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Chroniques
Pauvreté en Tunisie : Les fausses-vraies statistiques de l'INS
05/01/2017 | 15:59
5 min

L’art dans la lutte contre la pauvreté est de rendre la dignité à celui qui l’a perdue du fait de l’évolution de sa condition sociale. La pauvreté est un fléau plus qu’une simple maladie. Car elle fait éclater au grand jour l’indécente différence de situation entre des hommes, des familles, vivant au sein d’une même communauté ; celle qui fait une nation et un Etat.

Quels que soient les progrès qu’on enregistre dans la lutte contre la pauvreté, rien n’est suffisant tant que celle-ci perdure. Encore faut-il que l’on sache exactement où en est-on en matière de lutte contre la pauvreté. Or, à ce niveau, on ne sait plus à quel saint se vouer. Les statistiques sur la pauvreté en Tunisie ont toujours été malmenées.

Qu’on se rappelle la polémique en 2011 sur la pauvreté en Tunisie, faisant suite à une déclaration de Mohamed Ennaceur, alors ministre des Affaires sociales, qui estimait que le taux de pauvreté en Tunisie est plus proche des 20% que des 8,2% qu’affichait l’INS, à l’époque, sur la base des résultats de l’enquête quinquennale sur le budget, la consommation et le niveau de vie des ménages de 2010.

Afin d’accorder tout le monde, l’INS entreprit, fin 2011, une revue complète et une mise à jour de sa méthodologie de mesure de la pauvreté en collaboration avec la Banque africaine de développement (BAD) et la Banque mondiale. Une revue à l’issue de laquelle, l’institut a noté que si « l’ancienne méthodologie était solide d’un point de vue technique et que les mesures de la pauvreté ont été correctement estimées », il fallait apporter « plusieurs modifications à la méthodologie afin d’en affiner les résultats et de rendre l’enquête entière conforme aux bonnes pratiques internationales ». Ce qui fut fait.

Résultat: en 2010, le taux de pauvreté affiche 15,5% contre des taux de pauvreté de 23,3% en 2005 et 32,4% en 2000. Du coup, on ne pouvait admettre que l’une des raisons qui a provoqué la révolution de 2011 puisse être démentie par les chiffres ; qu’entre 2000 et 2010, la pauvreté ait reculé de plus de moitié dans le pays. Pourtant, elle a effectivement bien reculé. Cependant, notera l’INS à l’époque, « cette baisse observée n’a pas bénéficié aux régions du Centre Ouest et du Sud Ouest qui ont vu leurs écarts par rapport au reste du pays s’accentuer au cours de la décennie étudiée ». On a parlé alors de « polarisation de la pauvreté ».

 

On tourne en rond

En tout cas, personne, depuis, n’est venu contester, ni la nouvelle méthodologie adoptée pour la mener, ni les résultats auxquels elle a abouti. Toutes les institutions internationales, intéressées de près ou de loin, par la pauvreté ont pris acte des résultats de cette enquête et utilisé ses données. Le rapport sur les Objectifs du millénaire de la Tunisie s’est fondé sur les données de cette enquête. Nos structures d’études et de recherches, publiques ou privées, nos bureaux d’études, etc. ont exploité les résultats de cette enquête. Le Centre de recherches et d’études sociales, par exemple, a élaboré son « Enquête d’évaluation de la performance des programmes d’assistance sociale en Tunisie ».

Sur cette base, on imaginait aisément que l’enquête 2015 sur le budget, la consommation et les conditions de vie des ménages ne pouvait qu’accorder tout le monde quant à ses résultats, positifs ou négatifs. Malheureusement, cela ne fut pas le cas.

 

A la veille du jour de l’an, autant dire dans l’indifférence générale, l’INS tenait une conférence de presse de présentation des résultats de l’enquête 2015. Et, bonne nouvelle, le taux de pauvreté affiche 15,2%. On ne peut nier un tel résultat dans la mesure où la méthode de calcul utilisée est la même que celle qui a été introduite dans l’enquête de 2010. Mais, là où le bât blesse, c’est que les taux de pauvreté issus des enquêtes de 2010, 2005 et 2000 ont curieusement changé. Le taux de pauvreté en 2010 n’est plus de 15,5%, mais de 20,5%. Celui de 2005 n’est que de 23,1% au lieu de 23,1% et celui de 2000 n’affiche que 25,4% à la place de 32,4%.

