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Le projet chinois des nouvelles routes de la Soie et l’Afrique du Nord : quel positionnement pour la Tunisie ? Un géant à nos portes !
20/06/2018 | 15:40
14 min
Le projet chinois des nouvelles routes de la Soie et l’Afrique du Nord : quel positionnement pour la Tunisie ? Un géant à nos portes !

Par Mehdi Taje*

 

Le Programme régional Sud Méditerranée de la Konrad-Adenauer-Stiftung, représenté par Dr Canan Atilgan, vient de mettre en ligne et de publier une étude approfondie et inaugurale pour la région maghrébine et la Tunisie rédigée par M. Mehdi Taje, professeur de géopolitique et de prospective, Directeur de Global Prospect Intelligence, en collaboration avec le Contre-Amiral (R) Tarek Faouzi El-Arbi. Cette étude intitulée « Les nouvelles routes de la Soie et l’Afrique du Nord : quelles synergies ? » est téléchargeable au lien suivant : http://www.kas.de/poldimed/en/publications/52881/ou http://www.kas.de/wf/doc/kas_52881-1522-2-30.pdf?180620105608. Pragmatique, cette étude aspire à lever le voile sur ce projet de projection de puissance impériale inédit dans l’histoire de la Chine, d’en examiner les ressorts géopolitiques, économiques, culturels, etc. avoués et non avoués, d’en décrypter l’impact sur notre voisinage euro-méditerranéen et en Afrique du Nord afin d’identifier des orientations stratégiques permettant aux autorités tunisiennes d’en tirer le meilleur parti et de dégager une vision stratégique à court et moyen terme quant à son positionnement au sein de ce projet qu’elle ne peut manquer.

Le contraste saisissant entre le sommet du G7 tenu au Canada marqué par des tensions entre les 6 et une Amérique « trumpienne » bousculant les liens transatlantiques et les équilibres économiques entre Occidentaux et le sommet de l’OCS (Organisation de Coopération de Shanghai) tenu en Chine s’érigeant en modèle d’intégration eurasiatique, d’unité des puissances dites « révisionnistes » et de promotion du multilatéralisme, révèle la fin du monde que nous connaissions et le reclassement des puissances en cours avec un déplacement du centre de gravité irréversible vers l’Asie.

 

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Ce monde chaotique, fragmenté, brisé, en cours de reconfiguration, dérégulé sur les plans stratégiques et vecteur de tensions multiples, nous interpelle tous et dicte plus que jamais une nécessaire analyse des dynamiques à l’œuvre, des forces en présence, du jeu des uns et des autres, des objectifs avoués et non avoués. Il appelle une vigilance et une remise en cause des dogmes passés, une capacité à innover et à s’interroger. Il impose une clarté des visions, une capacité à déchiffrer, à anticiper, à construire des stratégies à court et à moyen terme, de l’audace, du réalisme et du pragmatisme.Ce monde dicte fluidité, agilité et mobilité. Dans ce brouillard stratégique amplifié par la révolution numérique et digitale, nous ne pouvons demeurer passifs, subissant, à l’image d’un bateau ivre, les convulsions de ce monde agité et tourmenté. La Tunisie ne vit pas en autarcie : à moins de gémir en subissant, nous serons amenés à apprendre à cultiver une certaine multipolarité. L’intelligence des situations doit prévaloir. La Tunisie est appelée à développer une diplomatie plus audacieuse et ambitieuse en mesure de tirer le meilleur parti des reconfigurations en cours, de saisir les opportunités et de contrer les menaces. Fondée sur le réalisme, le pragmatisme et l’audace, il s’agira de veiller à la conceptualisation d’une politique étrangère axée sur la défense des intérêts stratégiques nationaux. Cette diplomatie tunisienne innovante devra favoriser l’anticipation des ruptures et permettre souplesse et agilité face à un contexte en évolution perpétuelle. Eviter la paralysie et reprendre l’initiative s’érigent en impératif.

En effet, dans le contexte d’émergence d’un monde polycentrique, d’un éventuel collège des puissances, voire inversement d’une nouvelle bipolarité, la Tunisie, tout en sauvegardant sa relation stratégique à l’Europe et aux Etats-Unis, devra veiller à se positionner au mieux au sein de cette nouvelle équation géopolitique. Il s’agira, dans le cadre d’une stratégie progressive de diversification, de tirer avantage, sur les plans sécuritaire et économique, de cette nouvelle architecture des puissances en gestation. Ainsi, sans heurter la garantie de sécurité occidentale, il conviendra d’élargir le spectre de coopération de la Tunisie à l’échelle planétaire en privilégiant la défense de l’intérêt national.Cette étude espère modestement contribuer à jeter les bases d’une réflexion stratégique au service d’un multilatéralisme voulu, pensé et assumé.

