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Chroniques
Respecte-toi, le citoyen te respectera !
19/06/2017 | 15:59
6 min

Une première, le Journal télévisé de la chaîne publique Wataniya 1 n’a pas été diffusé à l’heure, jeudi dernier. Plus d’une heure et demi de retard, du jamais vu ! Il fut un temps, lorsque le paysage médiatique n’était pas encore pluriel et lorsque le service public était l’unique source d’information audio-visuelle nationale, où le retard de diffusion du journal télévisé ne signifiait qu’une chose : un coup d’Etat a eu lieu dans le pays !

Aujourd’hui, en 2017, ceci parait absurde, mais on ne peut exclure cette réflexion, quasi pavlovienne de  ceux qui ont plus de 30-40 ans, nés avant Internet, Facebook et Mosaïque FM.

 

Ce jeudi 15 juin, le JT n’a donc pas été diffusé à l’heure. Une explication viendra en milieu de soirée pour dire que le réalisateur avait eu un malaise cardiaque. Moins de 24 heures plus tard, un communiqué laconique de la présidence du gouvernement annonce le limogeage d’Elyes Gharbi, PDG de la télévision, nommé il y a neuf mois à peine.

 

Avec ce limogeage, il y a un souci, voire même plusieurs. Le premier d’entre eux, c’est que nous sommes en 2017 dans un pays ayant une nouvelle constitution, une nouvelle culture et de nouvelles traditions qui interdisent ce type de décisions unilatérales venues d’en haut. Elyes Gharbi a été nommé en concertation avec la Haica (autorité de régulation), son départ ne devrait se décider qu’en concertation avec elle. Et je dis bien départ, car la notion même de limogeage devrait disparaitre. Nous ne sommes plus sous une dictature ou au Moyen-âge pour humilier les gens de cette manière. D’autant plus que ces gens sont de hauts cadres qui ont accepté d’être sous-payés pour travailler dans une administration archaïque et dépassée, juste pour servir l’Etat et le pays. Je ne parle pas d’Elyes Gharbi, je parle en général, car le limogeage d’Elyes n’est pas une première. Beaucoup de hautes compétences ont été remerciées brutalement ces derniers temps, suite à une erreur ou une faute, voire même pour libérer une place au profit d’un « ami ». Les plus récents, sous Youssef Chahed, sont ceux de Lamia Zribi et Néji Jelloul (limogeages annoncé à la fin d’un JT), de Abid Briki, des PDG de la Sonede, de Promosport, de la SNCFT, de TTN, etc.

 

Écarter un ministre ou un haut responsable est parfois nécessaire, mais l’Etat n’a pas à agir comme un individu impulsif. Dans les pays qui se respectent, où les citoyens et les commis de l’Etat sont respectés, on demande à l’intéressé de présenter sa démission sous 24-48-72 heures. Il y a des cas où ces commis ne se respectent pas eux-mêmes, comme lorsque Abid Briki annonçait dans les médias que sa démission était sur la table, mais même dans ces cas l’Etat devrait prendre de la hauteur et ne pas céder à la surenchère populiste.  On peut bien agir comme un chef sans être un goujat pour autant.

Aussitôt annoncé, le limogeage d’Elyes Gharbi a déclenché une polémique. Toute justifiée. La Haica, d’abord, qui n’a pas été associée (juste informée) à cette décision unilatérale et le SNJT, ensuite, qui y voit un retour de pratiques dictatoriales.

Du coup, on a oublié les motifs réels du limogeage (le fond de l’affaire) pour s’arrêter sur cette forme humiliante. La présidence du gouvernement peut avoir toutes les bonnes raisons du monde pour écarter tel ou autre cadre, elle perd toute la légitimité de le faire à cause de ce vice de forme.

La Haica aurait été associée à la décision d’écarter Elyes Gharbi, elle n’aurait pas hésité à l’avaliser, car la question du JT n’était qu’une goutte (énorme) qui a fait déborder le vase.

Si on l’a nommé à un poste de responsabilité élevée, c’est que ce haut fonctionnaire a du talent et de la compétence qu’il va mettre au service de l’administration. Il est possible que cette recrue n’assure pas sa mission comme il se doit, qu’il déçoive, qu’il ne tienne pas ses promesses ou qu’on lui découvre, sur le tard, des casseroles. L’inviter discrètement à présenter sa démission, plutôt que de le limoger en l’humiliant, c’est lui préserver sa dignité et montrer que l’Etat n’est pas ingrat. L’humilier publiquement ne sert à rien, fait regretter au licencié tout ce qu’il a fait de positif pour cette administration et cet Etat, et décourager les autres compétences de postuler ou d’accepter de tels postes de responsabilité élevée.

