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Les instances indépendantes n'ont pas toute leur tête
28/03/2019 | 20:00
5 min
Les instances indépendantes n'ont pas toute leur tête

Les instances constitutionnelles indépendantes ont été pensées et mises en place pour la bonne cause. Dans un pays traumatisé par un Etat autoritaire, ces instances, lieu de contre-pouvoir, sont un passage quasi obligé dans une transition politique visant à établir un Etat démocratique. Certes. Mais alors, qu’est ce qui coince ? Si politiquement tout tient la route, si d’un angle social, économique et juridique, tout est clair, c'est plutôt du côté de l'aspect psychologique qu'il faut regarder...

 

Voilà des années que l’Instance vérité et dignité (IVD) fait couler de l’encre (et la nôtre en particulier). A vouloir à tout prix dénoncer des abus flagrants et mettre Sihem Ben Sedrine devant ses responsabilités et ses mensonges, certains y ont même laissé des plumes. Aujourd’hui, le rapport de l’audit effectué par la Cour des Comptes sur la gestion de l’Instance et ses comptes a enfin révélé toutes ces années de mauvaise gestion, maintes fois dénoncée, et le bilan est, pour le moins que l’on puisse dire, abasourdissant.

Le feuilleton de l’IVD n’en finit pas et il n’est pas prêt de se terminer de sitôt. Le rapport accablant de la Cour des Comptes publié le 27 mars a fait l’effet d’une bombe. Entre des données personnelles exposées, des dossiers disparus, des milliers de dinars de dépenses injustifiées, des recrutements sans concours, des achats négociés, des appels d’offres détournés, des factures introuvables, des procédures bafouées, des ordinateurs et même une voiture disparus , il y’ a lieu de se demander si le pays entier a été frappé de cécité pendant qu’une instance indépendante avalait des dinars par millions à ne plus savoir quoi en faire !

En fait non. Personne n’est aveugle mais personne ne semblait pouvoir ou vouloir y faire quelque chose. Le cas de l’IVD est même, si l’on regarde les choses de plus près, très symptomatique du mal qui ronge le pays. Le constat d’échec des instances indépendantes mises en place après la révolution est édifiant.

L’Instance Vérité et Dignité est gangrénée par la corruption. Elle, qui a été mise en place pour dévoiler la vérité et dédommager les victimes de l’ancien régime, a puisé dans les caisses de l’Etat et gaspillé l’argent public entre voitures de luxe et dépenses futiles allant jusqu’à perdre les dossiers des victimes qu’elle est censée représenter. Celle qui porte le nom de vérité est noyée dans le mensonge et ne cesse de faire l’objet de scandales. Mais l’IVD est loin d’être un cas isolé.

 

La Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (HAICA) peine à réguler le paysage médiatique. Censée veiller à la protection du public, à la liberté de la communication, à la qualité de l’information, à l’exercice de la liberté d’expression, au pluralisme médiatique et au respect des règles éthiques et de déontologie de la production audiovisuelle tunisienne, la Haica a du mal à mener à bien sa mission. La qualité des programmes et les nombreux dépassements qui pullulent sur nos chaînes en témoignent plus que n’importe quel rapport.

Les efforts de l’Instance Nationale pour la Prévention de la Torture (INPT) pour récolter les témoignages des victimes, diffuser la culture de la non-violence, conseiller l’Etat sur la politique anti-torture semblent aussi vains. Les associations continuent à rapporter des cas de torture et à des dénoncer des pratiques qui n’ont en rien changé depuis l’ancien régime.

L'Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) n’échappe pas à ce qui semble être désormais la règle. Elle aussi a sa croix à porter. Si l’Isie est également un cas d’échec, n’ayons pas honte de le dire, il est vrai qu’elle a enregistré à son actif des réussites relatives, même si conçues dans la douleur. Entre délais renvoyés aux calendes grecs, démissions, limogeages et blocages en tous genres, l’instance qui vient réguler ce pour quoi les tunisiens ont renversé tout un régime a du mal à tenir debout.

 

Si on dissèque la situation on peut vite se rendre compte que les cadres juridique, politique, économique et même social de ces organes sont clairs et établis. On sait pour quelles raisons elles ont été créées, dans quel objectif, de quelle manière, pour quel impact et selon quel cadre réglementaire. On a beau savoir tout cela, la question des raisons de ce constat d’échec reste sans réponse.

Et s’il fallait simplement changer d’angle, s’il fallait compléter l’exploration par un bilan clinique, tout bêtement. Si politiquement tout tient la route, si d’un angle social, économique et juridique, tout est clair, alors il ne reste que le bilan humain. C’est peut-être la classe dirigeante tunisienne qui est intrinsèquement prédisposée à l’échec. La question peut, peut-être, sembler farfelue mais elle mérite d’être posée au vu du contexte.

 

Depuis des siècles, des penseurs comme Aristote, Platon, Machiavel, Montesquieu, Le Bon ou Lasswell, ont mis le doigt sur le lien très étroit qui unit la politique et la psychologie, esquissant les contours de ce qui sera plus tard communément appelé la psychologie politique.

Ce paradigme explique, pour faire simple, que le comportement d’une société (et donc de ses dirigeants) dépend de facteurs culturels très spécifiques qui, in fine, ont un impact direct sur sa politique. Ce qui pourrait expliquer pourquoi de nombreuses instances nationales - mais surtout leurs dirigeants - peinent à honorer l’objectif premier pour lequel elles ont été créées.

 

C’est donc une analyse psychologique et comportementale qui devrait être menée pour expliquer l’inefficacité de structures que tout prédispose à la réussite. C’est là qu’intervient la psychologie politique. Il est vrai qu’à y penser, la politique ne peut qu’être à l’image de la société et les dirigeants politiques tunisiens ne peuvent venir de Mars mais obéissent bien aux normes sociales.

Une société prédisposée à la corruption aura a priori du mal à enfanter des politiciens intègres. Montesquieu avait bien associé la démocratie à la vertu, c’est dire que les qualités et l’état d’esprit des individus, et donc de la société, font la politique d’un pays. La vertu politique, telle que définie par le philosophe des lumières, renvoie à l’amour de la patrie et de l’égalité, et si nos instances n’en étaient justement pas assez pourvues, cela expliquerait l’essoufflement de la transition…une piste à creuser…

 

Myriam Ben Zineb

 

28/03/2019 | 20:00
5 min
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Commentaires (2)

Commenter

okba
| 29-03-2019 14:39
Bonne analyse .Toutefois je voudrais attirer votre attention sur le fait que l'IVD n'est pas une instance constitutionnelle comme le laisse entendre l'introduction de votre article . La Constitution parle seulement de justice transitionnelle et ne stipule pas la création de l'IVD comme pour d'autres instances ! cette dernière a été créée par une loi

Supertramp
| 29-03-2019 11:26
"et LA notre en particulier", puisque Encre est féminin ;-)

B.N : Merci d'avoir attiré notre attention.