Les droits de l'Homme et Chokri Belaïd ne sont pas incompatibles
Le président de la République, Béji Caïd Essebsi, inaugurera lundi 6 février 2017, date du 4ème anniversaire de l’assassinat du leader de gauche Chokri Belaïd, la nouvelle place Chokri Belaïd en face du palais des congrès en plein centre ville. En vérité, cette place existait avant, depuis prés de vingt cinq ans et connue sous l’appellation de place des droits de l’Homme. Demain, nous ne ferons que changer son ancienne appellation de « place des droits de l’Homme » par une appellation nouvelle « place du martyre Chokri Belaïd ». Du coup, nous gagnons une place pour commémorer et rendre hommage à l’une des figures les plus influentes après la révolution. Mais nous perdons une place qui était censée mettre en valeur notre attachement aux valeurs universelles des droits de l’Homme. Pourtant, dans son action politique, le martyr Chokri Belaïd a toujours défendu la démocratie, les libertés et les droits de l’Homme.
En 1992, l’Institut Arabe des Droits de l’Homme, s’est vu décerner le prix de l’UNESCO en reconnaissance de sa contribution exemplaire apportée au développement de l’enseignement des droits de l’Homme. Préparant les élections présidentielles de 1994 et dans un souci évident de récupération, le pouvoir en place a entrepris d’aménager un terrain vague longeant l’avenue Mohamed V et l’a baptisé place des droits de l’Homme. Au centre de la place s’érige d’ailleurs jusqu’aujourd’hui, une reproduction du prix reçu par le président de l’Institut Arabe des Droits de l’homme, feu Hassib Ben Ammar, des mains du secrétaire général de l’UNESCO. Le pouvoir en place, qui voulait encore se faire passer pour un pouvoir respectueux des libertés publiques et privées trouvait son compte. Les militants des droits de l’Homme, plus soucieux de diffuser par tous les moyens les valeurs des droits de l’Homme, aussi.
Pour rappel, Hassib Ben Ammar faisait partie du groupe des ministres et des dirigeants destouriens qui ont démissionné de leurs postes et claqué la porte du PSD pour protester contre l’absence de démocratie aussi bien dans le pays qu’au sein du parti unique au pouvoir. Certains parmi eux, dirigés par Ahmed Mestiri se sont engagés dans l’action politique et ont créé le Mouvement des Démocrates Socialistes (MDS). D’autres, comme Hassib Ben Ammar, ont choisi de lutter pour les libertés, la démocratie, les droits de l’Homme, et contre l’autoritarisme, le parti unique, la torture et la précarité sociale. C’est ainsi que Si Hassib, comme on aimait l’appeler, a créé le journal Errai, contribué largement à créer la Ligue tunisienne pour la défense des droits de l’homme (LTDH), puis l’Institut arabe des droits de l’Homme (IADH). Enfin, il y a eu ceux qui sont restés discrets, comme Béji Caïd Essebsi, qui a tenu à rester dans « l’antichambre de la République », ce qui lui a valu de réintégrer assez rapidement le giron du pouvoir, soit comme membre du gouvernement, soit comme membre du parlement.
Pour rappel aussi, Hassib Ben Ammar est le frère de la grand-mère de l’actuel chef du gouvernement Youcef Chahed, feu Radhia Haddad, elle aussi une grande militante et une femme très courageuse qui a réussi à tenir tête à Bourguiba.
Pour l’heure, il est évident que nos objectifs en matière de diffusion des valeurs des droits de l’Homme ou en matière d’éducation des droits de l’Homme ne sont pas atteints encore. L’existence d’une place publique en l’honneur des valeurs humanistes dans leur universalité et leur complémentarité peut contribuer à la diffusion de ces valeurs d’autant plus qu’elles ne sont pas incompatibles avec le respect et la reconnaissance que nous devons à nos martyrs en général, et particulièrement au martyr Chokri Belaïd.
Tout porte à croire que le président de la République a pris cette décision, de changer l’appellation d’une place publique, à la hâte. Une manière de montrer qu’il est toujours attaché à l’une de ses principales promesses électorales. Manière trop formelle pour être efficace, car ce qui est attendu du président de la République, c’est d’aider les Tunisiens à trouver une réponse à la question lancinante depuis quatre longues années : « Qui a tué Chokri ? ».