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Chroniques
Médecins, médias et magistrats de la honte
07/02/2017 | 15:59
6 min

Avec la récente polémique sur la détention provisoire d’une résidente au CHU de Sousse et l’arrestation d’un médecin à l’hôpital de Gabès, les médecins sont devenus les marqueurs d’un corporatisme décomplexé. Autant le constat de délabrement des hôpitaux tunisiens, des conditions de travail exécrables, et parfois même inhumaines, de travail du cadre médical et de l’absence d’une loi les protégeant, sont faits par tous, autant les arguments brandis laissent perplexes.

 

A l’instar des avocats avec leur timbre fiscal, des enseignants avec leurs augmentations de salaire ou des syndicalistes avec leurs grèves sauvages et désorganisées, les médecins usent des mêmes moyens de diabolisation qu’ils reprochent aux autres.

En l’espace de seulement quelques heures, les réseaux sociaux ont vibré de messages de haine tous aussi inventifs les uns que les autres. « Les médecins sont au sommet de la pyramide sociale », « les médecins n’ont pas à soigner les ingrats qui ne les respectent pas », « les médecins n’opéreront plus les malades à risque », etc. Réactions d’une caste qui s’estime au-dessus de toute loi ? Peut-être. Heureusement, tous ne pensent pas pareil. D’un autre côté, les commentaires diabolisant les médecins et les accusant d’être des « commerçants de la chair humaine » se sont aussi faits nombreux. Répondre à la haine par la haine. Est-ce là la réponse constructive qui devrait être tirée de ce genre de polémique ?

 

 

Il est légitime de défendre ses confrères lorsque ceux-ci sont victimes d’une injustice. Encore plus s’ils subissent des procédures judiciaires arbitraires et totalement contraires aux droits humains les plus élémentaires. Quand cette défense tend à se transformer en haine et en victimisation, elle n’apporte rien à un débat qui devrait plus que jamais faire émerger des solutions pour sauver tout un secteur de la dérive. Les médecins se disent « diabolisés », « jetés dans la fosse aux lions comme des malpropres » et « accusés à tort de toutes sortes de maux », n’hésitent pas à appeler à « interner les journalistes » et à « mettre des camisoles de force aux magistrats ».

Il est aussi tout aussi légitime de s’indigner contre les « médias de la honte » [terme postrévolutionnaire inventé dans l’unique but de « gratifier » les médias] qui propagent des informations à chaud et sans fondement, de critiquer le travail de la justice « obéissant à une pression populaire et médiatique ». Encore faut-il démêler le vrai du faux.

Ces mêmes médecins, qui se disent incompris et dénigrés par leurs concitoyens, n’hésitent pas eux-mêmes à se martyriser les uns les autres. Les internes sont placés tout en bas de la chaîne alimentaire médicale et martyrisés par leurs supérieurs. De même que les résidents sont traités comme des esclaves par leurs chefs de service, relégués aux travaux ingrats et placés en chair à canon lorsque les choses tournent mal. Les médecins ne sont pas tous victimes d’un système qui les maltraite, certains d’entre eux sont responsables de la maltraitance de leurs confrères, travaillant à un niveau dit « inférieur ».

 

Une chose est sûre cependant, la loi est mal faite, elle est même inexistante sur certains aspects. La détention provisoire est appliquée dans des situations exceptionnelles. Elle concerne les personnes représentant une évidente menace pour les autres citoyens ou un risque de fuite. Elle ne devrait nullement être appliquée contre des médecins en exercice alors même que rien ne prouve leur culpabilité. Dans les faits, elle est pourtant appliquée contre nombre de citoyens ne représentant pas l’ombre d’une menace : ceux soupçonnés d’avoir fumé un joint, les homosexuels qui attendent qu’un examen anal leur soit pratiqué, et plein d’autres injustices criantes. La détention préventive remet en cause le droit élémentaire de présomption d’innocence. Est-elle justifiée contre un médecin en exercice ou tout autre travailleur qui n’a fait que son travail ? Evidemment que non.

