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Chroniques
Le trou béant que laisse la Gauche
Par Marouen Achouri
14/11/2018 | 15:59
3 min
Le trou béant que laisse la Gauche

Par Marouen Achouri

 

La recomposition que connait actuellement la scène politique tunisienne à la lumière des nouvelles sphères d’influence et des nouveaux arrangements voit l’absence d’un acteur qui pourrait pourtant avoir un rôle, la gauche tunisienne.

La situation est telle que l’on peut affirmer que la gauche tunisienne n’existe pas aujourd’hui, qu’il n’y a pas d’alternative de gauche proposée à une société qui, pourtant, voue une certaine sympathie à ce courant de pensée. L’électeur se trouve aujourd’hui confronté à des choix de droite pure. Il existe une droite religieuse incarnée par Ennahdha qui reste inflexible sur plusieurs points, particulièrement concernant les évolutions sociales, malgré tous les efforts dépensés en communication et en lissage d’image. Il y a également une droite conservatrice bourgeoise incarnée par ce qu’était Nidaa Tounes à un certain moment, puisque aujourd’hui il n’incarne plus rien. Et puis il y a la droite décomplexée composée de partis tels que Afek Tounes, Al Badil Ettounsi et autres. Ils ont au moins le mérite de dire ouvertement que ce sont des partis de droite, mais encore faut-il creuser derrière la phrase creuse de « partis centristes modérés démocratiques progressistes ».

 

Mais si l’on se tourne à gauche c’est le vide. Il n’existe pas de gauche proposant une réelle alternative mûre pour le pouvoir, il n’y a pas de réelle offre politique de gauche sociale. Ceci n’empêche pas qu’il existe des partis de gauche évidemment. Le Front populaire, contrairement aux autres, bénéficie d’une profondeur régionale qui lui a permis, historiquement, de coller à tous les mouvements sociaux d’avant révolution. Il bénéficie également de l’aura de ses leaders avec à leur tête le martyr Chokri Belaïd entre autres. Mais il s’agit d’un parti, ou plutôt d’une coalition de partis, qui a du mal à se réinventer et qui se complait dans le rôle d’opposant. De toutes manières, c’est ce que ses leaders historiques ont toujours fait. Il existe également un problème profond d’innovation et de renouvellement des têtes de pont. Hamma Hammami l’avoue lui-même. Quoi qu’il en soit, malgré le crédit historique de leaders dont l’intégrité est hors de cause, le Front populaire n’a jamais pu se hisser au rang d’alternative crédible au pouvoir. Il est certain que les envolées lyriques de mauvais goût d’un Ammar Amroussia n’aideront pas à restaurer l’image du Front.

 

Il y a aussi Al Massar qui a superbement réussi à gâcher le crédit historique du parti Attajdid, vrai père de la gauche tunisienne. Le parti se retrouvait handicapé par des luttes intestines impliquant notamment son secrétaire général et unique représentant au gouvernement, Samir Taïeb. Par ailleurs, Al Massar n’a jamais pu donner l’image d’une alternative au pouvoir et est resté enfermé dans le confort de certains cercles bienpensants qui se réclament de gauche et votent Nidaa Tounes. Par conséquent, Al Massar se retrouve isolé et prend le chemin de partis comme Ettakatol qui ont disparu de la scène politique tunisienne.

Conscient de ce vide sidéral, Abid Briki s’est proposé d’être l’initiateur d’un projet politique de gauche. Une gauche qui, selon ses propos, rassemblerait les sensibilités qui existent et qui ne se retrouvent dans aucun parti. Toutefois, il ne s’agit pas de la première tentative de rassemblement de la gauche tunisienne. Des tentatives qui ont toutes échoué, se heurtant très vite au problème d’égo des dirigeants de ce courant dans notre pays. Abid Briki a au moins le mérite de dire qu’il partirait le premier si cela pouvait faciliter les choses. Mais bon…

 

Au-delà de la crise de confiance que les Tunisiens nourrissent tous les jours par rapport à leur classe politique, la pauvreté de l’offre peut également être l’une des raisons expliquant le faible intérêt à la chose publique. Il est vrai que la gauche tunisienne souffre d’être enfermée dans une caricature ridicule peinte par ses adversaires. Toutefois, elle n’a rien fait de notable pour effacer cette caricature et mûrir suffisamment pour devenir, aux yeux de l’opinion publique, une alternative crédible. Comme un malheur ne vient jamais seul, la majorité des leaders de gauche sont sourds à ce genre de discours et préfèrent, tour à tour, rester dans le rôle de la victime ou du donneur de leçons. C’est bien dommage pour l’historique de la gauche tunisienne, c’est bien dommage pour la Tunisie.

Par Marouen Achouri
14/11/2018 | 15:59
3 min
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Commentaires (6)

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Soufi
| 15-11-2018 12:44
Cette gauche qui ne vit plus son temps disparaitra tôt ou tard comme elle a disparu partout ailleurs.

El Chapo
| 15-11-2018 00:32
Faudra qu'elle arrête de manger des cacahuètes... ça lui évitera de péter et de laisser ....des trous béants

Gg
| 14-11-2018 23:01
Parce que la gauche, en principe, représente un idéal. Une société plus juste, plus égalitaire. Cela suppose qu'à un moment, l'intérêt collectif passe avant le sien propre. Et ça, chez l'Homme, ce n'est pas naturel. Pas spontané.
Et en face, il y a soit l'égoïsme roi du "libéralisme", soit la religion.
Sale époque pour la gauche, partout dans le monde!

