Par Nizar Bahloul
La situation est des plus cocasses en Tunisie où l’on entre une nouvelle fois dans une période orageuse sans visibilité et cette incertitude sied parfaitement à plusieurs acteurs politiques.
L’incertitude du moment s’appelle Youssef Chahed et, au vu de ce qui s’est passé mardi dernier au palais de Carthage, on ne sait pas si le chef du gouvernement va être maintenu à son poste ou pas.
Le président de la République a décidé de nommer une commission pour fixer les priorités du gouvernement et c’est à la vue des décisions de cette commission que l’on saura si le gouvernement des 18 prochains mois sera conduit par Youssef Chahed ou un tartempion nommé par le palais et l’UGTT. En véritable loup politique, Béji Caïd Essebsi a réussi à « nous » faire avaler une belle pilule. Une commission composée de différents acteurs incapables de faire le ménage chez eux va « nous » dire ce dont le pays a besoin. Exit les expertises des plus grands analystes et économistes, exit les rapports de nos partenaires étrangers, exit les recommandations des institutions internationales, le rapport signé par l’UGTT, Nidaa et Ennahdha pèse plus lourd que toutes ces expertises réunies.
Face à ce véritable désaveu qui ne dit pas son nom, Youssef Chahed devrait se sentir fragilisé. D’un chef de gouvernement tout puissant, théoriquement numéro un de l’exécutif, il est devenu (depuis mardi dernier et théoriquement toujours) simple exécutant du Pacte de Carthage, dirigeant d’un gouvernement de gestion des affaires courantes. En pratique, il en est tout autre, paradoxalement.
Youssef Chahed depuis sa nomination, il y a 18 mois, n’a pas vraiment été ce chef tout puissant et numéro un de l’exécutif. Il était davantage un Premier ministre de BCE qu’un chef de gouvernement qui décide et assume seul ses choix. Étrangement, le désaveu qu’il a essuyé mardi ne l’a pas fragilisé et on dirait qu’il lui a plutôt donné de nouvelles ailes. N’ayant plus rien à perdre, il a du coup tout à gagner à passer en force.
Sur le plan de sa guerre contre la corruption, on remarque que les interpellations, les mises en examen, les convocations et les mandats de dépôt se poursuivent. L’ancien ministre de l’Intérieur et ambassadeur Najem Gharsalli est convoqué par la justice et il est fort à craindre qu’elle le mette en examen. Le puissant syndicaliste UGTT Bouali Mbarki est convoqué dans une affaire dite d’espionnage. Chafik Jarraya, grand ami de Hafedh Caïd Essebsi et financeur de Nidaa est toujours en prison.
Bon à rappeler, les arrestations récentes d’un directeur puissant de la Douane, de deux conseillers de ministres à la Santé et aux Domaines de l’Etat, de hauts responsables de la BCT…
Sur le plan de la guerre contre l’informel, il a « osé » en fin de semaine frapper un superbe grand coup en signant le décret 236/2018 interdisant la cession des véhicules FCR avant un an de leur enregistrement en Tunisie. Cet avantage fiscal accordé aux Tunisiens de l’étranger est devenu un commerce à part entière dont profitent des contrebandiers au détriment des concessionnaires automobiles légaux.
De nouvelles amendes entrent en jeu pour lutter contre le stationnement et la construction anarchiques et la dégradation des biens publics grâce au décret 6/2018 qui entre en vigueur aujourd’hui.
Alors qu’il est « lâché » par plusieurs signataires du Pacte de Carthage, Youssef Chahed a multiplié cette semaine ses visites de terrain pour écouter les chefs d’entreprises et le peuple.
De tout cela, et depuis mardi, on peut dire que la réponse de Youssef Chahed a été celle du berger à la bergère. « Vous avez nommé une commission chargée de décider de mon sort ? Eh ben, je ne serai pas le « valet » des affaires courantes, je serai le chef qui décide et prends des mesures ! Vos avertissements depuis des mois et vos bâtons dans les roues ne m’intimident pas du tout, je continuerai à travailler jusqu’à la dernière minute ! »
Le message, à mon sens, est spécialement adressé à Hafedh Caïd Essebsi and co qui n’en peuvent plus de voir Youssef Chahed à la Kasbah. Il est celui qui a mis leur ami en prison, qui a empêché ses amis d’obtenir des postes de responsabilité, qui n’exécute pas les directives du parti, c’est un indiscipliné qui doit partir ! HCE a beau multiplier les manœuvres pour fragiliser Youssef Chahed (qui demeure le poulain de BCE jusqu’à preuve du contraire), il ne réussit pas à l’atteindre ! HCE a beau avoir accès direct et permanent au président de la République (grâce à son lien de filiation), il ne réussit pas à le convaincre.
Il a beau essuyer du matin au soir les attaques frontales et sous la ceinture, il continue quand même à rester debout. N’ayant pas réussi à l’atteindre, ses adversaires s’en sont pris encore plus violement à son « gilet pare-balles » Mofdi Mseddi, mais sans plus de résultats.
