Est-ce qu'on peut dire que les citoyens sont des terroristes comme les autres?
Non?
Alors votre équation est fausse.
Les terroristes ne sont pas des citoyens comme les autres mais ce sont des citoyens terroristes.
La vidéo fuitée de l’interrogatoire de l’attaque terroriste du Bardo du 1er novembre, a soulevé un débat. A l’heure où le parlement devra incessamment voter la loi protégeant les sécuritaires, les droits des forces de l’ordre, la protection des données personnelles des citoyens, et les garanties qu’on devrait, ou non, accorder aux personnes accusées de terrorisme sont remis sur la table. Il est plus que jamais temps d’en parler sérieusement.
Hier, le commandant Riadh Barouta, âgé de 53 ans, décède à l’hôpital de La Rabta. Il a succombé à une grave blessure à la gorge infligée le 1er novembre par un assaillant qui s’est attaqué à lui, ainsi qu’à son collègue, devant le siège du Parlement Au Bardo. La deuxième victime, le capitane Mohamed Aïdi, a été touchée au niveau du visage mais s’en est sortie avec quelques blessures.
L’assaillant a été neutralisé et il a subi un interrogatoire qui a été filmé par un policier et dont une vidéo a été fuitée sur la toile. Avant sa suppression, on pouvait y voir l’assaillant interrogé par des policiers en civil dont l’un fumait une cigarette. Le dénommé Zied Abou Zied, accroupi par terre et menotté, livrait sa version des faits et justifiait les raisons qui l’ont poussé à tenter d’assassiner deux agents des forces de l’ordre durant l’exercice de leurs fonctions par haine éprouvée à l’égard des agents de l’ordre qu’il qualifie de « Taghout » [ndlr. Tyrans]. Dans ses aveux, il avait même déclaré sa volonté de « égorger tous les policiers qui croiseraient son chemin ». Une liste de personnalités politiques à tuer a, par ailleurs, été saisie en sa possession.
Il n’en fallait pas plus pour que l’opinion publique s’embrase. Dans un pays traumatisé par des attaques terroristes ayant ciblé, ces dernières années, des citoyens mais aussi des agents des forces de l’ordre, le dernier meurtre n’est qu’un nouveau trou béant dans la mémoire collective.
Les appels à l’application de la peine de mort ont fusé sur la toile. Les citoyens revendiquaient en masse la répression sévère et sans compromis des auteurs d’assassinats mais aussi, et surtout, des actes terroristes. « Les terroristes devraient subir, tous, et sans ménagement, la peine capitale », peut-on lire de la part d’internautes encore sous le choc. L’attaque du Bardo est en effet la première depuis 2015, après l’accalmie vécue ces deux dernières années.
Mais ces appels n’ont pas seulement émané de « simples » citoyens. De nombreux activistes de la société civile se sont joints au mouvement, dont évidemment des avocats et même un député de l’ARP Les mêmes avocats qui ont partagé sur les réseaux sociaux la vidéo fuitée dudit interrogatoire.
Depuis 1991, la Tunisie connait un moratoire sur la peine capitale. Des peines de mort continuent à être prononcées contre des criminels mais sans aucune exécution effective. Hier encore, un homme a été condamné à la peine de mort par pendaison pour l’assassinat d’un propriétaire d’une ferme dans ma ville de Monastir. Des faits qui remontent à l’année 2015.
La fuite de cette vidéo, partagée massivement sur la toile avant d’être censurée, pourrait être qualifiée de véritable « coup de maître » de la part de ceux qui critiquent une « humanisation excessive » des auteurs de crimes terroristes. Alors que la Tunisie est encore sous le choc suite au décès du commandant Riadh Barrouta, on leur sert sur un plateau un jeune terroriste confessant sa haine et sa volonté de nuire. Le lynchage citoyen ne s’est pas fait prier.
Les argumentaires des défenseurs des élémentaires droits de l’Homme, même ceux de personnes coupables « des plus hauts crimes », se sont heurtés à ceux des adeptes de la « sécurité avant la liberté » ou tout simplement de citoyens réclamant leur droit de vivre en sécurité et de ne pas craindre pour leurs vies et pour celles de ceux qui les protègent.
Mais au-delà de la question « morale », une autre problématique est posée par la fuite de cette vidéo. S’il s’agit d’une manœuvre afin de donner coup de pouce à la répression des attaques terroristes et d’encourager des méthodes d’interrogatoires « plus musclées » contre les terroristes, ses instigateurs pourraient bien tomber dans un piège. Celui de la violation des données personnelles de l’assaillant interrogé. En effet, la fuite de cet interrogatoire pourra sérieusement compromettre l’instruction et entraver le cours de cette affaire à cause d’éventuels vices de forme.