 

Mercredi 14 juin, Yassine Brahim accuse, sur Mosaïque FM, Mehdi Ben Gharbia de baigner dans la corruption. Et de conclure qu’on ne peut pas lutter contre la corruption quand on y est soi-même mêlé. L’affaire dont parle le président du parti Afek est relative au dossier Tunisair. Règlement de comptes par médias interposés ? Cela en a tout l’air, car entre MM. Brahim et Ben Gharbia, il y a un joli contentieux remontant à l’affaire Lazard et Rothschild.

Ici aussi, il y a plusieurs soucis. Yassine Brahim accuse Mehdi Ben Gharbia de baigner dans la corruption alors qu’il est chef d’un parti participant à la coalition gouvernementale et son « adversaire » est un ministre de ce même gouvernement. Il faudrait être cohérent, si un ministre baigne dans la corruption, vous devriez en présenter les preuves et vous dissocier immédiatement de ce gouvernement. Ce que Yassine Brahim n’a pas fait et ne fera pas, puisque les preuves en question n’existent pas. Les accusations ont d’ailleurs été catégoriquement démenties par l’intéressé. L’affaire a déjà été traduite devant la justice et la société de Mehdi Ben Gharbia a été blanchie.

Le deuxième souci est que Yassine Brahim est l’ancien ministre du Transport et en, cette qualité, il a une obligation de réserve. Mieux encore, un des membres d’Afek se trouve être actuellement secrétaire d’Etat au Transport et il se doit encore plus de se taire, par respect à cet Etat auquel il est associé en sa qualité de chef de parti et auquel il a appartenu avec sa casquette individuelle.

En fait, Yassine Brahim surfe sur les rumeurs et l’approximatif pour lancer ses accusations contre Mehdi Ben Gharbia, alors qu’il est lui-même victime d’accusations farfelues de corruption, tout comme les membres de son parti et ses ministres. On ne compte plus les folles rumeurs lancées contre Noômane Fehri, Mohamed Louzir et Riadh Mouakher. Si Yassine Brahim va s’amuser à agir comme Imed Daïmi et Samia Abbou, on ne va plus s’en sortir !

 

On est là face à un gros souci. On a un Etat qui ne respecte pas ses cadres et les limoge selon l’humeur du jour. Et, de l’autre côté, on a des commis de l’Etat qui ne respectent pas l’Etat et accusent ses ministres, selon les dividendes à tirer du moment.

Comment, avec tout cela, voulez-vous que le citoyen lambda et les médias réagissent ? Que vont-ils penser de l’Etat et de ses commis ? C’est la porte ouverte au « Tous pourris ! » et à la perte totale de confiance des citoyens en ses gouvernants quelles que soient leurs couleurs. Si les ministres eux-mêmes agissent de la sorte, peut-on dès lors reprocher les écrits de « Thawra News », « El Massa » et des pages Facebook ?

 

19/06/2017 | 15:59
6 min
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Commentaires (13)

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belko
| 26-06-2017 16:17
MESSAGE POUR BN

QUAND ALLEZ VOUS CONSEILLER A VOS JOURNALISTES DE LA CONCISION: PLUS ON VA A L'ESSENTIEL ET PLUS ON EST PERTINENT ET EFFICACE.
ALORS ÉPARGNEZ NOUS LA DESCRIPTION DE FAITS INUTILE ET BARBANTE, ET ALLEZ A L'ESSENTIEL
UN PETIT EFFORT SVP. MERCI
CORDIALEMENT

Hafedh
| 22-06-2017 00:01
A mon avis, parfois dans la vie il faut prendre des décisions même si elles sont douloureuses. Dans le cas sus cité il ne faut attendre que le navire coule pour prendre cette décision et surtout avec la lenteur de notre administration la haica.

Mokhtar Louati (Mokh)
| 21-06-2017 03:06
Merci,Nizar. ç'est bien présenté et bien analysé!

TeTeM
| 20-06-2017 16:40
Voilà qui est bien parlé !

Amor
| 20-06-2017 16:12
Il est impératif que l'État se ressaisisse et mène son combat contre ce fléau dans le respect de la loi et des institutions.
La lutte contre la corruption ne doit aucunement porter préjudice à la réputation du pays, à la notation à laquelle il est soumis périodiquement et à son classement dans l'environnement des affaires.
Continuez à faire mauvaise presse à la Tunisie lui attribuant tous les maux du monde et vous conduirez le pays vers le désastre.

TeTeM
| 20-06-2017 15:22
Effectivement, cette histoire de limogeage nous a fait oublier le fond de l'affaire. Le réalisateur a t-il fait un malaise cardiaque? Comment va t-il? A t-il fait ce malaise chez lui ou sur le plateau rendant ainsi la diffusion impossible? Bref, la non diffusion du JT est elle lié à une faute professionnelle (manque d'anticipation, absentéisme) ou un événement imprévisible et bloquante?

