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L’entreprise tunisienne face au chaos : la géopolitique et la prospective pour vivre ou périr
31/01/2019 | 09:34
19 min
L’entreprise tunisienne face au chaos : la géopolitique et la prospective pour vivre ou périr


Par Mehdi Taje*


Sans anticipation des enjeux et mutations géopolitiques, toute entreprise hypothèque son avenir, sa compétitivité, ses performances, voire sa survie par une dilution de l'action dans la gestion quotidienne et la tyrannie du présent.

 

Crise politique se conjuguant à une crise économique et sociale inédite dans l’histoire de la Tunisie, exacerbation des tensions sociales sur fond de baisse significative du pouvoir d’achat, montée en puissance de logiques tribales, claniques et locales marquant une distanciation de plus en plus prononcée entre le peuple profond et les élites induisant une rupture de confiance envers l’Etat et ses institutions, jeunesse désœuvrée en perte de repères sur fond de délitement du secteur éducatif, pressions accrues exercées par les bailleurs de fonds internationaux, manque de visibilité et de stabilité institutionnelle, émiettement et recomposition de la scène politique marquée par des luttes intestines avec focalisation sur les élections d’octobre 2019 au détriment de la sortie de crise du pays, absence d’une vision claire, globale, inclusive et en mesure de fédérer l’ensemble des forces vives du pays autour d’un avenir partagé, risque sécuritaire incarné notamment par le terrorisme et le crime organisé transnational, poids de l’économie informelle et évolution dans un voisinage stratégique tourmenté, voire hostile, constituent autant d’éléments d’incertitude et de volatilité devant interpeller les chefs d’entreprises et les décideurs tunisiens. Plus que jamais, stratégie, prospective, vision combinant les impératifs du court et du moyen terme doivent guider la gouvernance et les politiques publiques.

Un monde en profonde reconfiguration

Le monde est caractérisé par une nouvelle fluidité bousculant l’ensemble des repères traditionnels. Emergence de pôles de puissance aspirant à relativiser l’empreinte géopolitique américaine, retour des logiques de puissance sur fond d’exacerbation des rivalités entre Etats, fragmentation de l’Occident, retour remarqué de la Russie au Moyen-Orient, en Méditerranée et en Afrique, affirmation de la puissance chinoise dans son voisinage et au-delà, notamment via le projet des routes de la Soie (Belt and Road Initiative) appelé à reconfigurer les équilibres géopolitiques et géoéconomiques, y compris dans notre région, menace terroriste et crime organisé transnationalaboutissant à l’hybridation des menaces, retour en force de l’identitaire et du religieux, révolution numérique et digitale, surprises et ruptures stratégiques, cybermenace et cybercriminalité, chocs économiques et financiers, chocs migratoires, bouleversements climatiques, etc. constituent autant de facteurs marquant la fin d’un monde et l’accélération de l’histoire. Nous assistons à une véritable dérégulation stratégique du monde, d’un monde fragmenté, brisé, chaotique vecteur de tensions et de menaces accrues mais également d’opportunités qu’il convient d’être en mesure de saisir avant le concurrent. L’Agilité et l’intelligence des situations confèrent des avantages concurrentiels décisifs.

 

 

 

Le Brexit dont l’issue n’est pas encore définie, la politique menée par le Président Donald Trump aux Etats-Unis et à l’échelle planétaire bouleversant les repères traditionnels et mettant à rude épreuve les amortisseurs de chocs, la montée des extrêmes droites, le retour en force des peuples profonds et de l’identitaire interpellant les systèmes profonds les gouvernant, etc. révèlent une nouvelle tectonique des plaques et une remise en cause du modèle dominant : la mondialisation. La crise des « Gilets jaunes »  en France en constitue une manifestation.L’individu, dilué et ayant perdu ses repères, aspire à retrouver les fondements de son identité : il interpelle ses dirigeants afin d’être entendu et de participer au processus décisionnel au risque de « renverser la table ». Le rejet de « l’Autre » n’est que la manifestation de la résurgence de cette quête. Certains analystes internationaux, à l’instar de Abdelmalek Alaoui, n’hésitent pas à mentionner le risque de « guerre civile mondiale » dopé par les nouvelles technologies de l’information[1]. Dans ce contexte, la globalisation, bousculée et remise en cause, se grippe, piétine. « La fin de l’histoire » fait place à un retour en force de l’histoire, de la géographie, de l’Homme, bref de la géopolitique.

