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Chroniques
Maya… Ah Maya !
06/02/2017 | 15:59
8 min

 

Nous sommes le 6 février 2013, c’est comme si c’était hier, mais c’était il y a quatre ans, jour pour jour. Ce 6 février 2013 maudit, j’apprends que le leader politique Chokri Belaïd est victime de coups de feu, tirés à bout portant, devant chez lui à El Menzah VI. Il a été transporté d’urgence à la Clinique Ennasr, à quelques centaines de mètres du siège de Business News. J’y vais de suite pour trouver Besma Belaïd et quelques leaders du Watad en train d’attendre les médecins pour leur dire si Chokri est sauvé… ou pas. Les médecins arrivent, le diagnostic est fatal. Le « corps de Chokri » n’est plus, il n’a pas résisté aux balles. Besma craque, tout le monde craque à la clinique. L’abattement est général. On crie, on jure, on insulte. Sihem Ben Sedrine débarque, toute pimpante : « Qu’est-ce qui se passe ? ». Elle est renvoyée illico presto comme une malpropre. Comme à l’époque des westerns lorsqu’on renvoyait les mercenaires et les chasseurs de prime. On insulte et on jure de remettre les islamistes en prison. C’est ce 6 février 2013 qu’est né le fameux slogan (aujourd’hui totalement étouffé) : « Ghannouchi assassin ! ». C’est ce 6 février 2013 qu’est né l’autre slogan : « Chokri n’est pas mort, Chokri n’est pas mort ! Chokri est vivant !».

 

Nous sommes le 6 février 2017, cela fait quatre ans que ces slogans sont nés et cela fait quatre ans qu’ils sont encore au stade de slogans. Les assassins de Chokri sont encore dans la nature, bien que Béji Caïd Essebsi ait promis, dans sa campagne électorale, de les arrêter. Cela fait quatre ans que Sihem Ben Sedrine a été renvoyée, mais quatre ans après, Sihem Ben Sedrine préside une instance supposée nous dire la vérité, bien que les preuves de ses mensonges sont multiples et mille fois exposés devant l’opinion publique. Cela fait quatre ans que l’on promettait et jurait de mettre les islamistes en dehors du paysage politique, mais quatre ans après, les islamistes sont plus que jamais à la tête du pouvoir. « Chokri n’est pas mort, Chokri n’est pas mort ! Chokri est vivant !», criait-on il y a quatre ans. Question naïve : comment ça Chokri n’est pas mort ? Comment ça Chokri est encore vivant ? Autant nous sommes les champions des slogans pompeux, hypocrites et poétiques, autant nous sommes des moins que rien dans le concret et l’efficacité. Chokri n’est pas mort ? On peut toujours feindre de le croire… En attendant, concrètement, ce sont l'islam politique et les mercenaires qui ne sont pas morts, qui sont encore vivants, qui nous dictent leurs lois et nous imposent leurs vérités…

 

 

Semaine houleuse aux États-Unis avec le décret de Donald Trump interdisant l’accès sur le sol américain des citoyens de sept pays musulmans. Spectaculaire décision du président US qui ne fait qu’exécuter ses promesses de campagne. Voilà ce que c’est qu’une vraie démocratie et ce qu’est un vrai démocrate : on promet et on tient ses promesses !

Encore plus extraordinaire que le décret de Trump, la décision d’un juge de casser le décret qu’il a estimé anticonstitutionnel. Spectaculaire décision du juge qui ne fait qu’exercer les prérogatives dont il dispose. Voilà ce que c’est qu’une vraie justice et ce qu’est un vrai juge : on a des prérogatives et on les exerce indépendamment du nom et du statut du justiciable en face.

En Tunisie, tout comme dans les autres pays arabes et à degré moindre la France (nos éternels colons et éternels modèles), on ignore le sens de la démocratie, le sens d’honorer ses engagements et ses promesses et le sens de la justice et du droit qui exigent une indépendance parfaite de la part du juge et une égalité parfaite entre les justiciables.

