Qu'il est touchant le petit pauvre à la télé !
Le passage de Nessim Soltani sur le plateau de Nessma a fait sensation. Par sa sincérité, par ses paroles et par l’émotion qu’il a communiquée, il a provoqué des dizaines de réactions sur la toile.
Brusquement, on s’est découvert tellement d’empathie, tellement de sympathie et surtout de la pitié pour ce laissé-pour-compte. Et puis on s’est subitement rendu compte qu’il y avait des pauvres dans notre pays et qu’il y avait des gens qui n’avaient absolument aucune perspective. On a vu un jeune homme venant de « derrière les plaques » s’exprimer correctement et parvenir même à nous toucher.
Mais là n’est pas le problème. Le problème c’est que les bienpensants de Facebook, les donneurs de leçons et ceux qui ont des avis sur tout sont les mêmes qui traitent de « jabri » les gars qui ressemblent à Nessim Soltani. Je les imagine en train de pleurnicher devant leurs écrans alors que la petite femme de ménage de douze ans, qui vient probablement du même endroit que Nessim Soltani, est en train de briquer le sol en marbre. Ce sont les mêmes qui insultent la mémoire de Mohamed Bouazizi parce qu’il a provoqué la révolution qui les a quand même dérangés un petit peu.
Le petit Nessim Soltani est arrivé à se hisser au niveau nécessaire pour être écouté et entendu. Bon, il est vrai qu’il a fallu que son cousin soit égorgé par des terroristes. Mais ce douloureux événement aura permis de jeter la lumière sur sa zone d’origine. Parce que, soyons honnêtes, personne ne lui aurait accordé la moindre minute d’attention, si ce n’était « grâce à » cet odieux meurtre.
On a donc découvert avec effroi qu’il y avait des gens en Tunisie qui avaient faim et froid ! C’est quand même du scoop ! Pourtant il en existe des dizaines de ce genre d’endroits où l’on est coupé du monde, où l’espoir meurt et où les ambitions n’ont plus de sens. Il en existe à une heure à peine de la capitale. Il en existe tellement que ça a aussi participé à l’avènement de la révolution.
Alors pourquoi jouer les vierges effarouchées aujourd’hui et faire comme si on découvrait l’existence d’endroits comme celui où a été égorgé ce berger de 16 ans ? Pour la simple raison qu’il est devenu impossible de faire autrement. Avant, on savait que ces endroits existaient, certains n’y accordaient aucune importance, d’autres se félicitaient que ces gens là soient confinés loin de nous, des endroits où on sort ou où on travaille. On était contents de savoir qu’ils ne fréquentent pas les mêmes écoles que nos enfants. Mais Nessim Soltani a réussi à faire éclater cette misère devant nos yeux, à nos visages, de telle sorte qu’il est devenu impossible de s’en détourner, de faire comme si ça n’existait pas. Mais il ne faut pas non plus être trop optimiste, ce soudain regain d’intérêt s’estompera dans quelques jours et on reviendra à nos préoccupations quotidiennes. Nessim aura permis à son village et à sa famille d’avoir une aide et un soutien ponctuels, il a même été reçu par le président de la République. Combien de temps cela va durer ? Certainement pas assez pour régler les problèmes…
Et puis il y a cette pitié malsaine. Cette pitié hautaine et dédaigneuse. Cette pitié qui considère la pauvreté comme une tare, comme une insulte. Ces gens qui se disent : oui on est solidaires, oui on est sensibles, mais de loin quand même, on ne va pas non plus se mélanger.
Des Nessim Soltani il y en a des milliers en Tunisie. Certains gardent une certaine lucidité comme lui, d’autres deviennent des délinquants parce qu’ils n’ont pas d’autre choix, d’autres encore deviennent des terroristes. Pourquoi ? Parce que les horizons sont bouchés, parce qu’il n’y a pas d’espoir, « parce qu’on est déjà morts » comme l’a dit Nessim. Lui, grâce aux médias, sortira de la misère ne serait-ce que momentanément, mais que se passera-t-il pour les autres ? Combien de Mabrouk devraient mourir avant qu’une réelle prise de conscience ait lieu ? On ne le sait pas. Donnons-nous rendez-vous à la prochaine horreur pour redire la même chose…