Rendement des salariés pendant ramadan, le sujet qui fâche
La Tunisie accueille ce jeudi 17 mai 2018 le premier jour du mois du ramadan. Mois saint pour les musulmans, cette période est cependant accueillie avec scepticisme par de nombreux entrepreneurs qui redoutent un manque à gagner après 30 jours. Nous avons choisi de nous intéresser à la productivité des salariés pendant le mois du jeûne, et d’essayer d’apporter des éléments de réponse à l’éternel débat : Peut-on être productif pendant le ramadan ?
« Ramadan ? on le subit, on n’a pas le choix… » admet, la voix quelque peu embarrassée Karim Aouij , cofondateur de l’entreprise Soran Signaletique, une société industrielle spécialisée dans la charpente métallique. Pour lui comme une bonne partie des entrepreneurs, ce mois représente chaque année une baisse significative du rendement de ses employés « une baisse compréhensible vu qu’ils ne s’alimentent pas » justifie l’homme d’affaires. Ajouter à cela des facteurs externes liés à un fonctionnement minimal d’une administration (notamment le port de Radés pour les opérations d’import/export) qui, en temps normal, n’est pas reconnue pour sa célérité et son efficacité, les charges deviennent dès lors assez lourdes pour les hommes d’affaires.
Comment faire alors pour concilier un rendement acceptable et la pratique, ô combien exigeante, du jeûne ? Et peut on être productif pendant ramadan ?
Nous avons donné la parole dans le cadre de cet article à des entrepreneurs qui, de part leur fonctions, ont un regard avisé sur les notions de performances et de rendement de leurs structures, ainsi qu’à des médecins qui ont accepté d’apporter des éléments de réponse à cet éternel débat.
Pour Tarek Cherif, président de la Conect, la solution réside dans l’anticipation, l’organisation et la bonne utilisation des ressources humaines pour anticiper le manque à gagner. « Ramadan fait partie de nos traditions, nous ne pouvons en faire l'impasse, cela fait partie de l’identité de la Tunisie. Dans les faits, les entreprises perdent en moyenne 1 heure de travail par jour. Nous (en référence aux entreprises qu’il dirige) rattrapons ces heures perdues dès la fin du ramadan pour corriger ce déficit » affirme t il. Autre solution préconisée par Tarek Cherif, le fait d’accorder des congés plus longs aux salariés « en tant que directeur général, j’encourage les employés à bénéficier d’une semaine de vacances pendant l’Aïd, et vu que l’activité économique a tendance à stagner durant cette période, leurs absences ont un faible impact » ajoute t il.
De son coté, Karim Aouij préconise fortement d’augmenter le temps de travail des salariés pendant le mois du ramadan « je sais que ce n’est pas chose facile, mais il est impératif que les journées se terminent à 17h au lieu de 15 h. Actuellement, en Côte d’Ivoire et en Malaisie, en dépit de conditions climatiques défavorables (fort taux d’humidité), j’ai vu des employés musulmans finir leurs journées après 17 heures ! En Tunisie, il ne fait pas très chaud actuellement et la rupture du jeune est aux alentours de 19H30, il est inadmissible que les employés quittent leurs bureaux à 15 heures » regrette l’homme d’affaires. Karim Aouij affirme se prononcer plus en tant que citoyen qu’en tant qu'homme d’affaires qui ne pense qu’à son propre bénéfice. « Je ne parle pas en tant qu’entrepreneur ou homme d’affaires, je parle en tant que citoyen. Le pays est en difficulté économique, on doit retrousser les manches pour s’en sortir tous ensemble. Chacun doit faire des efforts de son côté ».
Si les patrons sont unanimes, que pensent les médecins de cette équation jeûne / rendement ? Dr Lilia Hmissi est catégorique sur cette question. « Le rendement d’une manière générale diminue au mois de ramadan, les gens viennent en retard et quittent plus tôt, c'est un fait! », nous déclare-t-elle.
La médecin généraliste attribue cela à une baisse de glycémie « le cerveau est habitué à un taux précis de sucre qui va diminuer pendant le mois de ramadan, entrainant avec lui des problèmes de concentration. Aussi, les employés qui ont une addiction au tabac ou à la caféine vont voir automatiquement leur capacité de concentration diminuer, c’est prouvé médicalement » déclare t elle.
Si le secteur privé peut recourir à sa gestion souple pour réaménager son emploi du temps et gérer au mieux son effectif et son rendement, ce n’est pas le cas du secteur public qui paye chaque année un lourd tribu de la baisse de productivité pendant ramadan. Est pointé du doigt principalement l’absentéisme des fonctionnaires ainsi que le non-respect du temps de travail, bien qu’il soit aménagé et réduit. Dans ce cadre, la campagne de lutte contre l’absentéisme dans la fonction publique en juin 2016 (pendant le mois du ramadan de cette année) a conduit à des résultats accablants : il est mentionné dans le rapport final le taux d’absentéisme justifié moyen dans le secteur public a atteint 20%, les collectivités locales ayant enregistré le plus fort taux avec 40% suivi par les établissements publics (35,7%). Les maladies longue-durées expliquent ce taux important. Les absences non-justifiées ont atteint un taux de 10,4%, dépassant dans certaines structures les 18%.
En Tunisie, le mois de ramadan ne rime pas avec la productivité. Absences justifiées et injustifiées, retards récurrents et départ avant la fin du service sont malheureusement monnaie courante dans les administrations et entreprises tunisiennes. Si la liberté religieuse de chacun doit être respectée, celle-ci ne doit pas se faire au détriment d’un bon fonctionnement de l’économie nationale.. surtout en ces temps de vache maigre…
Nessim Ben Gharbia et Imen Nouira