Les scandales et abus judiciaires se multiplient et se ressemblent, sans qu’il n’y ait de suite. Le dernier en date, celui de ce week-end où l’on a mis deux médecins (un interne et un résident) en garde à vue suite à ce qui semble être une erreur médicale. Partout dans le monde, y compris en Tunisie, la détention est théoriquement une procédure exceptionnelle. On ne prive un citoyen de sa liberté, même provisoirement, que si l’on estime qu’il constitue un danger pour autrui, qu’il peut se soustraire à la justice ou qu’il peut interférer d’une quelconque manière dans le bon déroulement de l’instruction. En pratique, il en est autrement. On connait parfaitement les conditions traumatisantes (et le mot n’est pas assez poignant) de nos centres carcéraux et on continue pourtant à y jeter des citoyens ordinaires qui (théoriquement et légalement) sont innocents de tout acte criminel, justifiant ce traumatisme moral.

Des erreurs médicales, il y en a toujours eu depuis la nuit des temps. Si l’on va interdire aux médecins de faire des erreurs, on va tout simplement les empêcher d’exercer normalement leur profession. Avec cette arme de menace carcérale sur la tempe, ils vont refuser toute prise de risque… Pire, ils vont chercher à aller travailler sous d’autres cieux, là où ils sont respectés, là où l’on comprend le sens des mots risque et erreur légitime.

Le hic, c’est que celui qui met en prison un médecin pour son erreur professionnelle, ne met pas en prison son propre confrère quand il en commet une. Avez-vous déjà entendu un juge mettre un autre juge en prison ou en garde à vue pour une erreur judiciaire ?

Vous vous rappelez de ce juge et de ce procureur de Tozeur qui ont mis un postier en prison et provoqué une grève générale d’une semaine ? C’était évident, aux yeux de l’opinion publique, qu’on était face à un abus judicaire. C'est-à-dire pire qu’une erreur. Que s’est-il passé ensuite ? Le postier a été libéré grâce à la mobilisation générale, mais qu’est-il arrivé aux magistrats ? Rien ! En dépit des éléments prouvant la proximité de l’un des magistrats avec des mouvements salafistes radicaux, il ne s’est absolument rien passé et l’affaire a été étouffée rapidement.

Des erreurs, toutes les professions en commettent. L’erreur est le propre du travail humain. Sanctionner cette erreur par une privation de liberté (soit-elle courte) n’a aucun sens dans un pays qui se respecte et respecte ses citoyens. C’est non-seulement contreproductif, mais c’est dangereux, car ça incite à la paresse, ça tue l’initiative et ça pousse à aller voir ailleurs des professions moins risquées et moins productives pour la société.

 

Vendredi dernier, le parti Al Joumhouri a ouvert son congrès. Le palais des congrès était plein à craquer. Tout le monde politique y était ou presque, toutes les tendances étaient là. Issam Chebbi, Iyad Dahmani et les différents dirigeants du parti étaient là pour recevoir leurs centaines d’invités. L’organisation et l’accueil étaient impeccables. Un véritable sans faute.

Seulement voilà, les centaines d’invités de ce vendredi ne sont pas venus pour Al Joumhouri et encore moins pour Issam Chebbi. Nous étions là pour Maya Jribi et son discours d’adieu. Cette dame frêle par le physique et grande par le militantisme, la bonté, la gentillesse et le sens de la justice, est rattrapée par la maladie. Son corps ne suit plus. Son discours a été émouvant. Très émouvant. Tellement émouvant que l’on ne compte plus le nombre de présents avec les larmes aux yeux à la suite de son discours. Nous étions tous debout pour l’applaudir en tout respect, en toute admiration. Elle était, ce vendredi, plus grande que nous tous réunis ! Elle nous était supérieure, elle était au dessus du lot. Aucun hommage ne saurait rendre à Maya ce qu’elle a donné à ce pays. Une vidéo flashback de 2011 la montrait se présenter à la présidence de l’ANC. Mais les calculs politiques de la troïka ne voulaient pas d’elle. Les islamistes la refusaient, Ettakatol la rejetait et les dirigeants du CPR venus de France étaient plongés dans leur haine égoïste et aveugle et n’entendaient pas partager une parcelle de pouvoir avec les véritables militants qui étaient sur le terrain face à la gueule du loup.