Selon l’Amiral Jean Dufourcq,« cette globalisation a en effet suscité un système profond propre, hors sol, déterritorialisé, transversal, puissant qui s’est affranchi des règles et des projets collectifs, nationaux pour promouvoir ce qui unit entre eux de multiples acteurs transversaux, le pouvoir et l’argent.  Ce système, du fait de sa structure et de sa finalité n’a pas hésité à composer avec les systèmes mafieux et les organisations criminelles. Hier l’idéologie révolutionnaire avait inspiré une internationale triomphante ; aujourd’hui le capitalisme financiarisé a produit un système profond de pouvoir masqué, réparti et prédateur. Sur son chemin, il trouve bien souvent des États gênants. Ce que nous observons, c’est la révolte des peuples profonds contre ce système profond »[2].

Parallèlement, les pôles de puissance d’un monde polycentrique, perçus initialement comme de nouveaux marchés émergents, sont devenus de vigoureux concurrents soucieux de compter dans l'histoire et de restaurer leur puissance en jouant un rôle géopolitique et économique croissant.

Dans ce contexte, l'entreprise ne peut plus ignorer la géopolitique, champ disciplinaire peu connu et souvent réservé aux acteurs influents de la scène internationale (Etats, organisations internationales,grandes entreprises, etc.) en quête de stratégies de puissance relevant du temps long.

En effet, une tradition, voire une certaine myopie, tendent à exclure l'entreprise du champ de la géopolitique. Longtemps, cette dernière a cherché à évoluer à l'abri des préoccupations et des incidences géopolitiques, « comme si les marchés étaient des espaces commerciaux protégés, des bulles de paix et de prospérité, préservés des évolutions et des chocs géopolitiques».Aujourd’hui, deux mots dominent la presse économique mondiale : géopolitique et innovation[3].Comme le constate Patrick Pouyanné, Pdg du Groupe Total, « même si le risque géopolitique n’a jamais véritablement disparu, force est de reconnaître qu’il fait aujourd’hui un retour en force, avec des situations de plus en plus fréquentes dans lesquelles l’économie s’efface devant les impératifs politiques. ».1[4]

Prise dans la tourmente d’une mondialisation effrénée de plus en plus remise en cause et rejetée par les peuples, cette vision idéale, quasi utopique, a volé en éclats. Aujourd'hui, à la lumière des bouleversements économiques et financiers, du jeu des forces profondes et du reclassement en cours des puissances, tout marché est menacé, les frontières ne constituant plus ces barrières réputées infranchissables. En effet, historiquement, toute reconfiguration des rapports de puissance et des sphères d'influence ne s'est jamais faite dans la paix et la sérénité. Les entreprises tunisiennes ne peuvent plus prétendre échapper à cette réalité, à moins de faire preuve d'un aveuglement coupable.Des secousses, même lointaines, ne peuvent plus être ignorées et doivent être intégrées dans la stratégie de toute entreprise soucieuse d'assurer sa pérennité et de consolider ses parts de marché.

Comment sortir de la crise, comment consolider mes positions dans un marché de plus en plus menacé et volatile, comment amplifier mes marges de manœuvre et ma liberté d’action, comment concentrer mes efforts en valorisant l’économie des moyens, comment analyser et évaluer la stratégie de mes concurrents (jeu des acteurs), comment investir des territoires d'avenir et des marchés porteurs sont autant de questions qui doivent guider tout chef d'entreprise.Dans ce contexte, une vision géopolitique, doublée d'une approche prospective, s'avèrera un atout précieux dans le pilotage des entreprises, notamment internationalisées et délocalisées.

La stratégie de toute entreprise se déploie désormais au sein d'un espace en pleine reconfiguration. L'équation «un pays = un marché» n'a plus de sens stratégique car l'entreprise raisonne en segments de marchés transnationaux au sein desquels sont regroupés les consommateurs, les clients et l'ensemble des acteurs d'une chaine aspirant aux mêmes besoins et attentes, transcendant ainsi la notion de frontière étatique.