La Chine au cœur du monde : une initiative inédite

Lors du XIXème congrès du PCC, Xi Jinping rompt avec la prudence coutumière chinoise, trace des lignes rouges et fixe une orientation : la Chine doit se hisser au premier rang mondial à l’horizon 2049, année du centenaire de la République populaire de Chine. Déjà, en 2010, le colonel Liu Mingfu publiait « Le rêve chinois » et révélait les dessous de la stratégie intitulée « le marathon de cent ans ». La Chine, empire du milieu, aspire à renouer avec sa centralité géopolitique. Elle s’en donne les moyens sereinement. C’est dans ce contexte qu’il convient de replacer le projet des nouvelles routes de la soie (Belt and Road Initiative, BRI), véritable projection de puissance impériale à l’échelle planétaire. A l’automne 2013, depuis Astana, le président Xi Jinping lance le projet, ressuscitant les anciennes routes de la soie reliant l’Asie à l’Europe en passant par l’Asie Centrale, le Moyen-Orient et la Méditerranée. C’est le retour de l’Eurasie, des puissances continentales face aux puissances maritimes.

Ainsi, infrastructure stratégique d’envergure, le projet OBOR (One Belt, One Road) renommé les 14 et 15 mai 2017 BRI (Belt and Road Initiative) à l’occasion du premier sommet « Routes de la soie du XXIème siècle », aspire à relier, par des voies routières, ferroviaires, numériques, maritimes, de gazoducs, d’oléoducs, de ports, etc. l’Asie, l’Europe, la Méditerranée et l’Afrique, tout en s’étendant à l’Océanie et à l’Amérique Latine. A l’issue du sommet, une déclaration commune a été signée par 30 pays et 270 accords de coopération ont été paraphés. Ce projet d’infrastructures pharaoniques évalué à 1000 milliards de dollars implique près de 65 pays regroupant 4,5 milliards d’habitants (70 % de la population mondiale) et représentant environ 55 % du PIB mondial et 75 % des réserves énergétiques de la planète. Il est à l’origine de la création en 2014 de la BAII (Banque Asiatique d’Investissement pour les Infrastructures) dotée de 100 milliards de dollars et comptant 55 pays actionnaires. Suivant le concept chinois de « Hu Lian Hu Tang » (relier des fils de soie et se mettre en mouvement), le paradigme dominant est fondé sur le principe de connectivité. Deux routes principales structurent le projet : une route terrestre reliant la Chine à l’Europe en passant par le Kazakhstan, l’Iran, la Turquie, la Russie, etc. et une route maritime passant par l’Océan Indien, la mer Rouge, le canal de Suez pour aboutir en Méditerranée, plus précisément à Venise, point de départ des expéditions de Marco Polo. La Chine, « empire du milieu », renoue avec sa centralité économique et développe une politique d’expansion planétaire. Comme le soulignent Frédéric Lasserre et Eric Mottet, « relier la Chine au reste du monde via un réseau complexe et multimodal d’infrastructures, telle est l’ambition du projet BRI. Assorti de financements colossaux, ce plan pharaonique attire les acteurs publics et privés le long des itinéraires proposés tout autant qu’il suscite leur méfiance quant à ses conséquences géopolitiques »[3].

 

 

 

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La Chine aspire à se positionner en acteur stratégique global. Vingt ans après Deng Xiaoping, Xi Jinping s’exprime en octobre 2017, lors du XIXème congrès du PCC, en ces termes : « Nous allons continuer à nous battre pour réaliser le rêve d’une grande renaissance de la nation chinoise ». [5]Deng Xiaoping avait appelé les Chinois à s’enrichir. Aujourd’hui, Xi Jinping les invite à partir à la conquête de la planète.

