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Les relations tuniso-américaines face à l'administration Trump
25/01/2017 | 19:07
6 min
Les relations tuniso-américaines face à l'administration Trump

Par Mohamed Malouche *

 

Depuis la victoire de Donald Trump a l’élection présidentielle américaine, le 8 novembre 2016, le monde observe ce changement politique important et chaque pays se pose la question de ce qui va advenir de ses relations politiques et commerciales avec les Etats-Unis.

La rhétorique autarcique de campagne s’est confirmée lors du discours d’’investiture et des premières mesures économiques prises par l’administration Trump. En particulier la décision d’interrompre le Transpacific Partnership (TPP) et de renégocier le North American Free Trade Agreement (NAFTA) ne font que confirmer le désir du nouveau Président de trancher avec les initiatives de ses prédécesseurs (en particulier les démocrates), et de privilégier les négociations bilatérales plutôt que les accords et les organisations multilatérales (Nations Unies, OTAN..) accusées d’être la source des maux des laissés pour compte de l’Amérique profonde et d’être à l’origine de l’exclusion d’une frange de la société américaine du développement économique.

 

Au-delà des nominations clairement inhabituelles, tant par le fait de nommer à la tête de certaines ministères des responsables qui affichent des positions contraires à la cause qu’ils sont supposés défendre (Scott Prius a l’Environmental Protection Agency (EPA), Betsy Devos a l’éducation..) ou par le fait qu’elles regroupent le plus important taux de milliardaires et de généraux à la retraite que n’importe quelle administration de l’histoire américaine, l’administration Trump se distingue par son rejet des politiques conventionnelles. Certains spécialistes parlent d’un effet « disruption » qui créerait une onde de choc dans chacune de ces agences et permettrait des changements assez profonds dans un laps de temps court. Par exemple, l’une des mesures phares sera que pour chaque nouvelle règlementation introduite, deux règlementations existantes devront être retirées. La simplification est de mise ; sur ce point tout du moins, nous pourrions nous en inspirer  en Tunisie.

Mais tout ne peut être simplifié de la sorte : les grandes causes de ce monde telles que le changement climatique, les droits de l’homme et les relations internationales requièrent de la réflexion et du doigté. La politique est pleine de nuances, d’options et de « tradeoffs ». Il ne s’agit plus uniquement, comme lors de la campagne présidentielle, de séduire les masses en jouant sur les émotions et le nationalisme. En politique, les arbitrages se font rarement entre les bons et les mauvais choix ; le plus souvent, on doit plutôt s’attacher à limiter les mauvais choix, et la première des précautions en la matière consiste souvent à ne pas se précipiter.

Rien n’est moins vrai qu’en matière de décisions relatives à la politique étrangère, ou la position de Trump a été peu conventionnelle jusqu’a présent (notamment vis-à-vis de la Russie et la Chine) ; en témoigne en particulier son rappel de l’ensemble des ambassadeurs américains en poste à travers le monde : car si la tradition prévoit en effet que tous les ambassadeurs remettent leur démission au nouveau Président, celle-ci n’est en général acceptée que pour ceux d’entre eux qui sont des « political appointees » du président sortant, autrement dit, cette mesure ne devrait pas toucher les diplomates de carrière et en particulier l’actuel ambassadeur des Etats-Unis en Tunisie.

 

S’agissant de la Tunisie, et bien que tous ces changements n’augurent rien de bon dans l’absolu, ce qui devrait se passer est le scenario suivant : les relations Tuniso-américaines se sont considérablement renforcées depuis la révolution. Le train est en marche tant au niveau de la coopération sécuritaire, de l’appui économique (éducation, entreprenariat, reformes économiques..) politique (élections, renforcement de la société civile et des partis politiques..) que des programmes de coopération et d’échanges. A court terme, ces programmes devraient continuer sans changements majeurs, car les fonds qui leur sont dédiés par MEPI, USAID et l’ambassade ont déjà été alloués. Moins certaine est l’aide du Millenium Challenge Corporation (MCC), cette institution de développement qui travaille sur l’infrastructure et les grands projets et qui a annoncé en décembre dernier l’octroi à la Tunisie d’un compact de 400 millions de dollars, somme qui reste toujours sujette à l’approbation du Congrès.