Par le passé, le marché national était un espace acquis, une base arrière sanctuarisée et difficilement pénétrable. Aujourd'hui, globalisé ou inversement fragmenté, le marché de l'entreprise est paradoxalement un territoire «déterritorialisé», fuyant, incertain, évolutif et poreux.Dans cette optique, les marchés sont autant d'espaces à conquérir, à investir et à tenir face aux assauts d'une concurrence de plus en plus acerbe. Le caractère national est dilué et relativisé. Portés par la révolution numérique et digitale, de nouveaux acteurs aux pouvoirs surpassant parfois ceux des Etats émergent et redessinent les rapports de force par le contrôle de l’information. Les GAFA et leurs rivaux chinois sont le laboratoire de ce nouveau champ de confrontation risquant d’asservir les individus et les petites PME.

Dynamiques de restructuration des champs économiques

A plus d'un titre, la géopolitique compte et comptera de plus en plus.Les conflits font naître ou disparaître des marchés de plus en plus conditionnés par l'évolution des rapports de force entre Etats ou tout autre acteur influent. Des ensembles régionaux se constituent ou se fragmentent, des acteurs disparaissent ou inversement émergent, constituant ainsi de puissantes dynamiques de restructuration des champs économiques. La guerre commerciale initiée par les Etats-Unis contre la Chine masque l’enjeu réel : la première place mondiale dans le domaine de l’innovation et de la recherche scientifique et technologique. Les attaques contre Huawei sur fond de contrôle de la 5G et donc de l’information et des flux de données en sont l’illustration. Il en est de même quant à l’intelligence artificielle. Le président Poutine soulignait déjà en septembre 2017 : « celui qui dominera l’intelligence artificielle dominera le monde ». La Chine s’en donne les moyens sereinement à l’horizon 2030 via la stratégie « made in China 2025 » visant à s’ériger en leader des 10 technologies de l’avenir qui façonneront durablement le paysage économique et industriel de demain. La carte ci-dessous des investissements consentis en constitue une illustration flagrante !

 

[5]

A titre illustratif, demain, au Moyen-Orient, une nouvelle cartographie des relations et influences commerciales, et donc des parts de marché, se dessinera au regard des répercussions encore incertaines des révolutions arabes, de la future bataille pour la reconstruction de la Syrie et de la reconfiguration des rapports de force entre Iran, Russie, Chineet Turquie d’un côté et Etats-Unis, Israël, Arabie Saoudite, Emirats Arabes Unis, etc. Les alliances sont volatiles et mouvantes. Ce qui est valable aujourd’hui ne l’est plus forcément dans 24 heures.Néanmoins, nous assistons à la renégociation d’un nouvel accord Sykes-Picot, d’un nouveau partage de zones d’influences garantissant l’accès aux ressources stratégiques, etc. Des logiques sont à l'œuvre et il convient d'en saisir toute la substance et la portée.L’extraterritorialité du droit américain et les sanctions américaines ciblant l’Iran n’ont épargné personne, y compris les entreprises de pays alliés, à l’image de Total contrait de se désengager de l’exploitation des gisements gaziers au profit de la Chine. Les pertes pour Total sont considérables et subies par manque d’anticipation.L’atout concurrentiel pour tout chef d’entreprise est de saisir avant son concurrent l’intelligence complexe d’un territoire, d’un marché et des rapports de force plus que jamais volatiles et mouvants.

Le bassin méditerranéen, espace de concentration de nos échanges économiques, est le reflet des bouleversements politiques et stratégiques caractéristiques de la nouvelle configuration des rapports de puissance mondiaux. L'UE, principal partenaire économique de la Tunisie, semble s'enfoncer un peu plus chaque jour dans la crise risquant à terme la marginalisation au rang de périphérie de continent eurasiatique. Quel sera l'avenir de la Tunisie si l'Europe devient une périphérie du monde? Vers quelle Europe allons-nous : élargie ou contractée, à la carte, à géométrie variable ou fédérale ? dynamique ou minée par les politiques d'austérité et les déficits criants ? Ouverte sur le monde ou forteresse assiégée ?