 

La loi devrait prendre en considération la complexité du travail médical. Que rien ne puisse défendre un médecin en exercice est d’un danger inimaginable. Accuser un médecin de « homicide involontaire » alors qu’il s’agit d’une erreur médicale liée à un nombre incalculable de facteurs, ne devrait pas être permis. Un comité d’experts composé de médecins spécialistes devrait se prononcer avant qu’un juge puisse avoir son mot à dire. Une loi devrait impérativement être votée pour réglementer l’exercice médical.

Une loi qui permettrait de faire la différence entre « aléa thérapeutique » et véritable « faute médicale ». Une loi qui protégerait les médecins qui ont fait de leur mieux mais n’ont pas réussi à sauver une vie, contre des citoyens en colère après la perte d’un proche, des citoyens attristés qui cherchent un bouc émissaire ou des citoyens qui ne comprennent simplement pas les aléas médicaux.

Mais cette loi devra aussi faire la différence entre les affaires à traiter en civil et celles qui devraient impérativement passer en pénal. Autant le rôle d’un médecin est noble autant il est critique. Ceux qui font de la chair humaine un fonds de commerce et se permettent d’opérer des patients dans un état de fatigue ou d’ébriété évident et qui mettent la vie des autres en danger ne devraient pas être traités de la même manière que ceux qui se donnent corps et âme pour sauver des vies et bien faire leur travail. Dans les plus grandes démocraties du monde, la notion de faute médicale est jugée en pénal contrairement à celle d’erreur médicale qui peut être liée à toute sorte d’aléas thérapeutiques indépendants de la volonté et du contrôle du médecin traitant.

 

En plus d’établir des lois dignes des pays les plus avancés, il faut que les conditions de travail suivent afin que les médecins ne soient plus les esclaves d’horaires de folie, de gardes interminables et de matériel archaïque et que les patients puissent avoir droit à un minimum de respect de leur dignité humaine et à un minimum de recours légal aussi. Dans les plus grandes démocraties du monde, on défend son élite et ses compétences, on ne les pousse pas à la passivité, à la méfiance et au ras-le-bol. On ne les jette pas dans la gueule du loup sans un minimum pour les défendre. Défendre les droits des médecins, c’est aussi défendre ceux des patients et donc de tous les citoyens. Défendre les droits des médecins ne les place, en revanche, pas au-dessus des lois, encore moins au-dessus des critiques et des (nécessaires) remises en cause…

07/02/2017 | 15:59
6 min
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Commentaires (16)

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Didi
| 10-02-2017 23:46
Le fait de recourir a la greve toutes les deux semaines de la part du corps medical laisse perplexe lopinion publique tunisienne . Un brassard aurait suffit.

Tounsia
| 08-02-2017 22:23
quelqu'un disait que l'opinion publique est montee contre les medecins et il propose des emissions tele ou le mede cin devrait dialoguer avec les patients pour attenuer ces tensions.
La solution n'est pas la.Chaque medecin dans son bureau essaie de faire passer des messages a chaque patient mais souvent celui ci ne tient pas compte de ce que lui est dit et ne cherche pas a etre observant de son ttt et va consulter un charlatan et la il ne compte plus et revient par la suite plus complique .C'est ça la mentalite de la majorite des tunisiens moyens qu'on n'arrive pas a changer.

S.citoyen
| 08-02-2017 18:57
les tunisiens vivent quotidiennement sur des polémiques et regardent leurs intérêts légués en arrière .Les médecins qui sont en position confortable matériellement , cherchent maintenant à nous esclavager