 

Même à moyen terme (dans les 2 a 4 années à venir), l’exception tunisienne devrait prévaloir en ce qui concerne la politique américaine vis-à-vis de notre pays, et ce simplement parce qu’aider la Tunisie s’inscrit dans la stratégie de lutte contre Daesh à travers une coalition de pays musulmans modérés et avant-gardistes. Des voix s’élèvent même à Washington pour demander à l’administration Trump de considérer un accord de libre-échange bilatéral avec la Tunisie comme gage de partenariat, dans une logique de deal, ce qui laisse toutefois la question des concessions à fournir par la Tunisie ouverte. En tout cas, il y a une opportunité pour pérenniser la relation Tuniso-américaine et démontrer qu’au-delà du clivage républicain/démocrate, la Tunisie est un pays qui représente une opportunité pour les Etats Unis (et le monde) d’une transition démocratique relativement pacifique.

Mais nous ne sommes pas à  l’abri de soubresauts ou de retournements brusques de situation car le nouveau président des Etats-Unis risque de rester perpétuellement en campagne et semble obnubilé par ses détracteurs dont une partie peut questionner une collaboration avec un pays musulman démocrate mais en transition. Au niveau de l’immigration par exemple, la politique américaine vis-à-vis des immigrants de certains pays de notre région est en train de changer, bien que la Tunisie ne soit pas affectée, au moins dans un premier temps. Mais le risque est là et l’administration Trump pourrait facilement mettre tout le monde dans le même sac.

 

La Tunisie devrait de ce fait considérer l’appui d’un cabinet de « public relations » qui accroitrait la visibilité de notre pays auprès de l’administration américaine et du Congrès et viendrait compléter le travail que fournissent notre ambassade et notre diaspora à Washington. Cet investissement ne nécessiterait que très peu de ressources financières tant la proposition de valeur de la Tunisie est positive, mais devient nécessaire dans un pays ou le lobbying est utilisé par tous et ou la nouvelle administration pourrait être moins a l’écoute de la cause tunisienne que la précédente.

Notre pays a recouru aux Etats-Unis, trois fois dans les 6 dernières années pour des appuis budgétaires sous forme de loan guarantees de 500 millions de dollars chacun ; ceux-ci ont permis à la Tunisie de lever des fonds sur les marché internationaux en bénéficiant de la garantie des Etats Unis. Pourra-t-on à nouveau compter sur ce support ? Seulement en mettant en avant les forces de la Tunisie auxquelles la nouvelle administration sera sensible, et qui rejoignent ses priorités : lutte contre le terrorisme, Return on Investment et coopération win-win dans laquelle la Tunisie contribuerait également d’une façon ou d’une autre a l’essor de l’économie américaine. Un exemple notable est celui de ce jeune entrepreneur tunisien, en négociation avec un grand groupe américain qui devrait intégrer son application dans leur suite de logiciels, contribuant ainsi à créer de la valeur aux Etats-Unis, tout en créant de l’emploi et de l’espoir en  Tunisie.

A nous de saisir les rencontres bilatérales à venir, la négociation TIFA (Mars 2017), le dialogue stratégique et la Joint Economic Commission (deuxième partie de 2017) pour prendre le lead sur la coopération économique et les moyens de la renforcer et saisir cette opportunité historique d’une administration non conventionnelle, pour faire en sorte que la nouvelle Tunisie démocratique reste une priorité pour les Etats-Unis et le monde.

 

* Président du Conseil d’Administration- Tunisian American Young Professionals (TAYP)- www.tayp.org

25/01/2017 | 19:07
6 min
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Commentaires (11)

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Famous Corona
| 29-01-2017 23:39
sinon comment expliquer que nous ne soyons pas sur la liste des pays interdits de séjour aux US alors que nous n'avons pas de richesse pétrolière comme l'Arabie Saoudite dont 14 des terroristes du 11 septembre étaient originaires, alors que la Tunisie est No.1 en nombre de terroristes répartis entre Irak, Syrie et Libye ! Conclusion: Il nous le pardonne et ne nous prive pas de l'hospitalité en nous faisant bénéficier du doute ....

Forza
| 26-01-2017 19:40
Je me rappelle la guerre des iles de Malouines entre l'Argentine et le Grande Bretagne, les tunisiens étaient a 99,99% pour l'Argentine, question de solidarité entre pays en développent ou des non alignés. Aujourd'hui des tunisiens abrutis, fan des autocrates et des dictateurs applaudissent le nouveau cowboy Trump qui leur parait comme symbole de la force brute lorsqu'il menace le Mexique ou puni les sociétés qui y investissent et trouvent Trump génial et jubilent. La société ne se développe pas toujours de manière positive à voir le nombre grandissant de tunisiens de tendances fascistes qui lèchent les bottes des Poutine, Trump et Len Pen et bientôt d'Erdogan, tout autocrate leur parait un tribune a suivre, ils suivraient sans doute Hitler s'il renaissait de ses cendres.
Ou alors ils sont minoritaires et ne paraissent en nombre que sur ce site, Mr. Zargouni devrait faire un sondage sur l'avis des tunisiens sur la politique internationale.