Longtemps, la Chine a fait profil bas, avançant avec prudence, niant toute velléité expansionniste, soulignant son incapacité à menacer quiconque, étant absorbée par la nécessité vitale d’assurer les besoins primaires d’une population de 1,3 milliards d’habitants. Aux commandes de la deuxième puissance mondiale, Xi Jinping affirme haut et fort son souhait de rendre sa grandeur passée à l'empire du Milieu en exaltant le « rêve chinois » : un mélange de retour aux valeurs traditionnelles, de promesse d'un futur prospère et d'émergence sur la scène internationale. Désormais, c'est lui qui veut fixer les règles de la gouvernance mondiale »[6]. Pékin revendique, en traçant des lignes rouges et en n’hésitant plus à « montrer les muscles », le statut d’acteur stratégique global. La Chine se positionne en alternative au modèle occidental et jette les bases d’un nouveau modèle de développement économique attractif. Le plan « made in China 2025 » vise à ériger la Chine en leader des nouvelles technologies à l’instar de l’intelligence artificielle à l’horizon 2025. L’internationalisation du Yuan et la mise en place de la BAII ont pour vocation de remettre en cause l’hégémonie des institutions issues des accords de BrettonWoods jugées occidentalo-centrées. Pékin, en exportant son modèle si singulier, propose une redéfinition de la mondialisation à son avantage. La Tunisie ne peut demeurer en marge d’une dynamique redéfinissant les équilibres géopolitiques et géoéconomiques à l’échelle planétaire et régionale.

La Chine ambitionne-telle pour autant de dominer le monde ?Cela parait peu crédible et ne s’inscrit pas dans sa pensée stratégique.La Chine se dévoile et affirme son ambition de puissance, non de domination à l’échelle planétaire. Le projet BRI s’inscrit dans cette optique. Face à la stratégie de containment mise en place par les Etats-Unis, il s’agit de desserrer l’étau, de pérenniser le centre, de consolider les marches et d’évincer la puissance rivale en la recentrant sur sa sphère d’influence traditionnelle loin du continent eurasiatique. Pour Jean-Pierre Cabestan, « l’objectif de la route de la Soie est de faire de l’économie chinoise le centre du monde et d’isoler les Américains. Plutôt de conquérir la planète, la future première économie mondiale compte la faire venir à elle. En construisant des axes de communication terrestre, maritime, technologique et numérique, Pékin répond aux besoins de son économie en transition et de ses visées géopolitiques »[7].

Néanmoins, la bataille semble engagée, l’enjeu étant la première place mondiale.

BRI et l’Afrique du Nord

L’Afrique du Nord, espace à la charnière de l’Afrique, de l’Europe, du Moyen-Orient et de l’Asie, occupe une place centrale dans le projet BRI. Ce théâtre, à la date du mois de juillet 2017, représente un marché non intégré à fort potentiel de développement de 170 millions d’habitants.

A l’instar de leur dimension africaine, les pays d’Afrique du Nord sont également dans le périmètre initial de la BRI en tant que pays méditerranéens et sontparticulièrement concernés par l’axe maritime de l’initiative chinoise dontla destination finaleest l’Europe du Sud. La diplomatie chinoise segmente la Méditerranée et ne la perçoit pas en un ensemble homogène : l’Afrique du Nord est intégrée dans le cadre des forums Chine-Afrique (FOCAC) et le China-ArabCooperation Forum tandis que l’Europe du Sud fait l’objet d’une attention particulière. A ce titre, un mécanisme de coopération implique, prioritairement, six pays : Italie, Grèce, Portugal, Espagne, Chypre et Malte[8].

Dans le cadre d’un renforcement du trafic commercial entre les deux pôles chinois et européen, finalité du projet BRI, les économies de la rive sud doivent s’insérer dans les chaînes de valeurs chinoises et européennes. Une complémentarité des besoins et des visions rapproche la Chine et les pays d’Afrique du Nord : Pékin aspire à sécuriser ses besoins en pétrole et en gaz tout en conquérant de nouveaux marchés pour résorber sa surproduction tandis que les pays d’Afrique du Nord enregistrent un besoin croissant en infrastructures et en investissements afin de soutenir leur croissance et leur développement économique. En 2016, le marché de la construction et des infrastructures en Afrique du Nord est évalué à 9 milliards de dollars. A titre illustratif, les réformes initiées en Tunisie et en Egypte afin de désenclaver les régions intérieures marginalisées alimentent un besoin croissant en infrastructures, créant ainsi une fenêtre d’opportunités pour Pékin.