Le Grand Maghreb, travaillé par des forces centrifuges et fragilisé par les événements secouant le Sahel africain, peine à émerger et risque la dilution dans son essence géopolitique. En effet, les visions des pays maghrébins sont dispersées et marquées par des tensions intérieures, des problèmes de stabilité, de modernité et de voisinage : ils ne se perçoivent pas à travers un ensemble régional stabilisé et demeurent otages de rivalités et de conflits gelés, larvés ou potentiels non encore surmontés. Chaque pays, en fonction de ses intérêts stratégiques, joue son propre jeu : les trajectoires stratégiques ne se complètent pas, elles se croisent, voire se neutralisent suivant une trajectoire en silos.

L’enlisement du projet de Grand Maghreb, paralysé par des ambitions géopolitiques inconciliables et des conflits non surmontés, ouvre la voie à d’autres acteurs décidés à peser sur les équilibres stratégiques du théâtre maghrébin : forte présence des Etats-Unis avec des projets empiétant sur le champ d’influence traditionnel des pays européens de l’arc latin et aspiration à évincer les puissances rivales ; percée géopolitique de la Chine avec pour objectif de se positionner en acteur significatif en Méditerranée et en Afrique du Nord et retour en force de la Russie en Méditerranée, au Maghreb et en Afrique. Inde, pays européens en rivalités (Allemagne, France, Italie, Grande-Bretagne, Espagne, etc.), Japon, Corée du Sud, Iran, Turquie et pays du Golfe (Arabie Saoudite, EAU, Qatar, etc.) déploient des stratégies de positionnement, d’influence et d’évincement de rivaux, ajoutant à la complexité et exacerbant les tensions et risques de crises ou conflits. A terme, une redéfinition de la carte des influences et des ambitions au Maghreb est à prévoir. Les entreprises tunisiennes travaillant au Maghreb ne peuvent ignorer cette réalité.

En effet, quel ordre maghrébin émergera? Cette problématique commandera le présent et l'avenir du tissu économique tunisien. Quel avenir pour la Libye, voisinage immédiat de la Tunisie ?Quelles logiques géopolitiques commandent l’avenir de ce pays ? Quelles dynamiques entre local, régional et international ? Quel sera l’understanding entre grandes puissances et puissances régionales qui émergeraquant à l’exploitation des ressources pétrolières et gazières du pays ? Cet understanding préservera-t-il l’intégrité territoriale de la Libye ou iront nous vers un émiettement du pays en féodalités territoriales sous contrôle d’acteurs étrangers exploitant les ressources ? Quel impact sur la Tunisie, sa stabilité et les entreprises tunisiennes implantées en Libye sans compter nos populations frontalières ? Comment se positionner afin de peser lors de la reconstruction du pays ? La Libye, second partenaire économique de la Tunisie après l’UE et la Tunisie ont une destinée commune.Parallèlement, quelles sont les forces à l’œuvre et quels sont les acteurs qui vont compter dans la future équation algérienne post Bouteflika ? Le système va-t-il parvenir à se maintenir dans un contexte de tension accrue à l’approche des élections d’avril 2019 et de risque de crise économique inhérent à la contraction de la rente pétrolière et gazière ? L’inconnue et l’incertitude algériennes doivent être clarifiées par une analyse rigoureuse de la géopolitique intérieure et extérieure du pays et du jeu des puissances internationales et régionales. L’Algérie, encerclée par un réseau de bases occidentales, se sait ciblée. Les rivalités de palais sont aiguisées par les incertitudes inhérentes à la succession du président Bouteflika et risquent de provoquer des développements inattendus soutenus par des acteurs extérieurs. A ce stade, dominent des stratégies visant à sauvegarder l’ordre établi.Alger aspire certainement à une évolution à la chinoise matérialisée par une ouverture maîtrisée et graduelle sauvegardant un pouvoir central fort en mesure d’écraser militairement toute contestation intérieure et de s’opposer à toute convoitise extérieure sur les ressources nationales. Le système algérien confronté à une montée des convoitises y parviendra-t-il ? Toute la stabilité de la région est conditionnée par l’évolution de la scène algérienne. Comment positionner au mieux nos entreprises en évaluant les risques et menaces et en saisissant les opportunités des transformations en cours en Algérie ? Autant d’interrogations majeures auxquelles nos chefs d’entreprises et dirigeants doivent être en mesure de répondre. Il en est de même quant aux grandes évolutions redessinant le continent africain, notre continent ou devrions-nous dire les Afriques compte tenu de son extrême diversité.

