Par Lotfi M’raihi*
Les lendemains révolutionnaires n’ont cessé de confronter la Tunisie à sa réalité, à lui faire découvrir sa face si longtemps voilée par les fards de la propagande du pouvoir déchu. Soudain, on semblait découvrir la fracture sociale, les inégalités régionales, la faillite du modèle socio-économique. Le long processus transitionnel malgré ses indéniables acquis politiques, démocratiques et institutionnels n’a pu dissiper la chape d’incertitudes, d’appréhensions voire de peurs qu’alimentent les difficultés économiques sociales et surtout sécuritaires. La Tunisie se trouve aujourd’hui acculée à gérer une multitude de défis enchevêtrés et interdépendants. La cacophonie suscitée par le fléau terroriste n’est pas de nature à apaiser les Tunisiens ni à offrir les conditions requises pour la tenue d’un débat dépassionné afin de cerner les causes et les réponses appropriées pour endiguer et éradiquer cette menace.
Le djihadisme qui est demeuré cantonné un temps à la péninsule arabique et à l’Irak est monté en puissance particulièrement à la suite des révolutions arabes. Il est en passe de devenir un phénomène planétaire. Les mouvances djihadistes ont su profiter de leurs bases en Algérie, du désordre né en Libye et de la fragilité de l’Etat en Tunisie pour engager une déstabilisation de la région entière et transformer l'Afrique du Nord en une plaque tournante pour des attaques en Europe.
L’évolution du terrorisme en Tunisie dépend principalement de deux facteurs. D’une part, il apparaît clairement que l’état de guerre civile en Libye est de nature à favoriser le passage à l’endémicité de ce fléau et par conséquent la persistance d’un risque d’extension élevé chez nous. D’autre part, la capacité de mobilisation et de recrutement de djihadistes reste tributaire du vivier sur lequel il opère. Ainsi, certaines conditions propices sont requises pour favoriser son implantation et son épanouissement. Ceci nous amène à nous interroger sur le profil type du djihadiste en puissance. Il aurait été utile de disposer d’études sociologiques sur les embrigadés.
Certes, il serait illusoire dans un souci de simplification de se laisser entrainer à brosser un portrait rebot du djihadiste type. Le profil typique du djihadiste n’existe pas. En effet, l’existence de certaines dominantes du profil doit toujours tolérer l’existence de variantes. Néanmoins, les exceptions ne sont pas de nature à infirmer ou remettre en cause l’existence de gros traits de caractère qui font la règle. Le prêche djihadiste est fondé sur un discours simpliste fait de raccourcis qui prennent beaucoup de libertés avec les dogmes islamiques. Il se réduit à des formules à l’emporte pièce qui trouvent un écho chez une population désoeuvrée sans repères sociaux et sans espoir.
Ainsi, il n’est nullement surprenant que les régions et les quartiers les plus défavorisés servent de vivier à la filière djihadiste. La quasi-totalité des opérations qui ont eu lieu chez nous ou celles qui ont été avortées se sont déroulées dans ces espaces et /ou ont mis en cause des individus originaires des régions et des quartiers défavorisés. Certes, il a été rapporté ça et là des cas dérogeant à ce constat mais ils ne sauraient être considérés que comme des exceptions à la règle. Ces cas atypiques témoigneraient toutefois que la réceptivité au discours djihadiste est multifactorielle où le personnel et le social s’entremêlent et s’autoalimentent.
Ces divers facteurs contribuent à embrigader des jeunes hommes de 14 à 25 ans, de divers origines, troublés, désabusés ou esseulés. Par nature, les adolescents se rebellent contre l’autorité et cherchent à donner un sens à leur vie. Néanmoins, la composante socio-économique est l’argument prépondérant pour expliquer l’importance de l’audience que trouve la mouvance djihadiste dans certains milieux en Tunisie.
Il serait en effet mal approprié de s’en tenir aux faits d’armes, qui restent somme toute circonscris, pour minimiser l’ampleur du fléau. Autant, l’important contingent tunisien opérant dans les rangs d’al nousra que de Daech que le nombre de candidats au jihad refoulés aux frontières témoigne de l’ampleur des convertis au jihad parmi notre jeunesse. Il est nécessaire de comprendre, sans pour autant excuser, que les conditions de vie et l’absence de perspectives d’avenir pour cette frange de notre jeunesse l’ont rendue vulnérable à l’appel du terrorisme déguisé sous l’imposture de Jihad.
