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Pourquoi Nidaa a gagné, comment la troïka a perdu
27/10/2014 | 1
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Pourquoi Nidaa a gagné, comment la troïka a perdu
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C’est un parti créé de toutes pièces en 2012, hétéroclite et dirigé par un octogénaire qui a réussi le raz-de-marée des législatives du 26 octobre. En face de lui, la troïka composée d’islamistes et de laïcs comptabilise les pertes : plus de la moitié de son électorat de 2011 l’a délaissée.
Nidaa a mérité sa victoire, la troïka a mérité son échec. Explications.


La défaite officielle n’est pas encore annoncée que des membres de la troïka ont commencé par se chercher des boucs émissaires pour expliquer leurs piètres résultats. Le premier argument est que Nidaa Tounes, parti dirigé par l’ancien Premier ministre Béji Caïd Essebsi, représente les anciens RCDistes et les figures de l’ancien régime. C’est la première contrevérité largement répandue dans les médias internationaux, notamment francophones et qataris dont la ligne éditoriale s’est rangée clairement du côté des islamistes, d’Ettakatol et du CPR. En dépit du matraquage quotidien que Nidaa = RCD, les Tunisiens ne se sont pas laissé berner puisque les figures de l’ancien régime étaient représentés par deux partis, à savoir Al Moubadara et le Mouvement Destourien. Ces deux partis, dirigés par d’anciens ministres de Ben Ali et représentant clairement l’ancien régime, ont subi une raclée aux élections de 2014. Même qu’Al Moubadara a fait un score pire que celui de 2011.
Nidaa Tounes a beau être catalogué comme étant un parti RCDiste, personne n'a avalé la couleuvre. Béji Caïd Essebsi a réussi à faire valoir son bon bilan de 2011 lorsqu’il était Premier ministre pendant huit mois. Le pays était en arrêt total et il a réussi, alors, à le faire marcher de nouveau jusqu’à le conduire à des élections bien organisées et répondant aux exigences classiques en la matière.

Outre son bilan positif, Béji Caïd Essebsi a réussi à séduire son électorat en usant de termes simples et d’un langage accessible à tous et en privilégiant le dialecte tunisien au lieu du dialecte étrange utilisé par ses adversaires. Aux meetings, il ne lit pas ses discours et aux interviews, il n’attaque pas ses adversaires. Mieux que ça, il a profité des tirs nourris qui lui venaient de toutes parts. A peine a-t-il annoncé la création de son parti, le 26 janvier 2012, que la troïka au pouvoir a sorti l'artillerie lourde. Le président de la République Moncef Marzouki le dénigre alors qu’il est à l’étranger. Les différents membres d’Ennahdha boycottent tout plateau télévisé où est présent un membre de Nidaa. Les tirs nourris se sont poursuivis jusqu’à la veille des élections lorsque le propre conseiller de Béji Caïd Essebsi, Mohamed Ghariani, sort à la télé pour en dire tout le mal. C’est pourtant ce Mohamed Ghariani qui est responsable de l’image RCDiste de Nidaa puisqu’il était le dernier SG du RCD. C’était quelques jours à peine après la sortie virulente du cofondateur de Nidaa, Omar S’habou, qui a envoyé une lettre, rapidement fuitée, évoquant la santé de BCE.
L’image du « Vieux » n’a pas été ternie, elle l’a rendu finalement sympathique.

La carte maîtresse de Nidaa et la raison principale qui a poussé une majorité de Tunisiens à s’unir derrière lui est cependant ailleurs. Béji Caïd Essebsi incarne le « Prestige de l’Etat » et symbolisera, donc, un pouvoir fort. Ce prestige a été fortement, très fortement, éclaboussé par Moncef Marzouki et plusieurs dirigeants d’Ennahdha.

En trois ans et demi de pouvoir, mélangeant incompétence, inexpérience, népotisme et corruption, la troïka a réussi à plonger le pays dans l’abîme. Certains de ses membres, à commencer par le président de la République et son entourage, multipliaient les discours de haine et de division entre les Tunisiens.
Il y avait toujours un bouc émissaire pour justifier un échec. Si ce n’est pas les médias de la honte, c’est les membres de l’ancien régime et le RCD. Si ce n’est pas l’Etat profond (incarné par Kamel Letaïef), c’est les lobbys étrangers voire même le Mossad. La phrase la plus utilisée durant trois ans et demi du pouvoir, c’est « on nous met les bâtons dans les roues ».
Dans un premier temps, les différents arguments étaient recevables, mais ce n’était plus le cas à la longue. A force d’être démentis dans les réseaux sociaux et les médias, vidéos de preuves à l’appui, le président de la République, les ministres et les dirigeants de la troïka ont perdu toute crédibilité. Leur popularité battait de l’aile, mais eux continuaient à s’admirer dans leurs miroirs et à chanter dans leur tour d’ivoire. Aux chiffres sérieux des instituts de sondage, ils répondent par des pronostics réalisés dans les cafés populaires. Aux critiques des médias incessants, ils répondent par un livre noir de règlement de comptes.

