Par Nizar Bahloul

La grève se poursuit chez les professeurs de l’enseignement du secondaire public. La tension est à son paroxysme, les enseignants s’entêtent et le gouvernement campe sur sa position. Pendant ce temps-là, les élèves sont livrés à eux-mêmes à la maison ou dans la rue et les parents s’arrachent les cheveux de dépit. Dans cette affaire, la position de Business News était claire. Nous n’avons pas à être neutres dans une affaire qui engage l’avenir de nos enfants. Dans ce conflit opposant le gouvernement et le syndicat, nous sommes du côté de l’Etat car l’Etat c’est nous. Les caisses sont vides, le déficit est abyssal tout comme l’inflation et on ne peut plus se permettre des augmentations de salaire à tout va, sans qu’il y ait de production supplémentaire en parallèle. Dans ce conflit, le gouvernement a déjà fait un pas vers les enseignants en s’abstenant d’exécuter sa menace (tout à fait légale et juste pourtant) de faire des retenues sur les salaires des enseignants qui n’ont pas donné les notes. Au lieu de quoi, les enseignants ont fait un pas en arrière en observant une grève sauvage ! Jusqu’à quand ce banditisme syndical ? Je le répète pour la deuxième semaine consécutive, les enseignants ont failli être des prophètes, mais ils ont failli. Je ne saurai clore ce sujet sans m’adresser à cette enseignante d’anglais qui s’est adressée à ses élèves en leur disant : « Vos parents nous insultent sur les réseaux sociaux puis vous envoient vers nous pour vous enseigner ! Quelle incohérence !! ». A cette enseignante je dis : « Madame, nous avons envoyé nos enfants à l’école publique et non à vous ! L’école publique c’est nous et c’est nous qui la payons ! Personne ne vous a obligé à choisir l’enseignement comme profession et c’est bien vous qui avez fait concours sur concours pour intégrer le corps. Vous saviez à l’avance que la situation matérielle des enseignants n’était pas reluisante, vous saviez à l’avance que le métier était épuisant et vous saviez à l’avance que la retraite est à 60 ans. Mais vous saviez à l’avance que le métier vous accorde beaucoup d’avantages dont le nombre d’heures très limité par semaine et les trois mois de vacances. Des avantages qu’aucune autre profession ne possède ! Alors, svp, respectez-vous et respectez votre profession et laissez les élèves en dehors de tout cela, car vous ne faites que salir votre propre image, l’image de l’enseignant et l’image de l’école publique ! ».

La campagne des municipales commence à atteindre sa vitesse de croisière et, sincèrement, cela fait plaisir de voir tous ces militants faire le tour des cafés pour distribuer les manifestes de campagne et expliquer aux citoyens leur programme. On peut dire que ces programmes sont nuls, que les candidats sont idiots, que certains sont carrément risibles, que les politiciens sont tous menteurs, on peut dire tout cela, mais toute cette ambiance électorale reflète une véritable démocratie que l’on va léguer à nos enfants. Les candidats d’aujourd’hui sont peut-être idiots, mais ceux de demain ne le seront pas. On boite un peu partout, on ment, on triche, mais demain nos enfants n’accepteront pas de voir autre chose que la démocratie. Et cela est merveilleux. On rêverait bien d’une démocratie à la scandinave chez nous, mais cet objectif ne saurait être atteint tout de suite en l’an 7 de la démocratie. Ce dont je suis certain, c’est que nos enfants vont vivre cette démocratie à la scandinave et c’est à nous de la leur préparer.

Pour qu’on puisse laisser à nos enfants cette démocratie, il faut bien sûr des élections transparentes et tous ces jeunes qu’on voit faire le tour des cafés, mais il faut aussi des médias libres, un corps judiciaire juste et indépendant, des partis et des hommes politiques propres et un respect total de la morale à tous les niveaux.

Cette morale fait aujourd’hui défaut et on voit bien sa déficience aussi bien chez les politiques (surtout les politiques) que chez les médias ou les magistrats. Je pense notamment à ce magistrat qui donne tout le temps et partout des leçons d’intégrité, alors qu’il a été attrapé la main dans le sac dans une affaire de construction sans autorisation et sans que l’on sache trop d’où provient son argent. Pour les médias, avec les fake news, on ne compte plus les exemples d’atteinte à la morale. Mais qu’on le veuille ou pas, les champions en la matière restent les politiques.

Ces atteintes à la morale, il y en à la pelle et de toutes sortes. Ainsi, on peut gloser à l’infini sur l’anachronisme de Nidaa Tounes qui use encore de tabbel et zakkar, cela reste du folklore et dénote d’un regard assez basique de la politique. Quand bien même certains électeurs sont sensibles au tabbal et au zakkar, c’est au politique d’élever le niveau et de donner l’exemple.

De même, on ne peut que s’élever contre la mobilisation d’enfants par Nidaa pour la distribution de flyers (contre 500 millimes).

On peut également gloser à l’infini avec Ennahdha qui envoie une blonde pleurnicheuse à Sidi Bou Saïd et un juif à Monastir, des circonscriptions où le parti islamiste est sûr de perdre, mais qu’il utilise pour se donner une fausse image de modernisme et d’ouverture. Une image qui contraste avec le banditisme de terrain comme on l’a vu hier à El Menzah 8 où les gars d’Ennahdha ont occupé illégalement l’espace dédié à une liste indépendante.