Sans vision structurée, ces différentes dynamiques risqueront d'être subies par les acteurs économiques tunisiens. Rappelons l'interjection du Sphinx à Œdipe : « Comprends ou tu es dévoré».

Ainsi, la stratégie d'entreprise est peu à peu rattrapée par la géopolitique : ni les Etats ni les entreprises ne peuvent prétendre jouer seuls. L'entreprise fait face à des environnements toujours plus complexes et incertains. Comme le souligne J-M Leersnyder, «ne perdons pas de vue un principe essentiel: en matière politique, contrairement à ce qui se passe en matière économique, le risque n'est assorti d'aucune prime de rendement. Il est de pure perte pour l'entreprise».

Tensions internes et zones de fractures

L’analyse géopolitique vise à affuter le regard, à « éduquer et repérer les zones de contact, de frictions et d’échanges où vont naître les événements porteurs d’avenir »[6]. Comprendre, analyser le jeu des acteurs, distinguer le structurel du conjoncturel, détecter les signaux faibles et les facteurs de changement, lister les risques, menaces et opportunités, telles sont les finalités poursuivies par une approche géopolitique et prospective appliquée à l’entreprise.

Par voie de conséquence, toute entreprise tunisienne exerçant une activité à l'étranger doit être en mesure d'anticiper les évolutions socio-politiques et géopolitiques de l'environnement dans lequel s'insère son activité. Cette démarche relève d'une approche anticipative des risques réduisant les coûts inhérents à toute gestion dans l'urgence. L'étude géopolitique d'une zone révèlera à une entreprise la personnalité stratégique de cet espace, ses enjeux, les dynamiques qui le structurent et ainsi les risques mais aussi les opportunités qu'il projette. L'analyse géopolitique, grille de lecture devenue incontournable afin de déchiffrer les enjeux régionaux et internationaux, constitue un outil managérial d'aide à la décision stratégique en environnement fortement incertain. Il s'agit de comprendre, de distinguer le structurel du conjoncturel afin de mieux agir et d'optimiser ses process.

Comme le souligne M. Fiorina, « de nouvelles instabilités mais aussi de nouvelles opportunités émergent de ce chaos mondial. Elles imposent à toutes les entreprises de prendre en compte les analyses géopolitiques, de se donner des règles claires et d’en professionnaliser le traitement.La plupart des grandes entreprises sont bien informées et rompues à ces analyses, mais les autres ne disposent souvent ni de ces moyens, ni de ces compétences.Vulnérables aux nouveaux risques, elles doivent apprendre à s’adapter ! Les méthodes et les outils sont disponibles, les structures existent pour apprendre.Mais l’état d’esprit qui préside à ces vigilances d’un nouveau type, la volonté de ne plus se laisser surprendre, font encore trop souvent défaut. Bref, la géopolitique est devenue une discipline à part entière du management. Sa spécificité par rapport aux autres disciplines est qu’elle est transverse, associant management, sciences sociales et sciences humaines »[7].

Anticiper pour se prémunir contre les impacts négatifs

Convenons que sans vision d'avenir, aucune décision n'est envisageable. En effet, en l'absence d'éléments suffisants d'aide à la prise de décision, laquelle, en termes de stratégie d'entreprise signifie toujours une prise de risque, le danger est qu'il y ait mauvaise décision, voire encore plus fréquemment absence de décision tout simplement! En effet, décider, c'est prendre le risque de se tromper. Nombreux sont ceux qui préfèrent attendre que les événements décident pour eux, plutôt que de choisir de peser significativement sur ce qui leur arrive et va leur arriver au risque d'engager leur responsabilité.

Dans ce cadre, pour un chef d'entreprise confronté quotidiennement à des gestions de crises amenées à se multiplier, il convient d'être en mesure d'identifier les crises (et les risques), de les apprécier et d'en mesurer l'intensité (les tenants et les aboutissants). Dans ce contexte, les outils d'anticipation s'avèrent précieux. En effet, débouchant sur un modèle causal de la crise spécifique à chaque entreprise, ils permettent de s'affranchir du flou inhérent aux effets induits (la crise est là mais l'on ne comprend pas ce qu'il y a derrière) : diagnostic de la crise, modèle explicatif et scénarios de sortie de crise permettent de limiter les pertes qui peuvent s'avérer catastrophiques si la crise est mal gérée car mal comprise.