Les postures des différents pays d’Afrique du Nord vis-à-vis de l’Initiative BRI se sont révélées marquées par une forte différenciation, allant de l’adhésion pour le Maroc et l’Egypte, à une certaine frilosité de l’Algérie, partenaire pourtant central de la Chine, en passant par un relatif attentisme de la Tunisie.

En prenant en compte l’ensemble de ces éléments et la montée en puissance de la Chine à l’échelle mondiale et régionale, la Tunisie devra s’atteler à renforcer ses relations avec l’Asie et plus précisément avec Pékin. La diplomatie tunisienne devra cultiver la multipolarité et développer une diplomatie économique offensive et agressive en mesure de doper ses échanges économiques tout en captant les investissements dans des conditions politiques et financières avantageuses, sauvegardant sa souveraineté nationale. En effet, en dépit de sa singularité et de sa spécificité dans la région du fait de son engagement sur la voie démocratique, Tunis n’a pas bénéficié d’un statut particulier à la hauteur de l’enjeu historique de la part de l’UE. A ce stade, le partenariat avec l’UE n’est pas en mesure d’offrir l’élan décisif apte à permettre à la Tunisie d’assurer sa sécurité, de relancer durablement son économie et d’assurer sur le long terme son ancrage démocratique.

Néanmoins, paradoxalement, en poussant plus en avant son intégration à l’Europe, notamment via une avancée sur le dossier de l’Aleca, la Tunisie renforcera sa marge de manœuvre et son attractivité à l’égard des partenaires clefs asiatiques, notamment la Chine, dans le cadre de relations triangulaires. Avec le déplacement du centre de gravité des rapports de puissance vers l’Asie- Pacifique, la Tunisie devra penser et conceptualiser une « grande stratégie » à l’égard de cette région, plus particulièrement à l’égard de la Chine.


  • Dans le cadre de cette étude, des pistes concrètes visant à positionner de manière optimale la Tunisie au sein du projet BRI des nouvelles routes de la Soie sont proposées. L’auteur s’est volontairement limité à des recommandations générales esquissant les contours d’une vision appelée à être conceptualisée puis déclinée en plan d’action par secteurs (diplomatie, économie, finance, culture, etc.). Ces recommandations ne constituent que des hypothèses et interrogations ayant pour vocation de soulever un débat et d’alimenter une réflexion plus approfondie quant à leur opportunité et faisabilité.

 

 

*Géopoliticien et prospectiviste, Directeur de Global Prospect Intelligence[9]

 



[3] « L’initiative Belt and Road, stratégie chinoise du Grand Jeu », Eric Mottet et Frédéric Lasserre, revue Diplomatie, N°90, Janvier-Février 2018, p.36.

[6]« Chine : le deuxième sacre de Xi Jinping, le tout puissant empereur rouge », Cyrille Pluyette, Le Figaro, 17 octobre 2017, consultable au lien suivant : http://premium.lefigaro.fr/international/2017/10/17/01003-20171017ARTFIG00265-chine-le-deuxieme-sacre-de-xi-jinping-le-tout-puissant-empereur-rouge.php

[7]« Et maintenant l’autoroute de la Soie », Sébastien Falletti, Le Point, N°2343, 3 août 2017, p.30.

[8]Pour aller plus loin, voir : « La Chine en Méditerranée : une présence émergente », Alice Ekman, IFRI-OCP, Notes de l’IFRI, février 2018, p.7.

[9]Cet article est publié avec l’aimable autorisation du Programme Régional Sud Méditerranée de la KAS. Tous les propos développés n’engagent que leur auteur, à savoir M. Mehdi Taje.

20/06/2018 | 15:40
14 min
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Commentaires (4)

Commenter

DHEJ
| 22-06-2018 06:15
Ah non toutes les guerres c'est pour détruire la Chine d'ailleurs de quelle Chine s'agit-il?


La Chine populaire ou la Chine de Taiwan?

Vivement la république de la République de Taïwan!


Et la Chine de Xi Jinping est est très instable...


Cest

Aeroform
| 21-06-2018 15:57
aucune role pr la tunisie chaqun pour soit pour soigner. le Soi du soin , n'oublier pas tous les guerres pr isoler la chine et la russie

DHEJ
| 21-06-2018 10:51
https://www.youtube.com/watch?v=wFP-htHmNBk


Et après la balade, NE PAS MENTIR NE REALISE PAS DES GRANDES CHOSES!


ET cette route de la soie c'est du pur mensonge!

DHEJ
| 20-06-2018 21:24
Dancing on the chinese wall...