Chedly Ayari, futur ex-gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT), s’attendait-il à une mise à l’écart aussi peu chevaleresque ? Quand bien même aurait-il admis l’idée d’un inéluctable départ, il espérait que cela n’interviendrait pas avant la fin de son mandat, en juillet 2018. Pour cela, il comptait sur un soutien de taille qui, cette fois, lui a fait défaut : le président Béji Caïd Essebsi. Il y a moins d’un an, lors du limogeage de Lamia Zribi, ministre des Finances à ce moment là, pour ses propos sur la dégradation du taux de change du dinar, le gouverneur de la BCT fut également mis sur la sellette. On chuchotait même que le président de la République allait annoncer sa mise à l’écart lors de son discours à la nation le 10 mai 2017. Mais cela ne s’est pas produit. On a tenté d’expliquer, à l’époque, que le chef de l’Etat n’aurait pas pu se résoudre à une telle décision. En effet, les deux hommes se connaissent depuis des décennies. Ils sont de la même génération. Ils ont milité au sein du même parti, le parti du Néo-Destour qui est devenu le Parti socialiste destourien (PSD), puis le Rassemblement constitutionnel et démocratique (RCD). Ils ont fait partie d’un même gouvernement à la fin des années 1960 du président Bourguiba. L’un était alors ministre de la Défense et l’autre ministre du Plan.
La pression serait-elle devenue trop lourde à supporter pour que le président Béji Caïed Essebsi lâche « son ami » à seulement quelques mois de la fin de son mandat ? Car, les raisons qui ont conduit le Chef du gouvernement, Youssef Chahed, à proposer la mise à l’écart de l’actuel gouverneur de la BCT, ne sont pas nouvelles. Et le récent vote du Parlement européen d’inscrire la Tunisie dans la liste des pays « non coopératifs » dans la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme n’en est que le prétexte. Car, la gestion de ce dossier est similaire à celui qui a valu au pays d’être inscrit sur la liste des paradis fiscaux de l’Union européenne. Elle s’est caractérisée par une inadmissible désinvolture et un choix argumentaire aberrant. Désinvolture parce qu’on savait que le Parlement européen allait voter le classement de la Tunisie parmi les pays « non coopératifs » sans qu’on ait prévu une quelconque opération de lobbying auprès des parlementaires européens. L’aberration argumentaire réside dans le fait qu’on a sciemment omis, de mettre en avant la décision du GAFI (Groupe d’Action Financière) , de classer la Tunisie non pas parmi les pays à « hauts risques » mais parmi les pays « sous surveillance » jusqu’à la prochaine réunion plénière du Groupe prévu pour la fin de l’année 2018, laissant ainsi à la Tunisie le soin de parachever la mise en place d’un plan d’action qui satisfasse les 40 recommandations et les 10 objectifs prioritaires à atteindre émises par le GAFI. Or, ce plan d’action n’est pas du seul ressort de la BCT. Il fait également intervenir les ministères des Affaires étrangères, de la Justice, de la Défense, des Finances et du Commerce. Aurait-il fallu, dans ces conditions, limoger tous les ministres concernés ?
En tout cas, s’il y aurait une raison solide à la mise à l’écart de Chedly Ayari, elle résiderait probablement dans les choix de politique de change de l’institut d’émission. Il y a un peu plus d’une semaine, l’Institut tunisien d’études stratégiques (ITES) a organisé une rencontre sur le thème : « la dépréciation du dinar : causes et conséquences », au cours de laquelle la majorité des intervenants présents, experts et universitaires, ont estimé que l’autorité monétaire aurait dû freiner la dégradation du taux de change par une réduction de son stock de réserve en devises à moins de 90 jours d’importations, sinon le prix à payer serait exorbitant en termes d’impact sur les déficits jumeaux, budgétaire et de paiements courants. La BCT s’y semblerait d’ailleurs résolue puisque les réserves en devises s’établissent actuellement à l’équivalent de 85 jours d’importations et que le taux de change du dinar affiche une relative stabilité vis-à-vis du dollar et de l’euro. La sortie prochaine de la Tunisie sur les marchés internationaux pour lever un milliard de dollars viendra conforter le stock de devises du pays en attendant que les exportations reprennent des couleurs et que le secteur du tourisme confirme sa reprise.
Cela étant, certains estiment pourtant que le limogeage de Chedly Ayari n’est que la résultante d’un marchandage politique. Pour faire plaisir à l’UGTT qui exige son départ parce qu’il a maintenu dans le Mémorandum de politique économique, envoyé au FMI dans le cadre du crédit élargi accordé à la Tunisie, le gel des salaires dans la fonction publique durant l’année 2018. Pour faire plaisir à l’UTICA qui n’a pas accepté la fin de non-recevoir du gouverneur de sa demande d’être associée dans la conduite de la politique monétaire du pays.
Pour tout cela, il faudra attendre l’intervention de Chedly Ayari devant les représentants de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) qui devront, en définitive, décider de son sort. Sera-t-elle aussi brillante que celle de Mustapha Kamel Nabli, son prédecesseur, à travers laquelle il avait mis à nu tous les travers de la politique économique de la Troïka ? Wait, see and listen.