Et puis, il y a tous ces partis et toutes ces listes indépendantes qui enfreignent sciemment la loi électorale, notamment son article 57 relatif à la publicité politique. Comment voulez-vous qu’on fasse confiance à des politiques qui ne respectent pas eux-mêmes la loi ?

Enfin, je ne peux pas manquer la sortie très regrettable durant cette campagne du chef du gouvernement Youssef Chahed aux côtés de son parti Nidaa Tounes. Il devait rester au dessus, il devait donner l’exemple, on l’attendait sur le terrain avec tous les problèmes que nous avons, mais voilà qu’on le trouve sur le terrain de la campagne électorale. Est-ce le moment ? Nidaa avait-il vraiment besoin que Youssef Chahed mette la main à la pâte ?

En dépit de tout, ceux que je viens de citer ne sont pas connus par leurs discours moralisateurs et ne crient pas sur tous les toits matin et soir qu’ils sont des gens propres, intègres, transparents, incorruptibles etc etc. En matière de discours « je suis le plus intègre, je suis le plus propre », le champion demeure incontestablement le parti Attayar, suivi de près par Irada. Qui de nous n’a pas entendu Samia Abbou, Mohamed Abbou, Imed Daïmi ou Moncef Marzouki se vanter d’avoir les mains propres et qualifier les adversaires de « corrompus, voleurs, menteurs… » ?

Cette campagne des municipales n’a pas fait exception et les deux partis ont brillé par leur discours classique. Mieux encore, celui-ci s’est traduit carrément sur leurs manifestes électoraux ce qui a poussé des instances régionales indépendantes des élections à les leur refuser.

Si Attayar s’est conformé aux injonctions de l’autorité supérieure tout en la critiquant violemment, il n’en est pas de même pour Irada qui a décidé d’enfreindre ouvertement la loi et de passer outre l’interdiction de l’IRIE. Ce n’est pas la première fois que le parti de Moncef Marzouki enfreint la loi, en 2014 il a été sacré le champion en matière de triche par la Cour des comptes et par l’ISIE. Cela ne l’a pas empêché pour autant de poursuivre son discours moralisateur de donneur de leçons.

Pour les manifestes en question, on lit dans le PV de l’IRIE que Irada traite de voleurs les partis vainqueurs de 2014. Y a-t-il une preuve, y a-t-il une décision judiciaire, y a-t-il une instruction judiciaire en bonne et due forme de tout cela ? Rien ! Que du populisme basé sur une image de propagande et des idées fixes créant l’amalgame dans la tête du citoyen que Nidaa= Ennahdha=RCD=corruption=manipulation=arnaque. Une image que Irada et Attayar entretiennent avec beaucoup de subtilité depuis des années. Un travail de communication hors pair pour faire intégrer dans la tête du citoyen cette idée qu’Attayar et Irada sont propres et que les autres (Machroûu, Nidaa, Ennahdha, Al Badil, Afek) sont corrompus, sales etc etc etc.

Alors que pensez-vous si l’on s’amusait (ou si les autres partis s’amusent) à faire pareil en qualifiant Irada et Attayar de corrompus et de terroristes ? Je viens d’ailleurs de le faire dans le titre de cette chronique en qualifiant Samia Abbou de corrompue et Imed Daïmi de terroriste, juste pour l’exemple et pour heurter les concernés en utilisant leur propre vocabulaire. Après tout, on ne sait pas grand-chose sur la fortune de Mme Abbou et l’image de terroriste colle à merveille à M. Daïmi, lui qui s’est acoquiné avec tant de salafistes et qui s’est évadé à l’étranger du temps de Ben Ali pour échapper à la justice. La vérité est que Samia Abbou n’est pas corrompue et Imed Daïmi n’est pas terroriste, en dépit de tout ce qu’on peut leur reprocher. Mais quand on ôte la morale du discours politique, on peut les qualifier de pire que cela sur la scène publique pour les mettre en situation défensive. Une tactique dangereuse et de court terme, car tout comme Samia Abbou peut qualifier ses adversaires de corrompus, ses adversaires, aussi, peuvent lui rendre la pareille et la qualifier de pire que corrompue. Est-ce cela que l’on veut ? On en a eu un échantillon lorsque Samia Abbou avait été bassement attaquée en pleine assemblée sur des présomptions concernant sa vie privée.

La vérité est que Samia Abbou, d’après ceux qui la fréquentent, est quelqu’un d’agréable, de très courtois et de très poli. La vérité aussi, et je peux en témoigner, est que plusieurs membres d’Attayar, ainsi que Imed Daïmi, sont dans la vie quotidienne des gens d’une courtoisie et d’une politesse extrêmes. Pourquoi donc changent-ils de comportement et d’attitude dès lors qu’ils sont sur la scène publique ou devant les caméras ? Pourquoi leur comportement exemplaire dans la vie de tous les jours devient-il amoral et impoli lors de la rédaction de manifestes électoraux ou quand ils prennent la parole à l’assemblée ?

Je le répète, les hommes et femmes politiques se doivent de donner l’exemple et d’être des modèles pour leurs électeurs, il y va de la pérennité de la démocratie et ce n’est qu’ainsi que nos enfants peuvent bénéficier d’une démocratie à la scandinave. Plus les politiques portent atteinte à la morale, plus on fait du tabbel et du zakkar, plus les médias sont dépendants, plus les magistrats sont partiaux et plus la date de cette démocratie exemplaire recule.