 

Ce pays est ingrat envers ses enfants. Maya ne fait pas l’exception. De par notre culture, notre inculture, notre analphabétisme, notre égo démesuré et notre incivisme, on ne sait pas reconnaitre aux grands qu’ils sont grands et aux méritants qu’ils sont méritants. Qu’ils soient politiques, magistrats, policiers, sportifs, journalistes, investisseurs ou médecins, on ne sait que démotiver parmi eux ceux qui entreprennent, casser ceux qui réussissent et détruire ceux qui se trompent.

Maya a fait son discours d’adieu… Chokri est décédé… Les promesses électorales sont mortes, la vérité n’est plus et on recherche encore la justice… 

Le terrain est désormais libre devant les islamistes, les mercenaires et les assassins de Chokri, de la démocratie et de la justice… 

06/02/2017 | 15:59
8 min
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Commentaires (26)

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Fifi
| 26-03-2017 18:33
Votre écrit mérite la mention, mais....
J'ai mal pour notre Tunisie notamment quand je me rends compte que même son élite n'a pu voir juste au moment opportun. Cette analyse arrive tard, il aurait fallut plus de lucidité à temps pour notre Tunisie, le mal est fait justement pour cause d'amateurisme politique de la grande majorité. On

odieux
| 08-02-2017 12:52
C'est devenu un moment privilégié que de lire la chronique hebdomadaire de Nizar.

Cela me rassure de trouver quelqu'un qui a des approches et des idées proches des miennes.

Il y a de la rigueur dans toutes ces analyses , rigueur qui fait souvent défaut dans ce pays d'exception.

chou
| 08-02-2017 10:09
Bravo NIZAR ? Rien à dire , rien à ajouter .
malheureusement le Tunisien a la mémoire très courte et nos politiciens le savent et pour cette raison ils n'ont aucun scrupule face à leurs conneries et bêtises. On dit "ils la face en cuivre"

Abel Chater
| 08-02-2017 09:54
Puisqu'on me censure, je me limite à la toute petite question:"où voit-on l'Islam politique en Tunisie et qui nous impose d'aller aux Mosquées, de ne pas aller nous saouler ni d'aller nous accoupler?"
Ou est-ce qu'on imite le mensonge et le déroutage de l'immigré espagnol, candidat malheureux à la primaire présidentielle, Manuel Valls qui dit mensongèrement aux Français, qu'on «oblige aux femmes tunisiennes de porter le voile»?
Il ne manque encore à ceux du parti d'Ennahdha pour démentir leurs opposants politiques, que d'enlever leurs pantalons et de tenir la bouteille en main afin de plaire à tous les ennemis de l'Islam. Jamais un parti politique se déclarant craindre la Divinité et le Tout Puissant de par le monde entier, n'a fait ce détour lâche, peureux, froussard, sans le moindre courage, mais avec beaucoup de responsabilité envers notre patrie la Tunisie, comme le parti d'Ennahdha sous la direction de son vieux loup sage et bien équilibré, Rached Ghannouchi. Il a taillé les griffes des radicaux dans son parti, jusqu'à leur avoir appris comment les embellir par de la manucure et de s'en débarrasser de leurs barbes et se maquiller pour plaire aux homosexuels.
Le ministre de l'Education nationale en fonction Néji Jalloul, vient de le déclarer explicitement, qu'il préfère son RCD à Ennahdha. Une preuve flagrante qu'il ne travaille ni sous l'influence, ni sous les ordres d'Ennahdha. Malgré tout, j'entends toujours dire, que c'est Ennahdha qui gouverne la Tunisie. Une humiliation flagrante contre le premier-ministre Youssef Chahed et un gigantesque mensonge que nos médias n'entendent pas corriger, ni avec foi ni avec conscience.
C'est quoi donc cet Islam politique dont on nous casse la tête sans vouloir l'identifier avec clarté?
Où est-ce que les ennemis de l'Islam veulent nous christianiser, nous judaïser ou nous athéiser?
Vive la Tunisie arabe et musulmane.
Allahou Akbar.