Outre cette arrogance pour camoufler l’inexpérience et l’incompétence, la troïka a dû faire face à plusieurs gros scandales de népotisme et de malversations auxquels elle s’est opposée systématiquement par le déni. Un don chinois d’un million de dollars est ainsi transféré dans un compte privé d’un ministre gendre du président d’Ennahdha. Les preuves irréfutables sont là, mais la journaliste qui a dévoilé le pot aux roses s’est retrouvée avec plusieurs affaires à dos et même une interdiction de voyage.
Des ministres impliqués dans la transmission de marchés douteux, des dons à des associations proches du pouvoir, des suspicions de blanchiment d’argent, il ne se passait pas un mois sans qu’un gros scandale vienne éclabousser davantage l’image des dirigeants. Cela va jusqu’aux tous petits détails, comme le fait de quitter l’hémicycle de l’assemblée quand on commençait à entonner l’hymne national.
En dépit de ces scandales, et des preuves qui vont avec, on jouait la vierge effarouchée propre et intègre. C’est même la fuite en avant avec une volonté nette de s’accaparer le pouvoir pour cinq nouvelles années, alors que cette troïka a déjà dépassé de deux ans son mandat initialement prévu pour une année uniquement. On cherchait à gagner du temps et on a tout fait pour passer une loi visant à écarter les adversaires politiques sous le prétexte qu’ils appartiennent à l’ancien régime.
La présidence de la République édite un Livre noir répertoriant tous les journalistes ayant collaboré avec l’ancien régime dans le but de les discréditer. Manque de pot, le livre était rempli de rapports de police sans preuves ayant déclenché une rafale de plaintes, toutes en instance pour le moment.

Le règlement de comptes flagrant avec ces adversaires politiques a pris une tournure encore plus grave avec la promulgation, en un temps record et dans la précipitation, d’une loi de justice transitionnelle et de la création d’une Instance chargée de « réaliser » cette justice. Les membres de cette instance bénéficient de l’immunité et ont élu à leur tête un personnage fortement controversé et dont l’intégrité a été mise en doute, avec des preuves, par plusieurs parties. La troïka a continué à agir avec la devise de « les chiens aboient la caravane passe ».

En parallèle, la crise économique battait son plein. Le chômage enflait, les agences de notation tiraient la sonnette d’alarme (jusqu’à ce que l’une d’elles soit exclue de la notation), l’inflation galopait. Pour la troïka, tout va très bien madame la marquise. Au mieux, ils répondaient par « attendez-nous, les RCDistes nous mettent des bâtons dans les roues ».
Le coup fatal porté à la troïka viendra par le sang. Pendant trois ans, elle a eu une politique fortement permissive et conciliante avec les extrémistes religieux. La Tunisie est même devenue exportatrice de choix des terroristes vers la Syrie et vers Daech, sans que les « rabatteurs » ne soient interrogés ou inquiétés. Mieux, certains de ces extrémistes étaient même reçus au palais de Carthage.
L’effet boomerang ne s’est pas fait attendre, les extrémistes ont fini par se retourner contre leurs bienfaiteurs. En trois ans, la Tunisie a enregistré des dizaines de morts de ses soldats et agents des forces de l’ordre. Trois leaders politiques trouveront la mort, dont deux assassinés devant chez eux et un autre lynché par des milices proches du pouvoir, dites de protection de la révolution.

Dimanche 26 octobre, les Tunisiens avaient d’un côté un octogénaire qui a fait ses preuves et qui se trouve dénigré uniquement pour son passé et son âge. De l’autre, des dirigeants qui ont multiplié les contrevérités et les preuves d’incompétence. A ce stade, les choix sont vite faits, surtout qu’il n’y a pas grand monde entre les deux. Le camp démocratique, via Afek et Al Joumhouri, n’a pas encore les moyens matériels et l’expérience nécessaires à rassembler des dizaines de milliers de personnes autour de lui. Dans le camp islamiste ou proche de la troïka, Wafa et Tayar, le discours de haine et de division est identique à celui des dirigeants, la pauvreté intellectuelle et matérielle en plus.
Les résultats finaux ne font finalement que confirmer ce que disent les sondages, l’opposition et les médias depuis plusieurs mois. Ceux là mêmes qu’on accusait d’être à la solde de l’ancien régime !
A moins de considérer que tout le peuple est esclave de l’ancien régime et frappé par le syndrome de Stockholm, ce que plusieurs dirigeants de la troïka disent déjà dont le propre frère de Moncef Marzouki, il est grand temps que les « blessés du 26-octobre » et leurs partenaires étrangers (notamment la France et le Qatar) regardent les Tunisiens autrement et fassent leur propre autocritique. Si Nidaa a gagné et si la troïka a perdu, c’est parce que le Tunisien a encore la tête sur les épaules ! 


Nizar Bahloul
27/10/2014 | 1
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