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Chroniques
Levée du secret bancaire, un mal pour un mal?
10/07/2014 | 1
min
Levée du secret bancaire, un mal pour un mal?
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Par Mourad El Hattab

Le projet de Loi de finances complémentaire 2014 (LFC 2014) a annoncé des mesures visant le renforcement de la transparence et de la lutte contre l’évasion fiscale en se basant essentiellement, à ce niveau, sur la possibilité de permettre à l’administration fiscale d’accéder à des informations qui concernent les comptes bancaires ainsi que ceux tenus chez La Poste tunisienne et les gestionnaires des portefeuilles.

Ces mesures ont divisé les experts notamment eu égard à leur conformité aux procédures judiciaires et financières tunisiennes en vigueur et aux risques stratégiques que pourraient courir les établissements locaux de crédit et La Poste Tunisienne au vu des éventualités des retraits massifs et immédiats de la liquidité des comptes et de la fuite des capitaux, d’une part et de leur efficacité pour limiter les effets d’opacité qui marquent les activités des certains opérateurs économiques, d’autre part.

Compte tenu des caractéristiques distinctives de la situation économique du pays depuis les évènements du 14 janvier 2011 sur le plan de l’absence de régulation du climat des affaires et de la montée des incertitudes et du manque de visibilité et étant donné l’instabilité des dépôts bancaires et postaux, spécifiquement, depuis deux ans notamment les dépôts à vue, il est clair qu’une telle manœuvre aurait un effet onéreux tant sur le secteur bancaire et financier que sur l’économie tunisienne dans son ensemble.

Généralités sur la notion du secret bancaire et financier

Le secret bancaire et financier est le secret professionnel appliqué aux établissements de crédit et aux institutions financières, à leurs organes et à leurs employés. Dans un Etat démocratique, chaque citoyen a droit à la protection de sa sphère privée. Afin de permettre cette protection, les institutions précitées au même titre que d’autres corporations de métiers ont un devoir de discrétion sur les affaires de leurs clients.

Cependant, ce type de secret n’est pas absolu. Des dispositions du droit civil, du droit des poursuites pour dettes et faillite, du droit pénal, du droit administratif et d’entraide judiciaire internationale en matière pénale prévoient des dérogations. Dans tous les cas de figure, il ne peut donc être levé que sur l’ordre express d’une autorité judiciaire, même contre la volonté du client.

Rappelons, à ce niveau, que le code tunisien des droits et procédures fiscaux (CDPF) promulgué en 2002, évoque la notion du droit de communication dans son acception la plus large comme étant le droit qui autorise l’administration à obtenir communication de tous les documents détenus par le contribuable et les tiers afin d’établir ou de contrôler l’impôt.

Des droits spécifiques prévus par les articles 17 et 18 du CDPF, ont été mis à la charge des établissements bancaires et postaux et du ministère public. Il s’agit pour les établissements bancaires de l’obligation de communiquer, en cas de contrôle, à l’administration fiscale, des listes comportant les numéros de comptes du contribuable contrôlé.
Concernant le ministère public, il a une obligation de communiquer aux services de l’administration fiscale, tous les renseignements et documents présumant une fraude fiscale ou tout autre agissement ayant pour but de frauder l’impôt ou de compromettre son paiement.

Quand on parle de droit de communication, il est essentiel d’évoquer la règle du secret professionnel et les cas de non opposabilité de ce secret. La problématique essentielle consiste au fait que les personnes tenues au secret professionnel peuvent s’opposer aux demandes de communication faites par l’administration, concernant leurs activités, en arguant du fait que la divulgation d’informations concernant leurs clients les expose aux peines prévues par l’article 254 du code pénal.

Effets attendus de la levée du secret bancaire

La levée du secret bancaire demeure une procédure juridique qui s’impose quand l’autorité judiciaire la juge nécessaire. Cependant, cette procédure, au-delà de son caractère juridique et ses objectifs visant à dévoiler les infractions fiscales et financières, pourrait engendrer des difficultés importantes pour les établissements locaux de crédit et la Poste tunisienne. La volatilité accrue des dépôts, la dispersion des capitaux et des placements, le retrait massif de la liquidité des comptes et l’affectation des niveaux de solvabilité du système financier sont les risques majeurs encourus.

Le risque de la levée du secret bancaire et ses conséquences sur la liquidité des banques tunisiennes et l’élévation des niveaux des taux d’intérêts réels doit être mesuré compte tenu, éventuellement, de son effet immédiat et de ses suites à moyen terme.
L’effet immédiat se rapporte à l’abaissement du ratio de liquidité. A moyen terme et même si les autorités tunisiennes ne l’avouent pas, la Tunisie reste, structurellement, un pays qui favorise l’évasion fiscale et le blanchiment d’argent aussi bien par les locaux que par les étrangers. Sans parler d’un second effet induit sur l’entrée des devises non de moindre importance, à savoir la fuite des capitaux vers d’autres destinations telles que l’Asie, l’Amérique Latine etc.

De ce fait, les établissements financiers nationaux vont trouver plus de problèmes afin d’équilibrer leur position en matière de liquidité que ce soit en dinar ou en devises étrangères. Néanmoins, vu la situation économique du pays et son plus bas rating en matière de solvabilité, le coût de cette opération semble être élevé et inaccessible pour certaines banques.

Aussi, au niveau macroéconomique, les probabilités de la survenance des risques et d’une crise systémique sont très élevées dans ce contexte pour faire apparaître des troubles susceptibles d'affecter gravement tout le système financier et monétaire.

Ce risque épidémique peut se matérialiser par un effondrement du prix de la plupart des actifs financiers, la fragilisation de certaines institutions financières et de graves régressions de l'activité économique surtout en termes de production, de consommation, et d’emploi.

La question de la levée du secret bancaire et financier a permis de constater que La LFC 2014 a consacré une grande improvisation en créant une interférence de conséquences imprévisibles entre les objectifs de la politique budgétaire et la régulation de la scène financière qui se marque par des normes de rigueur et des limites infranchissables.

*Spécialiste en gestion des risques financiers


10/07/2014 | 1
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