sss
| 07-02-2017 19:06
Oui d'accord le courage te permet de rester debout et de continuer mais les peaux de banane que l'on te mets sur ta route créé des obstacles il faut savoir les contourner avec intelligence le savoir faire et les peaux de banane ne manquent pas que ce soit en politique dans les administrations le problème c'est la mentalité, l'éducation, il y a un problème de fond dans la société. Voyez vous lorsque l'on réussit il y a toujours des jaloux des envieux où est donc ce temps où on était content et heureux pour la/les personnes qui réussissait la fierté que l'on a parce que l'on connaît ou parce que l'on côtoyait une compétence où tout le monde était derrière pour finaliser cette réussite malheureusement de nos jours je ne vois que la haine l'envie la jalousie une personne qui réussit est une personne à abattre c mesquin mais c comme ça je regarde j'observe et me pose des tonnes de questions mais on peut changer le monde

Bechir Toukabri
| 07-02-2017 12:24
C'est bien de pleurer sur nos échecs. En fait c'est bien de pleurnicher sur les échecs de tous les opportunistes de la "révolution", des défenseurs de la "démocratie et autres naïvetés. Malheureusement personne n'a de solution de rechange, à part les
islmistes qui ont leur religion newlook.On est encore donc dans la merde jusqu'au coup.

l oeil du diable
| 07-02-2017 12:10
L essentiel c est le courage politique pour gagner le pari.Regardez Fillon,il ne baisse pas les bras devant cette campagne mediatique
bien organisee et bien dirigee pour l abattre
ceci me rappelle Jacques Chirac abandonne par quelques uns de sa troupe fideles a Balladur,en fin de compte il a ete elu par le peuple.Regardez De Villepin qui a ete mis en accusation mais a combattu pour etre blanchi en fin de compte par la justice,ou bien encore l exemple du President Allemand Wulff qui a ete accuse de corruption et a ete pousse a la demission,mais a mene un combat pour etre enfin de compte blanchi par la justice.et
toujours des medias et hommes politiques verreux se sont trouves a la source de ces accusations inventees pour eliminer des adversaires honnetes qui ont refuse de vendre leur conscience au diable.Oui l argent est le nerf de la guerre,on dit bien qu il n a pas d odeur,moi je dis qu il pue la malhonnetete et l esclavagisme,
notre pays ne manque pas a cette regle,nos
medias sont en grande majorite atteint par ce virus de ......l esclavagisme materiel.

Monia
| 07-02-2017 12:07
Felicitations pour cet article, pendant cette semaine ou on ne trouve que des articles bidons, il faut dire que des journalistes professionnels il n'en existe pas beaucoup. Felicitations pour le titre, j ai beaucoup aimé cela veux tout dire

afour
| 07-02-2017 09:34
si un talentueux journaliste comme toi NB commence a baisser les bras alors que dire du simple citoyen qui se trouve dans la tourmente moi je crois a notre societe civile et particulierement a la femme tunisienne qui sauront bondir a tout moment pour contrecarrer les mauvaises intentions

kbr
| 07-02-2017 07:50
La bilan de la situation de la Tunisie d'aujourd'hui est mitigé. Ce n'est pas si noir que ça, mais ce que vous dites est vrai. Le problème est comment avancer sans trop de casse.