Dr Youssef
| 08-02-2017 16:56
Les médecins et l'instance ordinale qui les représente n'ont jusque là,jamais été hostiles aux autres corps de métiers(médias,magistrats ,ou autre).Ils n'ont diabolisé personne avant les derniers incidents médico-légaux de Sousse et de Gabes. Aujourd'hui,un sentiment de désarroi et d'inquiétude règne au sein des médecins.Il est regrettable de constater depuis un certain temps,le passage d'émissions télévisées à propos des "fautes médicales "où l'on note clairement un manque d'objectivité et de professionnalisme ,et où l'on relève une confusion dans les esprits et une méconnaissance flagrante du sujet.Ce qu'on appelle souvent à tord , "fautes médicales" est devenu depuis un certain temps,un bon fond de commerce,qui attire l'audimat,dans un but purement mercantile,malheureusement.Mais ce qui est plus grave,ce sont les répercussions dangereuse sur le public qui se trouve induit en erreur et adopte une attitude d'hostilité et de haine vis à vis du corps médical.C'est un constat que personne ne conteste actuellement.Les médecins ne sont pas contre les journalistes,ni contre la liberté d'expression.Au contraire,c'est un métier noble,et beaucoup de journalistes méritent respect et considération pour leur haut niveau de professionnalisme et leur attachement aux règles déontologiques de la profession.Le sujet de la responsabilité médicale(et non pas tout simplement fautes médicales)n'est pas un tabou.Aucun médecin n'est contre une émission de télévision qui présente un débat sérieux à ce propos, qui éclaire le public et qui lui donne des informations de vérité avec la participation d'experts en la matière ,et en particulier le CNOM.
Dans l'affaire du nouveau né prématuré de Sousse,la condamnation de la jeune résidente a déjà été faite de façon prématurée aussi,dans un plateau de télévision le vendredi 03/02/2017,alors que l'instruction venait à peine de commencer.C'est inadmissible. On aurait pu aborder cette affaire avec beaucoup de prudence et de réserves,en attendant le résultat final de l'expertise et la clôture du dossier,avant de construire un scénario abominable et inimaginable.
La décision du juge d'instruction de mise en détention provisoire du médecin est incontestablement un abus de pouvoir,et l'accusation d'homicide volontaire est complètement absurde.Le corps médical n'a aucune haine contre les juges ,et aucun médecin n'a dit un jour qu'il est au dessus de la loi. Mais là on commence à se poser sérieusement des grands points d'interrogation à propos de l'indépendance et de l'impartialité de la justice tunisienne.On est en droit de nous poser des questions à propos de l'image du médecin dans la société qui se trouve à tord dénigrée.
Le secteur de santé est malade depuis des décennies, et beaucoup de problèmes existent aussi bien dans le public que dans le privé.Malheureusement,depuis la révolution du 14 janvier, aucun ministre de la santé n'a eu l'audace d'entreprendre les réformes nécessaires pour améliorer les prestations de soins des citoyens.Au contraire,on a eu affaire à des décisions erronées ,populistes et irréalisables.La place du médecin est certes importante dans tout ce système ,mais on ne peut certainement pas lui incomber toutes les responsabilités .Ce n'est qu'un maillon de la chaîne,et l'effort qu'il fournit est énorme.C'est la seule soupape de sécurité qui reste pour nos malades dans ce système très défectueux.Alors de grâce,ne le détruisons pas,car il reste l'une des fiertés de ce pays. Le "corporatisme" du corps médical n'est pas inné.Il est le résultat des multiples et innombrables attaques infondées qui touche même à sa dignité et son droit a mener une vie décente.Le citoyen doit se réconcilier avec le médecin par le rétablissement du respect et de la confiance mutuelle,et les médias et la société civile jouent un rôle primordial dans ce sens.La responsabilité médicale est très lourde et nul ne peut la sentir à la place du médecin.L'exercice du médecin est parfois très stressant et pénible du fait de la difficulté et de la complexité de son acte,des conditions de travail mis à sa disposition,et aussi du terrain à risque du patient.C'est pour cela que la loi sur la responsabilité médicale doit être mise en place dans les plus brefs délais,afin qu'il puisse travailler dans la sérénité et pour garantir les droits du malade.
Je rend enfin un vibrant hommage à la jeune résidente de néonatologie incriminée injustement,ainsi qu'à touts les internes et résidents ,soldats inconnus qui travaillent péniblement et sans relâche afin d'assurer la pérennité des soins dans des hôpitaux universitaires dégradés 7 jours sur 7 et 24 h sur 24.