Il ne s’agit certes pas de la première vidéo d’interrogatoire ou d’arrestation, fuitée exprès par les forces de l’ordre. Le ministère de l’Intérieur a organisé, le 27 septembre, une opération sécuritaire « coup de poing » dans le Grand Tunis, où plusieurs arrestations ont été effectuées dans les stations de métro et les rues de Tunis. Des arrestations filmées par la presse, sans aucune protection des données personnelles des citoyens arrêtés. Certains avaient été interpelés pour un simple contrôle d’identité.
Lors de l’Expresso d’Express Fm, hier jeudi 2 novembre, le président de l'Instance nationale de protection des données personnelles (INPDP), Chawki Gaddess est revenu sur cette fuite. Il a expliqué qu’un agent des forces de l’ordre avait parfaitement le droit de filmer un interrogatoire pour servir de preuve devant le procureur de la République. Ceci dit, il n’avait nullement le droit de le partager sur les réseaux sociaux ou dans n’importe quel média. Chawki Gaddess ajoute que ce genre de fuite est passible de poursuites pénales et que chaque citoyen a le droit absolu de protéger son image et ses données personnelles.
Une enquête a été ouverture hier par le ministère public afin de délimiter les différentes responsabilités dans le tournage, et ensuite la diffusion et propagation de ladite vidéo. Le chef du gouvernement Youssef Chahed avait réagi hier en appelant à ce qu’une enquête soit immédiatement ouverte dans cette affaire afin qu’on sache rapidement qui est responsable de quoi.
Depuis le jour de l’attaque, les agents de l’ordre ont exprimé leur indignation de différentes manières. Aujourd’hui, plusieurs manifestations parcourent le pays afin de dénoncer le lâche assassinat du commandant Riadh Barouta et de réclamer plus de protection durant l’exercice de leurs fonctions. Le projet de loi incriminant les attaques contre les forces armées est plus que jamais à l’ordre du jour. Mais cette loi, une fois adoptée, comporte le risque de répressions sécuritaires justifiées par un contexte de guerre anti-terroriste et attisée par les sentiments de Tunisiens traumatisés par des assassinats à répétition. Qui du citoyen ou de l’agent de l’ordre devra protéger qui ? Une question qui devra être posée…
Synda TAJINE
La vidéo fuitée de l’interrogatoire de l’attaque terroriste du Bardo du 1er novembre, a soulevé un débat. A l’heure où le parlement devra incessamment voter la loi protégeant les sécuritaires, les droits des forces de l’ordre, la protection des données personnelles des citoyens, et les garanties qu’on devrait, ou non, accorder aux personnes accusées de terrorisme sont remis sur la table. Il est plus que jamais temps d’en parler sérieusement.
Hier, le commandant Riadh Barouta, âgé de 53 ans, décède à l’hôpital de La Rabta. Il a succombé à une grave blessure à la gorge infligée le 1er novembre par un assaillant qui s’est attaqué à lui, ainsi qu’à son collègue, devant le siège du Parlement Au Bardo. La deuxième victime, le capitane Mohamed Aïdi, a été touchée au niveau du visage mais s’en est sortie avec quelques blessures.
L’assaillant a été neutralisé et il a subi un interrogatoire qui a été filmé par un policier et dont une vidéo a été fuitée sur la toile. Avant sa suppression, on pouvait y voir l’assaillant interrogé par des policiers en civil dont l’un fumait une cigarette. Le dénommé Zied Abou Zied, accroupi par terre et menotté, livrait sa version des faits et justifiait les raisons qui l’ont poussé à tenter d’assassiner deux agents des forces de l’ordre durant l’exercice de leurs fonctions par haine éprouvée à l’égard des agents de l’ordre qu’il qualifie de « Taghout » [ndlr. Tyrans]. Dans ses aveux, il avait même déclaré sa volonté de « égorger tous les policiers qui croiseraient son chemin ». Une liste de personnalités politiques à tuer a, par ailleurs, été saisie en sa possession.
Il n’en fallait pas plus pour que l’opinion publique s’embrase. Dans un pays traumatisé par des attaques terroristes ayant ciblé, ces dernières années, des citoyens mais aussi des agents des forces de l’ordre, le dernier meurtre n’est qu’un nouveau trou béant dans la mémoire collective.