Gg
| 14-11-2018 22:56
Ah tiens, chez vous aussi?!

kameleon78
| 14-11-2018 20:13
En 2018, la Gauche ne veut plus rien dire dans un pays arabo-musulman quel qu'il soit. Bien que vivant à l'étranger et n'ayant pas connu les soubresauts de la Gauche tunisienne ces dernières années, je peux m'en faire une idée assez précise.

Mais avant tout parlons d'Histoire sans cela nous ne pouvons pas parler de la Gauche tunisienne. Dans les années 60 et 70 voire les années 80, les mouvements gauchistes qui ont sévi dans le monde occidental soutenus par l'ex Union Soviétique ont influencé certains intellectuels dans les pays du tiers-monde dont nous faisons partie, ils ont même réussi à imposer des régimes dictatoriaux comme en Algérie avec Boumedienne, Cuba avec Castro et d'autres dictateurs africains, avec cette idée du socialisme donc ils ont imposé une certaine idéologie influencée par le communisme. Dans les pays à régime conservateur les principaux opposants politiques sont soit les communistes soit les socialistes et cela de façon générale dans les pays qui ont acquis leur indépendance. Les différences se sont estompées entre les différentes gauches donc il reste la Gauche de façon générale grande opposante des régimes conservateurs que ce soit dans les pays démocratiques ou dans les pays en voie de développement comme la Tunisie.

Donc parler de Gauche à cette époque là cela avait un sens car c'était une lutte pour le pouvoir, en Tunisie c'était le MDS de Mestiri d'obédience gauchiste grand opposant au régime de Bourguiba (se souvenir des élections de 1981), donc la lutte du pouvoir était une affaire de Droite (plutôt parti conservateur) PSD contre la Gauche du MDS. Les islamistes à l'époque commençaient à montrer le bout de leur nez (tiens tiens Ghannouchi déjà) mais les Barons du PSD par machiavélisme et par pur calcul politique ont avantagé les islamistes par rapport aux gauchistes et ils l'ont regretté par la suite. Sous Ben Ali ce fut plutôt une rivalité entre les conservateurs laïques et les islamistes du MTI de Ghannouchi devenu Nahda. Donc déjà sous Ben Ali l'influence de la Gauche avait déjà beaucoup diminué.

Bon voilà pour l'Historique, mais que représente la Gauche aujourd'hui en Tunisie? pas grand chose. Les électeurs qui s'opposaient au pouvoir depuis la fin des années 80, début 90 sont les islamistes (encore ce Ghannouchi et son MTI rebaptisé Nahda), la Gauche n'a plus aucune influence dans la société tunisienne sinon marginale, pourquoi?

1. La Gauche ne représente plus la fer de lance de l'opposition comme dans les années 70 et 80. Les électeurs qui ont des griefs contre le pouvoir ne font plus appel à eux. (plutôt les islamistes).

2. La société tunisienne a beaucoup changé, elle est devenue largement conservatrice, comme vous l'aviez souligné Marouen Achouri. Elle ne se reconnait plus dans la Gauche qui lui parait étrangère à ses valeurs, surtout que la religion est devenue omniprésente dans la vie des tunisiens depuis l'arrivée des islamistes en 2011. La Gauche représente pour beaucoup d'électeurs une élite donc lointaine à leurs préoccupations.

3. La Gauche ne s'est pas renouvelée, ce sont toujours les mêmes têtes surtout ce Hamma Hammami éternel communiste sans projet politique concret, il veut s'opposer mais sans jamais vouloir prendre le risque de gouverner (HH a peur d'échouer).. Les autres partis de Gauche comme El Massar celui que je trouve le plus respectable avec des hommes et des femmes de valeur ont du mal à convaincre vu que les électeurs ne comprennent plus le "message" de la Gauche, liberté, égalité, droits de l'homme cela leur parait abstrait. Quant à Ettakatol qui a disparu corps et biens pour avoir fait alliance avec la Nahda.

Voici mon avis, la Gauche ne veut plus rien dire en Tunisie, bien sûr leur apport à la société est bien utile pour les idées qu'ils véhiculent mais pour les électeurs tunisiens, les gauchistes sont des extra-terrestres qui ont atterri sur terre avec des terriens qui ne comprennent pas leur langage. La Gauche est plutôt une idée occidentale valable dans un pays démocratique et évolué. Dans une société fortement imprégnée de religion comme la Tunisie, la Gauche c'est un mot exotique.

Layla
| 14-11-2018 18:54
Plus j'écarquille les yeux, comme pour mieux observer ce qu'on appelle le paysage politique, plus j'ai peine à voir plus que des gesticulations parmi les anciens comme chez les nouveaux venus au-devant de la scène lamentable et de lamentations. Le vide essentiel ! A qui cela profite-t-il ? A nos ennemis, sans doute; ceux du dedans et du dehors. Ce qui signifie que le pays est occupé, tout simplement. Ni gauche, ni droite, ni centre: ce sont-là des termes dérisoires! Un pays en déshérence! Les profiteurs du dedans et du dehors bougent au vu et au su, sans masques. Pourtant...