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Marché de la cigarette électronique, ça ne vapote plus!
26/01/2018 | 20:00
5 min
Marché de la cigarette électronique, ça ne vapote plus!

A en juger par le nombre de groupes, pages, forums et articles dédiés sur le net, le marché de la « vape », ou celui de la cigarette électronique pour les profanes, a le vent en poupe. Bien que sujette à polémique, cette alternative à la cigarette classique connait un certain succès en Tunisie, qui compte plus de 70 boutiques de vente spécialisées pour un marché de près de 20.000 « vapoteurs ». Depuis 2014 pourtant, nombreuses boutiques ont dû mettre la clé sous la porte, nouvelle donne oblige : c’est désormais la RNTA qui détient le monopole du marché de la « vape »…

 

 

En Tunisie, la vente des produits de vape est soumise, depuis 2014, au monopole de la Régie Nationale des Tabacs et Allumettes (RNTA). Dès lors, ces boutiques qui commençaient à peine à pulluler dans le pays ont été « condamnées » à disparaitre. Le phénomène nous avons pu, en outre,  le constater dans certains quartiers chics de la capitale, où ces petites échoppes dans lesquelles aimaient se retrouver les initiés pour échanger sur les meilleurs modèles à acquérir ou encore sur leurs arômes de e-liquide préférés, ont dû baisser leurs rideaux.

 

Cette situation, qui a par la suite engendré une pénurie mais qui a aussi et immanquablement ouvert le marché à la contrebande, a longtemps été décriée par l'Association de la Cigarette Electronique pour Arrêter de Fumer (ACEAF).

 

Nous avons posé la question aux commerçants de la vape, qui tentent, tant bien que mal, de poursuivre leurs activités, via bouche à oreille ou en proposant leurs produits en toute illégalité dans d’autres boutiques ou encore sur internet, et leur réponse fût la suivante : « On ne peut faire autrement, car la RNTA, à qui on a donné le monopole des produits de la vape est incapable de satisfaire les besoins des clients. Le marché de la cigarette électronique est en perpétuelle évolution et de par ses procédures de gestion, freinée par une lourde bureaucratie, la Régie nationale est inapte à suivre ces changements. On ne peut pas aujourd’hui espérer vendre un modèle désuet alors que les cigarettes électroniques sont passées aux nouvelles générations et ce sont ces produits, non disponibles chez la RNTA, que nous proposons aujourd’hui à nos clients qui les demandent. Aussi, c’est vraiment sidérant de vouloir détenir le monopole d’un produit alternatif à un autre sur lequel ils détiennent aussi le monopole. En gros, ils vendent les cigarettes et les produits qui aident à les arrêter, cherchez l’erreur ! ».

 

Les commerçants récalcitrants se voient traqués par les services de la douane, qui depuis le mois de novembre ont multiplié les descentes pour saisir la marchandise « illégale », désormais assimilée à de la contrebande. Nous avons tenté de comprendre si les vendeurs n’ont pas essayé de présenter des factures pour se disculper et là encore c’est l’impasse. « Les autorités refusent de délivrer des autorisations de vente aux magasins de vapotage, c’est pour cela que nous n’avons pas de factures. Ils veulent nous obliger à traiter avec la RNTA, qui ne détient pas les produits que nous commercialisons. En gros, la RNTA ne fait rien pour développer le marché de la Vape et les services de la douane ne nous laissent pas le faire nous-mêmes » nous a confié un commerçant, qui a également dû fermer boutique.

 

Pour voir si la crise, dont les premiers à souffrir sont les clients qui tentent désespérément d’arrêter de fumer, a des chances d’être résolue, nous avons contacté les services de la douane, la ACEAF et la RNTA.  Poussés par le désespoir et l’exaspération des vapoteurs, qui estiment grotesque qu’on veuille quelque part les encourager à reprendre la cigarette et qui se plaignent de cette mentalité archaïque prônant le monopole pourtant à l’encontre de tous les principes du commerce. Nous avons tenté d’arracher des explications aux responsables concernés. Si ceux-ci ont répondu à nos questions avec courtoisie, la gêne que provoque le sujet, aussi auprès des vendeurs qui ont été nombreux à refuser de nous répondre, était également très palpable.