En 18 mois, Youssef Chahed a fini par obtenir une belle popularité en dépit des résultats mitigés et des chiffres qu’on présente (et qu’on peut habiller comme on veut d’ailleurs). Les Tunisiens savent que nul n’a de baguette magique et qu’il faut des réformes profondes pour s’en sortir. Ces réformes ont déjà été entamées et il y a des délais incompressibles pour obtenir leurs fruits, les Tunisiens le savent !
Plusieurs autres mesures nécessaires et impopulaires doivent être prises et le décret des FCR ne devrait pas déplaire à l’UTICA qui demande depuis longtemps ce type de décisions protégeant l’économie légale face à l’invasion et la sauvagerie de l’informel. Profitant du désaveu du Pacte de Carthage, Youssef Chahed devrait oser un nouveau coup dur à l’UGTT en décidant la fin de la séance unique estivale.
Supposé être sur un siège éjectable, sachant que l’UGTT et Nidaa veulent sa peau immédiatement, Youssef Chahed a paradoxalement les mains plus libres que jamais. C’est le moment d’enfoncer le clou en jouant à quitte ou double, tout en étant assuré qu’il sera gagnant à la fin. S’il reste, il aura réussi le formidable coup d’avoir résisté à la centrale syndicale et il pourra ainsi continuer son programme jusqu’aux élections de 2019. S’il part, il aura été celui qui a osé affronter la corruption et entamé les réformes profondes nécessaires au sauvetage du pays. Les Tunisiens sauront s’en rappeler lors des élections de 2019. Et même si les Tunisiens auront la mémoire courte d’ici là, les dividendes de ses réformes sauront la leur rafraîchir le moment venu.
Commentaires (20)
CommenterInterface BN
laissez le faire son travail .....!
Une analyse pertinente
Seulement voilà,on a l'impression d'oublier les possibilités réelles de notre pays ,et cet excès de réclamations reste de loin sans commune mesure avec l'effort accompli.
En un mot,on a tendance à vouloir el khobza berda,c'est tout simplement triste....
@Si Nizar Bahloul
Vous avez oublié plusieurs paramètres dans votre raisonnement!
Chef du gouvernement et non premier ministre
-La faiblesse du dinar est essentiellement d'ordre structurel
et l'effet conjoncturel est très limité.
Dans l'Etat actuel des choses ou le pays est gangrené par le système mafieux, il est presque certain qu'un nouveau gouvernement pour les 18 prochains mois ne rapportera pas un plus, il y a même un risque qu'étant donné sa courte durée, ses membres seraient tentés à penser à leur arrières plutôt qu'à autre chose. Et donc coûtera plus cher aux Tunisiens d'où un risque d'alourdir la facture fiscale pour financer la prochaine loi des finances.
Ce sont presque les mêmes qui ont été à l'origine du gouvernement Chahed qui vont pondre le nouvel exécutif
On ne dit pas que les mêmes causes produisent les mêmes effets ?
@ Elsa ben Amor |
'On peut tromper une personne mille fois. On peut tromper mille personnes une fois. Mais on ne peut pas tromper mille personnes, mille fois.'?'
Chahed un homme honnête et respectable
Non, Nizar
- Youssef Chahed est desavoué par ceux qui l'ont nommé, il devrait considérer que son mandat est fini. Il ne peut pas avoir les mains libres. il n'a plus des mains, point.
- Un premier Ministre n'a pas à etre libre( c'est le role du Président élu par le peuple). Le PM est en mission pour un parti ou une coalition de partis. Prétendre à la liberté (ça sonne bien) c'est en réalité se vautrer dans le désordre. s'il est en désaccord avec ce parti,c'est lui qui se retire, et s'il a raison, le peuple sanctionnera son parti aux élections. Le PM n'a pas à improviser des politiques personnelles.
Regardez, dans le désordre des commentaires, où conduit votre analyse (pour une fois totalement erronée).
- YC n'est pas Ben ali, il n'en a, ni les moyens, ni la légitimité (de l'époque).
- Il n'a pas à aller devant le parlement, ce qui serait une pure perte de temps pour le pays : il a été désigné à Carthage, il partira à Carthage, si on lui retire la confiance. C'est ça la dignité républicaine.
-des intervenants très brillants proposent meme qu'on le garde (sous-entendu meme s'il n'est pas bon) parce qu'il ne reste "que" 18 mois. Si c'est pour avoir le dinar à 5 euros dans 18 mois....
- Un bon gouvernement ramène la confiance dans les 100 jours. 18 mois, c'est 6 X 100 jours. Comme temps de récréation, ce serait un nouveau record mondial. C'est vrai qu'avec le yoyo du dinar, nous commençons à avoir du mal à compter...
@mes ami(es)
Les nahdhaoui s qui n'ont aucune compétence ..ils ont gouverné par une " forka w 3oud 7tab"!
Chahed ou no chahed ça changera rien ,en attendant le pire!
Mr Nizar a entame deja la campagne presidentielle de son candidat
Si Nizar Bahloul a interet de faire son travail de journaliste au lieu de faire la campagne de Youssef Chahed comme il l a fait par le passe pour Beji Caied Essebsi...un peu de neutralite vous grandira ya Si Nizar.