Le record de Youssef Chahed n’aura pas tenu longtemps
Le chef du gouvernement, Youssef Chahed, est actuellement en Chine, mais c’est en Tunisie que son avenir est en train d’être décidé. Ces dernières 48 heures ont connu plusieurs rencontres entre les principaux dirigeants du pays et des décisions ont été prises. A la baguette, on retrouve Béji Caïd Essebsi qui a réussi à amener Ennahdha à le rejoindre sur la décision de pousser Chahed à la porte de la Kasbah.
L’affaire a semble-t-il été scellée hier, 3 septembre 2018, à l’occasion de la rencontre entre le président de la République, Béji Caïd Essebsi, et le chef du parti Ennahdha, Rached Ghannouchi. Malgré le communiqué laconique de la présidence de la République qui s’est acharnée à tenter de présenter le chef islamiste en position de faiblesse, c’est bien ce dernier qui offre une fleur au président de la République. En effet, Rached Gannouchi a décidé de retirer son soutien à Youssef Chahed et s’est dit d’accord pour le remplacer, le tout enrobé dans le 64ème point de l’accord de Carthage 2.
Après s’être brouillé avec Nidaa Tounes et Hafedh Caïd Essebsi, Youssef Chahed a dû, également, faire face à la présidence de la République puisque le papa s’est aligné sur la position du fiston. Entre temps, l’UGTT a tourné le dos au chef du gouvernement et a réclamé, plusieurs fois par la voix de son secrétaire général Noureddine Taboubi, le départ du chef du gouvernement. Le chef du gouvernement avait pu résister à cette double pression grâce au soutien d’Ennahdha d’un côté et au fait qu’il s’est assuré d’un certain soutien à l’ARP, particulièrement avec la constitution du nouveau bloc national, de l'autre. Toutefois, sans la protection politique d’Ennahdha, la pression devient trop forte et la position devient difficilement tenable.
Le ballet des rencontres qui a déterminé l’avenir de Youssef Chahed à la Kasbah a commencé avant-hier par une rencontre entre Noureddine Taboubi et Rached Ghannouchi. Le lendemain, c’était une rencontre entre le chef de l’Etat, Béji Caïd Essebsi, et le leader islamiste. Et pour finir, une rencontre a lieu aujourd’hui entre le secrétaire général de l’UGTT et le président de la République. Les trois ténors de l’Accord de Carthage 2 ont parlé et décidé de mettre un terme à l’expérience Youssef Chahed à la tête du gouvernement. C’est Rached Ghannouchi qui a donné le coup de grâce à la carrière de Youssef Chahed à la présidence du gouvernement à cause des élections de 2019.
En effet, barrer la route des élections de 2019 à Youssef Chahed semble être une préoccupation importante pour le parti Ennahdha. Le sujet avait été évoqué publiquement par le leader islamiste pour la première fois en août 2017 à l’occasion d’une interview sur Nessma. Rached Ghannouchi demandait déjà à Youssef Chahed de s’engager à ne pas se porter candidat aux élections de 2019. Un an plus tard, en août 2018, C’est le parti Ennahdha qui s’est prononcé via communiqué en conditionnant son soutien à Youssef Chahed à son engagement de ne pas se présenter aux élections de 2019. Une demande qui a été vraisemblablement ignorée par Youssef Chahed qui n’a, évidemment, pas donné suite à cette demande. La patience du cheikh semble avoir atteint ses limites et il a décidé de mettre un terme au soutien fourni par son parti au jeune impertinent de la Kasbah.
En parallèle, branle-bas de combat chez Nidaa Tounes qui se prépare à sauter sur l’occasion et à faire ce qu’il faut pour tenter de se présenter comme un acteur principal de ce bouleversement. Maintenant que la messe a été dite par les deux cheikhs, les ministres de Nidaa Tounes ont décidé, dans une réunion tenue hier 3 septembre 2018, de déléguer à la direction du parti la prise de décisions politiques en ce qui concerne la question gouvernementale. En termes plus simples, c’est la direction du parti, autrement dit Hafedh Caïd Essebsi, qui décidera de la démission, ou pas, des ministres et secrétaires d’Etat de Nidaa Tounes du gouvernement.
Le directeur exécutif de Nidaa Tounes réalise un double gain par cette manœuvre. Le premier est personnel puisqu’il s’agit là d’une revanche sur celui qui avait déclaré à la télévision publique que HCE était responsable de l’état de déliquescence dans lequel se trouve le parti. Le deuxième gain est politique puisqu’il pourra se prévaloir d’avoir mis Youssef Chahed sur la touche en faisant en sorte que les ministres Nidaa Tounes démissionnent. Toutefois, une question se pose concernant ces ministres. Autant on voit bien Majdouline Cherni par exemple ou Salma Elloumi démissionner du gouvernement sur ordre de Hafedh Caïd Essebsi, autant le doute est permis concernant d’autres ministres comme Radhouane Ayara ou Khemaïes Jhinaoui. De toute manière, Hafedh Caïd Essebsi se présentera comme l’artisan de l’éviction de Youssef Chahed et il aura le loisir d’avoir un droit de veto sur son successeur.
Aujourd’hui, la question qui se pose est de savoir de quelle manière Youssef Chahed quittera-t-il la Kasbah ? Deux options sont possibles, la première est qu’il démissionne tout simplement de son poste sachant qu’il ne bénéficie du soutien ni de Nidaa, ni de la présidence de la République, ni de l’UGTT, ni d’Ennahdha. La deuxième est de prendre le risque de passer devant le Parlement. Même si le résultat du vote semble scellé, le déballage public avec le niveau des interventions des députés risque d’être un épisode mémorable de la vie politique tunisienne.
Toutefois, cet épisode devrait nous inviter tous, politiciens, observateurs, analystes, à nous interroger sur la viabilité du système politique en place. Un système qui permet de limoger des chefs de gouvernement en vertu d’un simple document élaboré dans un salon à Carthage. Un système dans lequel être « fils de » permet d’avoir son mot à dire sur l’avenir politique du pays. Un système composé de partis politiques dont la majorité est tout simplement illégale.
Marouen Achouri