RODIN
| 26-01-2017 18:24
Il faut cotiser,faire des dons,plus une aide de l'état,afin de financer un cabinet de «Public relations» qui fera du lobbying dans notre intérêt!Rassurez-vous,cela sera une réussite garantie,sous la houlette de TAYP.Ceci précisé,il faut savoir que D.Trump a décidé de dissoudre les ONG inutiles et nocives,ainsi que certaines Confréries à l'instar de son ami V.V.Poutine(vp les a viré)!
D.Trump a décidé que la politique du "changement de gouvernement et régime" c'est terminée!
Les salariés des ONG ont du souci à se faire avec ou sans Soros!

versus
| 26-01-2017 18:05
Ghannouchi ne pourra plus se rendre aux USA rendre visite à ses frères musulmans, conseiller d'Obama.
Il ne pourra p^lus s'y rendre parce que ça va craindre pour lui, Trump a décidé de porter sur la liste des groupes terroristes, the Muslim Brothers.
Trump est en pleine action, il referme le porte monnaie jusqu'aux organisations de l'ONU, sale temps pour la Tunisie.

Bob
| 26-01-2017 11:44
''Le rouleau compresseur est désormais activé et se dirige droit vers le pays de Bouazizi.'' Je la note... Pour une fois que vous sortez une phrase qui tient la route! Tous les pays arabes (ou dits arabes) vont se faire déculotter. Fini le partenariat Win Win, c'est l'ère du partenariat ya Wili Wili.

Bob
| 26-01-2017 11:18
Transpacific Partnership (TPP), le North American Free Trade Agreement (NAFTA), (Scott Prius a l'Environmental Protection Agency (EPA), Betsy Devos a l'éducation..), des « political appointees », MEPI, USAID, Millenium Challenge Corporation (MCC), loan guarantees, Return on Investment et coopération win-win, la négociation TIFA, la Joint Economic, Commission pour prendre le lead sur la coopération économique.
What's all this?
Comment comprendre ce texte si aucune explication n'est fournie pour un étranger inculte comme moi ? Faut-il être initié à tous ces acronymes pour suivre ?

G&G
| 26-01-2017 10:20
Pas besoin d'aller chercher du coté d'un cabinet"public relations" Vous feriez mieux d'aller consulter JW ou Léon ou moi même. Avec beaucoup de modestie, nous vous dirons que le rouleau compresseur est désormais activé et se dirige droit vers le pays de Bouazizi.

G&G
RCDiste et fier

Lectrice
| 26-01-2017 00:41
Restons neutres et respectueux du changement politique qui a eu lieu, les USA ne sont pas une republique bananiere. Consacrons-nous strictement au developement des relations Tunisie-US, nous devons etre capables de le faire, quelque soit l'interlocuteur.

temimi
| 25-01-2017 23:35
Excellent article. Nous devons rester pragmatiques, pour resserrer les liens avec la nouvelle administration républicaine, pour renforcer la coopération bilatérale et pour continuer à peser sur les futures décisions qui engagent l'avenir de notre pays dans sa lutte contre le terrorisme et le sous développement.

Rationnel
| 25-01-2017 21:35
L'article recommande le lobbying et des dépenses sur des maison de relations publiques. Les saoudiens et Qatari ont donné des milliards à la Clinton foundation et dépenses d'autres milliards pour lutter contre la loi JASTA, Clinton A échoué et JASTA est devenue une loi.

Trump a changé les règles de jeux, les décisions sont exécutés par des décrets présidentiels sans consulter personne. Il a décidé d'interdir les USA aux ressortissants de la Libye, Soudan, Irak, Syrie, Yémen. et Somalie. Il a donné l'ordre pour bâtir un mur avec le Mexique avec un ordre exécutif présidentiel. Les supporters de Trump exercent de grandes pressions pour qu'il déclare les frères musulmans comme groupe terroriste. Si Trump déclare les frères musulmans comme groupe terroriste, la meilleure solution pour la Tunisie est de maintenir un bas profil aux USA pour ne pas attirer l'attention. Les conséquences d'une telle décision sur le seul pays ou les frères musulmans sont au pouvoir sont imprévisibles mais surement très mauvaises.