile. Pour ses initiateurs, ce socle constituerait « la solution la plus adéquate et appropriée pour l’affranchissement d’une frange importante de la population de la trappe de la pauvreté chronique et l’autonomisation des populations économiquement vulnérables et à besoins spécifiques (personnes âgées, handicapés…). Il permettra aux employés pauvres et vulnérables de passer de l’économie informelle à l’économie formelle en transitant par des activités de subsistance à faible rendement pour devenir des contribuables et des cotisants. Cela permettra de libéraliser le potentiel productif de l’économie nationale et de renflouer le budget de l’Etat et les caisses sociales à travers l’élargissement de l’assiette d’impôt et de cotisation plutôt qu’à travers l’accroissement des taux de cotisation et d’imposition ». A l’époque, on avait estimé le coût total d’un paquet de garanties pour un  Socle de protection sociale « de base » couvrant les enfants, les personnes handicapées, les chômeurs et les personnes âgées à 3,5% du PIB. L’équivalent des dépenses engagées par l’Etat pour la recapitalisation des banques publiques, STB, BNA et BH. C’est un « investissement », avait déclaré Izabel Ortiz, Directrice du département de la Protection sociale au sein de l’Organisation internationale du travail (OIT), lors d’une conférence nationale organisée en septembre 2014 sur le thème annonciateur : « Pour la mise en place d’un Socle de Protection Sociale en Tunisie ».

 

En faisant sien ce projet, Youssef Chahed chercherait-il à remettre au goût du jour le concept de l’Etat-providence au grand dam ses bailleurs de fonds libéraux, partisans du seul Etat-gendarme ? Cela en a tout l’air. Cela lui conviendrait forcément dans la perspective de l’élection présidentielle de 2019. Il se donne ainsi le temps de la concrétisation de cet objectif. Car, sa mise en place nécessitera plusieurs pré-requis au premier desquels la création de l’identifiant fiscal, cet instrument qui devrait permettre un meilleur ciblage des catégories éligibles facilitant une allocation de ressources qui évite les foudres des bailleurs de fond. La mise en place de l’identifiant social est prévue pour le second semestre 2018, selon le ministère des Affaires sociales. Autant dire, le calendrier a pris forme.

 

Reste qu’il s’agit de savoir si Youssef Chahed a un désir de candidature à la magistrature suprême. Il n’y pense pas, dit-on. Même secrètement ?   

 

01/02/2018 | 18:12
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