mon pays
| 08-02-2017 11:44
Si vous avez un président manipuler par un chef islamiste et un chef d'Etat applique ce que ce dernier lui ordonne,comment voulez vous avancer dans les domaines civils?On est foutu et d'avantage mais a feu doux,et ce n'est plus l'heure de blaguer!!!Nous voyons notre destruction avec nos propres yeux!

anouar
| 08-02-2017 11:41
depuis l'affaire des stents et grâce à Mr Aidi, y a plus de confiance entre ministère-médecins-citoyens c tt.

je dis la vérité
| 08-02-2017 11:11
Le corps médical, dans son ensemble, que ce soit dans le secteur public ou le secteur privé, a reçu un choc ou plus exactement un électro-choc, qui va le réveiller.
Je m'explique :

L'ensemble des professionnels de la santé, opérant en Tunisie, pensent que le métier de médecin est le métier le plus valorisant, puisque son but est de soigner, sauver des vies, préserver la santé des patients. Oui, c'est vrai, tout le monde le pense.
D'ailleurs, la Tunisie, comme toute autre Etat-nation, s'est dotée d'une déontologie et d'une éthique que tout praticien doit respecter.

Les jeunes bacheliers qui choisissent une carrière médicale, ont un rêve dans la tête et une passion. Ils pensent à l'instar de leurs aînés, que l'ascenseur social passe par là.
Profession prestigieuse les mettant à l'abri des contraintes financières. Ils chassent de leur esprit les idées qui ternissent leur futur métier : le stress, les bavures, les agressions, le fisc et tout. Tout irait mieux pour ces médecins en herbe.

Curieux...Dans beaucoup de pays, ce sont les filles qui s'inscrivent le plus dans les facultés de médecine. Elle raflent les meilleures spécialités, lors des concours de résidanat.L'ophtalmologie arrive en tête.La chirurgie générale? Ah non!

Ces jeunes, une fois leur cursus terminé tant bien que mal, commencent à déchanter.

Finalement, ce métier tant aimé, s'avère dur. Certains, très brillants, intelligents et tout, flanchent. Ils n'ont pas les capacités physique et psychique pour affronter les malades.

Je me souviens d'un praticien Français d'avoir déclaré sur un plateau de télé :
"Il n'y a pas de maladies, il y a des malades!"
Alors, dans ce cas, c'est un problème de communication et le diagnostic, même judicieux, ne suffit plus. Il faut savoir se comporter avec les patients.Les malades ne sont pas des animaux de compagnie. Il faut respecter la dignité humaine, le désarroi du malade, ses angoisses, le degré de son instruction, etc...

Beaucoup de praticiens en Tunisie, "maltraitent" leurs patients, les ridiculisent et les laissent tomber...Ils les trouvent "stupides" et répugnants.

Tout le corps médical, même s'il est en colère, doit revoir sa copie. L'opinion publique est montée contre lui.
Manifester dans la rue ne servira à rien.Les praticiens devront s'asseoir avec les patients, sur le plateaux de télévision, dialoguer et chercher à absorber l'irritation des citoyens.

C'est mon point de vue, et à bon entendeur salut !

zohra
| 08-02-2017 08:40
Bonjour,

On respecte plus l'humain tout court.
Car on a n'a plus de respect pour nous-mêmes.


Rabi ykhar elkhir

Ahmed
| 08-02-2017 06:35
Nous vivons une grave crise morale.

tunisien
| 07-02-2017 23:58
on vit les maux de toute l'humanité
o chagrin o misère
on est devenu un peuple ou plutôt une poussière d'individus qui ne respecte ni le médecin ni l'enseignant ni l'ingénieur ni l'artiste
nous sommes au fin fond du puits de toutes les bassesses du monde