Si les services de la douane nous ont affirmé que l’absence de factures implique saisie et que dans ce cas les rafles qui ont été entreprises visent à lutter contre la contrebande, notamment dans les e-liquides qui touchent directement à la santé du consommateur, les propos furent plus nuancés auprès de la RNTA.

 

Ciblée par une action qui a eu un grand écho sur les réseaux sociaux, et accusée des malheurs d’un secteur qui suffoque, la Régie nationale s’est associée avec l’ACEAF pour tenter de trouver des solutions concrètes permettant une reprise d’activité plus « contrôlée ».  

« Nous œuvrons à débloquer la situation. Nous avons étudié avec l’Association des moyens à mettre en place. Un cahier des charges sera présenté devant une commission au ministère des Finances pour étudier la possibilité de livrer des permis aux commerçants. Evidemment cela restera tributaire de l’accord du ministre » nous a révélé une source à la RNTA.

 

« La solution, dans la mesure où effectivement nous sommes à la régie incapables de suivre le rythme de l’évolution du marché, est de livrer des autorisations d’import et de vente aux commerçants. Ils pourront ainsi, moyennant des taxes spécifiques, se fournir en produits tout en étant soumis à des conditions rigoureuses, pour éviter tout dérapage et toute contrebande et nous maintiendrions ainsi, sous une autre forme, notre monopole » a-t-elle poursuivi.

 

Du côté de l'Association de la Cigarette Electronique pour Arrêter de Fumer, on n’a pas non plus été prolixe. Le responsable contacté par nos soins, nous a confirmé que les deux parties tentent de trouver un accord et des solutions permettant la mise en place d'un cadre légal donnant la possibilité aux différents commerçants ayant le souhait d'évoluer dans cette activité de le faire avec un statut juridique défini par les autorités de régulation.

 

La communauté des vapoteurs elle, a appelé à normaliser le commerce de la cigarette électronique. Dans une pétition lancée sur le web, elle a exhorté le ministre des Finances, le président de la commission de la concurrence de Tunisie et le directeur général du commerce extérieur à supprimer le monopole accordé à la RNTA par l’opinion N°142514 de la commission de la concurrence de Tunisie datée du 15 Mai 2014.

« Les propositions de considérer ces dispositifs comme produits du tabac ou des médicaments ne sont basées ni sur des faits, ni sur le sens commun, ni sur des lois. Les cigarettes électroniques fonctionnent sans combustion, il n’y a pas de tabac, pas d’embrasement ni de fumée : on ne peut les assimiler à des produits du tabac. Il n’y a pas non plus de façon sensée de manipuler la définition légale d’un médicament pour l’appliquer à de tels produits récréatifs, qui ne prétendent ni être un traitement médical ni même d’avoir un effet médical. Les cigarettes électroniques ne guérissent pas la dépendance au tabagisme ou à la nicotine ; elles autorisent aux fumeurs un moyen bien plus sûr de continuer à consommer de la nicotine » précise le texte de la pétition.

 

Un constat que nombreux observateurs, fumeurs ou non-fumeurs, ont partagé. Il est vrai que la question d’un monopole de la RNTA sur le marché de la vape paraît saugrenue. Elle l’est d’autant plus que c’est à un marché structuré et bien formel que s’attaquent désormais les autorités. Comble de l’aberration, la RNTA censée détenir le monopole de la vente des cigarettes n’applique pas rigoureusement son autorité sur le marché. Les cigarettes ne sont, en effet, pas commercialisées exclusivement chez les buralistes comme ça devrait être le cas. On les trouve exposées chez nombreux épiciers et pratiquement chez tous les vendeurs de fruits secs.

Ainsi on pourrait s’interroger sur  cette « obsession » souvent jugée « injuste» envers les commerçants de cigarettes électroniques qui ont trouvé dans un pays gangréné par le chômage, un moyen de créer de l’emploi. En surtaxant les produits, le problème demeurera entier. Les charges qui s’ajouteront aux commerçants, certes autorisés, impacteront les prix de vente et donc les clients. Cela se traduira inexorablement par la prolifération du marché parallèle qu’il faudra ensuite contrer. Ce monopole lèse au final le commerçant, les clients et l’Etat.

 

Myriam Ben Zineb

 

26/01/2018 | 20:00
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