Logiquement, l’INS se devait de donner une raison pertinente à une telle modification des résultats. C’est la « rétropolation » des résultats de l’enquête de 2015 sur les enquêtes précédentes qui aurait, semble-t-il, fournit ces résultats. L’INS a voulu montrer que si 15,2% de la population est pauvre en 2015, cette proportion auraient constitué 20,5%  de la population en 2010. Et cela nous avance en quoi ? A rien. Car, on a transposé les conditions de vie de la population de 2015 sur la population de 2010, excluant de fait les conditions de vie de 2010. Ce qui est totalement absurde. La rétropolation dans le cas de figure qui est le notre, comme l’extrapolation si elle venait à être effectuée, n’a aucun sens. Excusez du terme, ce n’est qu’une masturbation intellectuelle de statisticiens cherchant plaisir à tourner en rond, oublieux que l’enquête statistique ou le recensement ne serve qu’à fournir une photographie à un instant donné compte tenu des conditions et des seules conditions de l’instant. C’est comme si on a voulu coloriser une photographie en noir et blanc.

 

 L’INS n’avait-il pas mieux à faire que cela? N’aurait-il pas mieux valu imaginer une autre manière de saisir la pauvreté, non point seulement par le biais de la consommation, mais aussi par le biais du revenu ? L’Institut n’avait-il pas mieux à faire alors qu’on attend encore qu’il livre l’indice du marché de l’immobilier promis depuis le 1er avril 2015 ou encore les résultats du recensement général de la population 2014 concernant le volet emploi ou encore de mettre en œuvre la réforme du système statistique du pays, réforme restée à ce jour lettre morte ?

L’INS a toujours revendiqué le principe d’indépendance. Si c’est ce principe qu’il consacre à travers les résultats de l’enquête sur le budget, la consommation et les conditions de vie des ménages en 2015, il faut bien craindre le pire.

 

05/01/2017 | 15:59
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Commentaires (12)

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G&G
| 06-01-2017 17:57
L'INS d'aujourd'hui reflète le pouvoir.
En effet, le pouvoir et l'INS c'est comme comme l'histoire de la table et du tabouret. Chaque fois que le tabouret change de place il faut déplacer la table.
Etant ingénieur statisticien économiste je ne crois pas une semelle à ce que raconte l'auteur.
En 1997 il n'y avait pas un seul gourbi dans le gouvernorat de Kairouan pas une seule agglomération sans électrification pas une famille sans eau potable.
Au temps de Ben Ali les gourbis remplacés n'ont pas été détruits pour servir comme abris aux animaux. Aujourd'hui ils sont habités pour être exposés devant les caméras et servir comme insulte à El 3ahd Elbayed
Non Monsieur Ben Achour . La vie sociale s'est considérablement détériorée aussi bien dans les régions intérieure qu'extérieure. Le taux actuel de pauvreté, bien que sous estimé, il confirme bien l'authenticité de celui d'elbayed évalué à 3,8 % en 2010 et élaboré par nos éminents experts tels que Nouri Jouini et Taoufik Baccar loin de toute pression politique.

G&G
RCDiste et fier

TMT
| 06-01-2017 14:58
A priori,je pense sue c'est de votre droit d'avancer des critiques pour mettre en relief les insuffisances de cette enquête d'importance capitale pour les acteurs économiques (chercheurs,investisseurs,planificateurs et même politiciens)
Seulement voilà,j'ai l'impression que vous ne disposez pas d'éléments plausibles pour étayer vos soupçons et dans ce cas il vaut mieux se pencher plutôt sur l'analyse de ces résultats avec des recoupements qui en principe ont dû jouer pour conduire les accepter.pour m'expliquer,je vous rappelle p ex les nombreuses intégrations de travailleurs de la soutraitance et je vous cite un exemple.
Un père de 3 enfants travaillait à la Siape en tant que gardien avec comme salaire 170d;après son intégration,son salaire a atteint700d, en plus,on lui a donné des tickets de petits déjeuner de 60d pour ses enfants et tenez vous bien il a eu droit à Deux semaines de vacances à Mahdia nourri logé!
Pensez vous que c'est un cas particulier?

BABA Sanfour
| 05-01-2017 23:02
J'ai posé une question à laquelle je n'ai obtenu aucune réponse.Donc je réitère ma question:Est-que monsieur Ben Achour possède un quelconque lien de parenté avec le cinéaste,Américain:Woody Allen?
Pouvez-vous satisfaire ma curiosité?merci à celui qui veut bien le faire!
Cordialement,

Tunisienne
| 05-01-2017 21:52


Bonsoir cher Nestor,


Outre ce problème de manque de culture scientifique que tu décris très bien, je pense qu'il y a également un problème de cloisonnement disciplinaire qui grève l'INS : les profils de sociologues (pour étudier les tendances sociétales lourdes), de psychologues (de la consommation) voire d'histoiriens semblent faire cruellement défaut à l'institution pour orienter la recherche d'informations et aider dans l'interprétation des résultats. Et il y a bien-sûr le (gros) souci du manque d'indépendance...


Bonne nuit !



