Les partis politiques sont malades de leurs dirigeants
Par Sofiene Ben Hamida
Le parti Harak de l’ancien président provisoire Moncef Marzouki a connu cette semaine un véritable séisme avec le départ collectif de plus de quatre-vingts de ses cadres. Ce n’est pas le premier revers de gestion que connait l’ancien président provisoire en tant que leader puisqu’il avait lui-même contribué, il y a quatre ans, à l’agonie de son propre parti, le congrès pour la république, qui s’est périclité en pas moins de quatre formations politiques avec des fortunes diverses.
Toutefois, la débâcle du Harak n’a rien d’exceptionnel dans le paysage politique actuel. Il n’y a qu’à citer la longue liste des partis politiques qui ont volé en éclat depuis la révolution comme Ettakatol, Joumhouri, Massar, Al Mahabba, Afek et autres. Mis à part le parti du courant démocrate des époux Abbou, les seules exceptions à caractère anecdotique de partis politiques qui vivent une situation de stabilité nous viennent de partis unicellulaires comme le parti des forces du 14 janvier, propriété exclusive de son président Wahid Dhiab ou encore le parti des agriculteurs du tonitruant Faycel Tebbini.
Les grandes formations politiques sont les premières à donner le mauvais exemple. Le Nida ne cesse depuis 2014 de se donner en spectacle au point de devenir pathétique. Le Front populaire prend l’eau de toute part, peine à colmater les brèches apparues dans son édifice et à donner une image d’unité qui ne dupe plus grand monde. Quant au parti islamiste, il a certes réussi plus que les autres à limiter les dégâts mais ses difficultés internes ne sont plus à démontrer. Durant les sept dernières années, lui aussi a connu des remous importants qui ont conduit à la démission de son ancien secrétaire général Hammadi Jebali, le départ de l’une de ses pièces maitresse, Riadh Chiibi pour créer un nouveau parti du Bina. Ceci sans compter les opposants désormais déclarés du président d’Ennahdha, Rached Ghannouchi qui, depuis le dernier congrès, ne contrôle plus totalement la situation au sein de son parti.
Il est toutefois intéressant de constater que les déboires de toutes les formations politiques ont quasiment les mêmes causes. Leurs premiers dirigeants, qui sont souvent leurs fondateurs, agissent comme s’ils étaient les propriétaires exclusifs de ces partis politiques. Leur gestion autoritaire et anti démocratique des affaires finit par lasser même leurs plus fidèles lieutenants. Systématiquement, les objectifs de ces dirigeants ont un caractère personnel qui prend le pas sur toutes les autres considérations partisanes ou nationales. En termes clairs, le paysage politique tunisien paie le prix de sa prise en otage par une caste de dirigeants qui sont obnubilés par leurs carrières politiques personnelles et sont animés par une seule motivation, celle de devenir le prochain président de la République. Ceci est vrai pour tous, ceux qui l’avouent publiquement comme Moncef Marzouki ou Néjib Chebbi, comme pour ceux qui s’y activent sans avoir le courage de l’annoncer. Ceux là sont très nombreux et se reconnaitront.
Le drame de tout ce beau monde est que leur comportement les rend peu crédibles. Peut-on en effet faire confiance à des gens pour être les garants du système démocratique dans le pays s’ils ont donné la preuve de leurs échecs à asseoir la démocratie au sein de leurs propres formations politiques ? Ce manque de crédibilité conduit à un déficit de respectabilité qui touche l’ensemble de la classe politique tunisienne éclaboussée par les magouilles politiques et financières à répétition.
Tout ceci est aggravé par une maladresse tactique qui fait que notre classe politique s’est engagée trop tôt dans la compétition pour les prochaines élections avec des cadences effrénées que beaucoup ne pourront pas tenir. Ils apprendront à leurs dépens que dans la longue course pour la plus haute marche de l’Etat, il ne suffit pas de rêver. Il faut avoir les moyens de ses ambitions. La photo de finish risque de brusquer les cœurs fragiles.