Les appels à l’application de la peine de mort ont fusé sur la toile. Les citoyens revendiquaient en masse la répression sévère et sans compromis des auteurs d’assassinats mais aussi, et surtout, des actes terroristes. « Les terroristes devraient subir, tous, et sans ménagement, la peine capitale », peut-on lire de la part d’internautes encore sous le choc. L’attaque du Bardo est en effet la première depuis 2015, après l’accalmie vécue ces deux dernières années.
Mais ces appels n’ont pas seulement émané de « simples » citoyens. De nombreux activistes de la société civile se sont joints au mouvement, dont évidemment des avocats et même un député de l’ARP Les mêmes avocats qui ont partagé sur les réseaux sociaux la vidéo fuitée dudit interrogatoire.
Depuis 1991, la Tunisie connait un moratoire sur la peine capitale. Des peines de mort continuent à être prononcées contre des criminels mais sans aucune exécution effective. Hier encore, un homme a été condamné à la peine de mort par pendaison pour l’assassinat d’un propriétaire d’une ferme dans ma ville de Monastir. Des faits qui remontent à l’année 2015.
La fuite de cette vidéo, partagée massivement sur la toile avant d’être censurée, pourrait être qualifiée de véritable « coup de maître » de la part de ceux qui critiquent une « humanisation excessive » des auteurs de crimes terroristes. Alors que la Tunisie est encore sous le choc suite au décès du commandant Riadh Barrouta, on leur sert sur un plateau un jeune terroriste confessant sa haine et sa volonté de nuire. Le lynchage citoyen ne s’est pas fait prier.
Les argumentaires des défenseurs des élémentaires droits de l’Homme, même ceux de personnes coupables « des plus hauts crimes », se sont heurtés à ceux des adeptes de la « sécurité avant la liberté » ou tout simplement de citoyens réclamant leur droit de vivre en sécurité et de ne pas craindre pour leurs vies et pour celles de ceux qui les protègent.
Mais au-delà de la question « morale », une autre problématique est posée par la fuite de cette vidéo. S’il s’agit d’une manœuvre afin de donner coup de pouce à la répression des attaques terroristes et d’encourager des méthodes d’interrogatoires « plus musclées » contre les terroristes, ses instigateurs pourraient bien tomber dans un piège. Celui de la violation des données personnelles de l’assaillant interrogé. En effet, la fuite de cet interrogatoire pourra sérieusement compromettre l’instruction et entraver le cours de cette affaire à cause d’éventuels vices de forme.
Il ne s’agit certes pas de la première vidéo d’interrogatoire ou d’arrestation, fuitée exprès par les forces de l’ordre. Le ministère de l’Intérieur a organisé, le 27 septembre, une opération sécuritaire « coup de poing » dans le Grand Tunis, où plusieurs arrestations ont été effectuées dans les stations de métro et les rues de Tunis. Des arrestations filmées par la presse, sans aucune protection des données personnelles des citoyens arrêtés. Certains avaient été interpelés pour un simple contrôle d’identité.
Lors de l’Expresso d’Express Fm, hier jeudi 2 novembre, le président de l'Instance nationale de protection des données personnelles (INPDP), Chawki Gaddess est revenu sur cette fuite. Il a expliqué qu’un agent des forces de l’ordre avait parfaitement le droit de filmer un interrogatoire pour servir de preuve devant le procureur de la République. Ceci dit, il n’avait nullement le droit de le partager sur les réseaux sociaux ou dans n’importe quel média. Chawki Gaddess ajoute que ce genre de fuite est passible de poursuites pénales et que chaque citoyen a le droit absolu de protéger son image et ses données personnelles.
Une enquête a été ouverture hier par le ministère public afin de délimiter les différentes responsabilités dans le tournage, et ensuite la diffusion et propagation de ladite vidéo. Le chef du gouvernement Youssef Chahed avait réagi hier en appelant à ce qu’une enquête soit immédiatement ouverte dans cette affaire afin qu’on sache rapidement qui est responsable de quoi.
Depuis le jour de l’attaque, les agents de l’ordre ont exprimé leur indignation de différentes manières. Aujourd’hui, plusieurs manifestations parcourent le pays afin de dénoncer le lâche assassinat du commandant Riadh Barouta et de réclamer plus de protection durant l’exercice de leurs fonctions. Le projet de loi incriminant les attaques contre les forces armées est plus que jamais à l’ordre du jour. Mais cette loi, une fois adoptée, comporte le risque de répressions sécuritaires justifiées par un contexte de guerre anti-terroriste et attisée par les sentiments de Tunisiens traumatisés par des assassinats à répétition. Qui du citoyen ou de l’agent de l’ordre devra protéger qui ? Une question qui devra être posée…
Synda TAJINE