Ceci explique également les difficultés de nos forces de sécurité à traquer des individus évoluant dans leur environnement naturel et trouvant refuge et soutien logistique dans un espace social qui leur est en partie acquis. L’étude des listes des noms du groupuscule terroriste évoluant sous l’enseigne d’al Qaida au Maghreb et basé dans les monts de Samama prouve l’affiliation régionale de la majorité de ses membres et explique les accointances et le soutien logistique dont ils peuvent bénéficier. Les détails techniques, tactiques et de terrain qui ont caractérisé la dernière opération de Boulâaba en sont une nouvelle preuve.
De ce fait, la solution sécuritaire, si elle est une composante indispensable du dispositif de lutte, ne peut à elle seule être efficiente. Il s’agit certes de la solution de facilité, celle dont les actions sont visibles et chiffrables mais elle reste sur le terme inefficace si elle n’est couplée à un traitement de fond associant un volet économique de relance de l’activité avec une discrimination positive d’investissement et de redistribution sociale.
Au vu de l’importance des enjeux et de l’urgence de traitement pour couper court à la propagation du fléau, l’Etat doit déroger à la règle et s’improviser opérateur économique à travers certains pôles industriels. A l’instar de la politique menée dans les années soixante, l’action économique serait entreprise dans une optique sociale et non de profit et de rentabilité. Une telle action aura le mérite de susciter l’espoir et détourner la jeunesse des sirènes des prêches djihadistes. La communauté nationale devra supporter le poids de ces investissements grâce à une mobilisation générale car il en va de notre souveraineté nationale, de notre sécurité, de nos chances d’asseoir notre modèle démocratique et de la relance de notre économie. Cette mobilisation est à même de consolider notre unité nationale tendue vers un même objectif et réactivée par cet élan de solidarité. Le terreau sur lequel a pris le fléau terroriste doit-être traité en profondeur.
L’illusion de l’approche sécuritaire exclusive est non seulement inefficiente mais nécessite des moyens qui sont de loin hors de notre portée. Il faut savoir que chaque suspect nécessite la mobilisation d’une vingtaine d’agents de la sûreté pour sa surveillance quotidienne. S’il est utile de promouvoir un discours religieux pédagogique de tolérance en accord avec l’islam modéré qui a cours dans nos contrées, il serait par ailleurs illusoire et naïf de compter sur ce contre-argumentaire religieux pour amener les déviants à la repentance.
Ceux qui ont choisi de brandir les armes contre l’autorité et de l’Etat et la société toute entière sont prostrés dans leur autisme fanatique. Beaucoup d’entre eux, ont un faible niveau doctrinal, n'ont pas forcément une grande habitude de la lecture, et ont pu être attirés par les images de violence, de puissance et d'unité que véhiculent les vidéos djihadistes. La justification théologique de leur engagement n’a pas besoin d’être très élaborée. Elle sert presque d’alibi pour justifier une énergie agressive qui bouillonne, ou la rationalisation d’un désir de revanche sur un modèle social et un Etat qui ne leur offrent pas de perspective de réussite voire qui les marginalisent.
Autant les causes du terrorisme sont multifactorielles, autant son traitement devra comporter une panoplie de mesures qui doivent être conduites de façon conjointes et concertées pour espérer en venir à bout. La bataille sera rude et devra être conduite dans l’unité, il en va de la pérennité de notre patrie.
*Lotfi Mraïhi est le secrétaire général de l’Union Populaire Républicaine
Nous devons aussi aider les antagonistes libyens à se rapprocher de la table des compromis à la tunisienne, qui malgré ses lacunes nous a évité les confrontations.
Moi je suis optimiste... optimiste qu'u n politicien comme si Mraihi ose aborder des sujets que bcp s'autres essaient a tort ou a raison d'évacuer le sujet sous des prétextes souvent bidons...
Bravo Mhrai, bravo UPR... bonne continuation...