N.Burma
| 05-01-2017 21:27
« Pour paraphraser mon ami N.Burma, le couscous est autrement plus impraticable que la choucroute ! » Tunisienne

Bonsoir Tunisienne,
Le couscous est une céréale en milliers de graines de climat méditerranéen, tempéré chaud là où la choucroute un légume de climat continental, froid. D'où l'incroyable saveur naturelle du couscous alors que la choucroute nécessite mil soins pour lui donner une saveur agréable en hiver lorsqu'elle est cuite avec des épices et relativement douce en été lorsqu'elle est consommée en salade.
Oui je suis en accord avec toi à propos de l'apalaventrisme des institutions statistiques du pays. L'INS organisme d'Etat se prend pour l'Etat et sert l'Etat comme un personnel domestique sert ses maîtres espérant bénéficier d'une prime à la soumission !
C'est un des volets du mensonge statistique au service du pouvoir. L'INS a été prise à son insu dans sa danse du ventre et Houcine Ben Achour a parfaitement compris qu'une partie de l'opinion n'est pas dupe et bien plus, cette partie de l'opinion est en colère comme dirait Rached Bey, alors exprimons notre colère posément en démontant la mécanique de l'INS et en lui demandant de revoir sa copie !


Bonne soirée

zohra
| 05-01-2017 20:55
Bonsoir,

Tout à fait ces moyens de statistiques et d'analyses sont très intéressants s'ils sont utilisées honnêtement et sans arrière pensée de faire tremper l'option public.

Bonne soirée

Tunisienne
| 05-01-2017 20:52

et jeter de la poudre aux yeux ! Que d'informations (qui auraient pu orienter les décisions) perdues en cours de route !

Cette analyse montre (s'il en est encore besoin !) la soumission de l'INS aux diktats politiques : On surmédiatise les résultats de la«pauvreté indécente» sous Ben Ali, on revoit les méthodes de calcul à la demande (voire sur commande), on sous-médiatise les nouveaux résultats et puis on consent à parler de «pauvreté polarisée»... Et voilà que maintenant, on recalcule (très «scolairement») le taux de pauvreté, mais on décide très «opportunément» de faire du rétromachinage, au mépris de toutes les autres réalités d'hier et d'aujourd'hui...

Quid de la sur-polarisation actuelle de la pauvreté ? Quid des nouvelles polarités ? Quid de la paupérisation de la classe moyenne ? Quid des profils sociodémographiques de ceux qui sont sortis de la «pauvreté polarisée» ? ...


Pour paraphraser mon ami N.Burma, le couscous est autrement plus impraticable que la choucroute !



DHEJ
| 05-01-2017 20:37
Utilité ou fonctionnalité de la loi pour une efficience de la production juridique !


@ N.Burma pour faire illusion à l'idée soulevée concernant l'utilité des statistiques dans le domaine médical!

N.Burma
| 05-01-2017 20:26
« Donc les statistiques peuvent raconter ce qu'ils veulent » Zohra


Non Zohra ce ne sont pas les statistiques qui peuvent raconter ce qu'elles veulent mais les hommes et les femmes qui manipulent les statistiques eux, vous font croire parfois à des sornettes.
Pas plus que les couteaux ne sont responsables des assassinats islamistes et pas plus que les voitures ne seraient responsables des morts sur les routes !
L'outil statistique est un instrument d'analyse, d'observation, d'investigation dans tous les domaines de l'activité humaine et c'est grâce aux études statistiques qu'on peut mieux comprendre le présent et parfois envisager le futur avec discernement.
Je ne veux pas trop étaler la question statistique, mais je vous assure qu'en médecine par exemple, les études statistiques sont aussi importantes que les médicaments qui se créent justement sur la base d'études statistiques sur les maladies et la mortalité par exemple.
L'INS est une institution de très grande qualité, dans un pays qui malheureusement ne dispose pas d'une très grande culture mathématique, statistique ou simplement scientifique. Si l'écrasante majorité de la population ne se sent pas concernée par les disciplines scientifiques et les conséquences qui s'en suivent, alors, nous serons toujours dans le malentendu et dans l'ignorance crasse qui caractérise les peuples à l'éducation scientifique restreinte.

zohra
| 05-01-2017 20:00
Tous ces intituts INS ou autres, ils font des statistiques je ne sais sur quel critère.
Pour nous, surtout ceux qui ont un oeil qui vient de l'extérieur, ce que je constate (ma famille, mes amis, mes voisins, les gens que je côtoie) qu'il y a une grande différence de qualité de vie par rapport avant et après la révolution, il y a énormément de difficultés pour se soigner, énormément de difficultés pour joindre les deux bouts, une classe moyenne en très grande difficulté et très endettée.

Bien entendu ,il y a d'autres gens sont devenus riches par le trafic et "tadbir errass" je connais quelques uns qui sont devenus riches de jour au lendemain.

Donc les statistiques peuvent raconter ce qu'ils veulent.