Si je suis d'accord pour dire que l'Etat a été un peu vite en besogne pour licencier Elyes Gharbi, je suis plus réservé sur le fait que son limogeage nécessite un accord de la HAICA.

En effet, la HAICA doit rester une autorité de régulation. On peut la consulter avant de nommer une personne à la tête d'une chaine publique (histoire de garantir une certaine indépendance....). Néanmoins, l'Etat est le principal Actionnaire de Wattanya 1. Elle peut donc limoger à sa guise si elle estime qu'une personne a mal fait son travail. Toute la question est donc de savoir si c'était le cas ici? A fortiori, non...

Par ailleurs, le timing est également maladroit dans ce contexte de lutte (Ô combien bénéfique) contre la corruption. En effet, cette lutte touche également les médias et les opposants... de là, à dire qu'il y a une purge sous couvert de lutte contre la corruption, il n'y a qu'un pas. L'Etat a été trop hâtif sur ce coup. Dommage, qu'il ne montre pas le même entrain avec les sittineurs...

DHEJ
| 20-06-2017 11:30
Or le "TOI" est issue de l'ambassade US...

Zohra
| 20-06-2017 06:00
Bonjour,

La dignité humaine est dessus tout pas de sujet, pourquoi on est arrivé là, c'est parce que la citoyenneté est morte, la conscience professionnelle est inexistante, défier l'état sans aucune etat d'âmes le non respect de l'autorité est une catastrophe, le chacun pour soi et comment va-t-on remplir ses proches avec les "haleka harameka", le peuple tunisien cherche l'argent facile 1000 fois pire qu'avant.

Alors SVP de grâce ne venez pas pleurnicher et faire le mesquine. Car vous êtes un peuple qui comprend qu'à le bâton et la carotte.

L'état n'a plus le choix quand on n'est pas à la hauteur de sa mission.

Et Vous croyez dans cette haica ils font leur travail honnêtement ?


Abel Chater
| 19-06-2017 22:42
Au sujet du limogeage de Elyès Gharbi à la tête de la télévision nationale Wataniya 1, je te donne à 100% raison. Il n'est pas des compétences du premier ministre d'ordonner le limogeage d'un cadre médiatique, censé être là pour critiquer le gouvernement et ses ministres jusqu'à les pousser à la démission.
Comment pourrait-on avoir la liberté de critiquer un chef de gouvernement ou un ministre qui possèdent le pouvoir de le limoger en un clin d''il?
Je pense que le premier ministre Youssef Chahed commence à être atteint par la maladie de l'arrogance des dictateurs. À peine qu'on lui a applaudi sa lutte contre la corruption, qu'il commence à dérailler. Le limogeage du directeur général de la télévision nationale tunisienne sans recours à l'avis de la HAICA, ni à l'avis du syndicat des journalistes SNJT, est en soi une faute impardonnable, qui témoigne du sabotage flagrant de Youssef Chahed contre les médias étatiques de la deuxième République tunisienne. Cette théorie est consolidée par le fait de le voir lui-même ou même le président de la République Béji Caïd Essebsi, parler aux télévisions privées, les prévéligiant aux dépens des étatiques, dans le seul but d'affaiblir le rôle de la télévision nationale tunisienne, afin qu'ils se garantissent le même soutien payé, dont ils avaient joui lors des dernières élections législatives et présidentielles de 2014.
Cette ruse ne marchera plus après toute cette faillite de Nidaa Tounes.
Quant à Mahdi Ben Gharbia, je sais qu'il jouit d'une protection douteuse de la part de BN, pour une raison ou pour une autre. Mais en réalité, il est loin d'être un saint et l'avenir va le confirmer par des preuves inéluctables.
Bonne soirée et Sahha Shourèk.

Ben
| 19-06-2017 19:09
Excellente analyse qui vient, cependant, d'un retard de deux siècles face au clavaire vécu par les hauts fonctionnaires de l'Etat depuis la révolution de la brouette.
Des fonctionnaires listés par leurs "malpropres " collègues, en quête de prendre leurs places, démis de leurs fonctions, dans leur majorité, par Mohamed Ghanouchi dont ils exécutaient les instructions portant sur des décisions prises en conseils des ministres, privés de subsides et de couverture sociale, poursuivis sur la base de dossiers montés de toutes pièces et emprisonnés pour certains d'entre eux.
Les fonctionnaires de l'Etat ont perdu de leur éclat tout autant que l'administration elle même depuis le 14/01/2011 et la légèreté avec laquelle les derniers limogeages ont eu lieu au port de Rades est là pour confirmer le mauvais traitement du dossier dit de "lutte contre la corruption.
Un traitement portant plus préjudice à l'image du pays plus qu'il ne contribue à la lutte contre ce fléau.