Anticiper, c'est donc se prémunir contre les impacts négatifs, c'est privilégier la réflexion en préparant avec le plus possible de précision une décision : c'est en cela que souvent la prospective est qualifiée de «réductrice de risques ».Prospective et géopolitique permettent de mieux éclairer l’action présente.

Il est de coutume d'affirmer que pour éteindre un feu qui démarre, il faut un verre d'eau lors de la première minute, un seau au bout de cinq minutes et un camion de pompier après un quart d'heure[8]. C'est pourquoi nous plaidons vivement pour la mise en place, au sein des entreprises tunisiennes, de cellules de veille et d'alerte (détection des germes), pouvant être également dénommées cellules de crise, afin de sensibiliser les dirigeants et les cadres à toutes situations constituant, compte tenu de leur montée en puissance, des menaces sérieuses à la performance de l'entreprise.

Convenons ensemble que l'équipe de crise doit être constituée bien avant que ne se déclenche tout incident et non l'inverse. Assumons nos responsabilités dans un monde de plus en plus instable, un monde brisé et incertain: une crise anticipée peut s'avérer vectrice d'opportunités nouvelles et créer une dynamique porteuse et vertueuse.

En définitive, l'anticipation, c'est, certes des méthodes rigoureuses, mais c'est avant tout un état d'esprit, une méthode de travail, de nouvelles approches managériales incitant les entreprises tunisiennes à s'affranchir du poids du présent. Il ne s'agit pas de bouleverser les modes traditionnels de gestion mais d'optimiser et d'aménager afin d'accroître la rentabilité et la performance de ces entreprises. Les PME n'échappent pas à cette nouvelle réalité et nécessité : elles doivent être en mesure de se positionner sur des pôles de profit et non sur des pôles de coût : voilà l'optimisation !

Par voie de conséquence, cessons de fuir nos responsabilités de dirigeants et de chefs en arguant que nous ne pouvions pas faire autrement : l'avenir se construit, il ne doit pas être subi dans la torpeur : ouvrons les yeux sur cette nouvelle réalité et cessons de nous dérober !

 

 

*Géopoliticien et prospectiviste, Directeur de Global Prospect Intelligence



[1]« Vers une guerre civile mondiale ? », Abdelmalek Alaoui, La Tribune Afrique, 8 janvier 2019, consultable au ce lien

[2]Amiral Jean Dufourcq, « Le monde en marche », 15 février 2017.

[3]Voir CLES, « Géopolitique et entreprises », Jean-François Fiorina, N°200, 8 mars 2017.

[4] Voir CLES, « « La géopolitique, discipline à part entière du management », 6 avril 2017 consultable au ce lien

[5]Le Figaro, 29 janvier 2019.

[6]Voir CLES, « Géopolitique et entreprises », Jean-François Fiorina, N°200, 8 mars 2017.

[7]Voir CLES, « « La géopolitique, discipline à part entière du management », 6 avril 2017 consultable au ce lien

[8] Voir Futuribles, Hugues de Jouvenel.

31/01/2019 | 09:34
19 min
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Commentaires (2)

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observator
| 31-01-2019 19:36
L auteur parle comme si la Tunisie est un pays qui fonctionne normalement disposant d une certaine souveraineté , ses entreprises sont de veritables entreprises dirigées par de vrais entrepreneurs.
Il oublie que ce pays est dirigé par des clans mafieux et ses entreprises ont à leurs têtes plutot des samsaras la plupart cherchant le gain facile et immédiat dont la vision, la strategie, le sens de l anticipation et de la prévision sont des notions qui leur sont généralement étrangères.

Mais c est un article intéressant.

Tunisino
| 31-01-2019 19:01
1. L'article est plutôt scientifique que médiatique.
2. Aucune référence en anglais, l'auteur adopte une vision francophone?
3. Les propos sont plutôt académiques que pratiques.
4. L'article est général, les spécificités tunisiennes ne sont pas évoquées.
5. L'auteur parle des Etats Unis et de la Chine sans les connaitre?
6. L'auteur parle de l'intelligence artificielle sans la connaitre?
7. L'article est trop long et la motivation de l'auteur n'est pas claire.
8. L'auteur s'adresse au entrepreneur sans se mettre à leur place.
Conclusion: L'article a adopté une approche littéraire et générale, l'effort de l'auteur est notable.