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Tribunes
Le Prix du Silence
27/02/2012 | 1
min
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Par Neila Charchour Hachicha

« Fais peur au lion avant qu’il ne te fasse peur » disait Omar Ibn Al-Khattab. Il avait bien compris que le vrai lion serait le peuple s’il décide de rugir et de redresser sa tête majestueusement. Depuis, peur et terreur ont toujours été dans le monde musulman, l’arme des gouvernants pour mater les minorités et obtenir silence et soumission. C’est ainsi qu’ils imposèrent leurs volontés en tirant leur légitimité de la religion.
Le 14 janvier 2011 fut donc une extraordinaire révélation puisque dans un pays musulman, la peur avait changé de camp. Une petite frange du peuple, voulant enfin sa dignité et sa citoyenneté, a rugi comme un lion en exigeant le départ du dictateur qui s’est imposé à eux par la répression.
La peur étant une caractéristique humaine, on ne s’en débarrasse pas facilement. De la peur de la répression les Tunisiens ont été hantés par la peur de l’inconnu. N’ayant pas évolué dans la liberté de choisir mais plutôt dans l’intérêt d’obéir, ils ont été profondément déstabilisés.

Dans un tel moment de doute, quel meilleur message électoral que le label « Islam » et le discours culpabilisant de ceux qui se sont forgés sous la répression dans l’indifférence et le silence général. Le choix des Tunisiens à l’occasion de leur première élection libre devient donc compréhensible. 18% ont ouvertement voté pour le parti d’Allah, alors que par peur et par manque d’expérience politique, 50% se sont abstenus de voter contre celui-ci. Le reste fut éparpillé.
Face à cette faible légitimité et après des siècles de soumission au pouvoir, nous ne pouvons du jour au lendemain demander à un peuple d’exercer librement ses droits, de se comporter démocratiquement et de subitement accepter les multiples et profondes différences qui distinguent les uns des autres.
Or silence et soumission nous ont déjà coûté extrêmement cher en menant vers une révolution. Pouvons- nous aujourd’hui face à l’extrême fragilité de notre pays nous permettre le luxe de continuer de nous taire ?
Les Tunisiens étant dans leur écrasante majorité musulmans, qu’ils se proclament islamistes ou qu’ils se proclament laïcs, le secret de notre cohabitation en paix et en harmonie, sera le dialogue et rien d’autre que le dialogue. Celui-ci passe obligatoirement par la liberté d’expression, laquelle serait un leurre sans la liberté de croyance et la liberté d’opinion.
Si la peur d’exprimer nos croyances ou nos opinions réinstalle le silence de nouveau, nous régresserons d’une autocratie vers une théocratie et l’esclavage envers le pouvoir, au nom d’Allah. Nous aurons, de surcroît, trahi les objectifs de notre révolution.
Foi et démocratie sont et demeureront incompatibles tant que la liberté de croyance ne sera pas garantie par la loi en attendant qu’elle devienne ancrée et irréversible dans les esprits à travers la tolérance et le respect qu’exige de nous la pratique démocratique.
Si 50% des Tunisiens n’ont pas montré une volonté de voter, aujourd’hui il est impératif qu’ils trouvent le courage d’exercer leur devoir de s’exprimer. Nous ne pouvons accepter que 18% imposent « leurs croyances » au 82% des Tunisiens restants. Un statut d’élus ne les rend pas supérieurs à ceux-là mêmes qui les ont élus démocratiquement à travers un système dont ils souhaitent aujourd’hui détruire les fondements.

Pour être irréversible et facteur de croissance et de développement, notre démocratie doit impérativement tenir compte de quelques piliers majeurs que sont :
•la liberté de croyance et la liberté de l’expression
•la suprématie des lois civiles sur les lois religieuses
•l’indépendance totale de la justice

Aucune loi, surtout si elle est religieuse, ne peut être imposée par la force et la répression sans qu’elle ne finisse par être totalement rejetée. Si nous voulons protéger notre religion des intérêts politiciens, ne la soumettons surtout pas aux enchères politiciennes. Nous ne ferons que multiplier les divisions au sein de notre religion et de notre société. Qu’est-ce qui a fait la différence entre Chiîtes et Sunnites si ce n’étaient les intérêts politiciens ?
Aussi, aucune loi, qu’elle soit religieuse ou pas, ne saura être respectée si la justice est aux ordres du pouvoir et qu’elle sert d’instrument de répression. Seule une justice indépendante peut évoluer vers un Etat de droit apte à installer la confiance entre gouvernants et gouvernés.
En parlant de justice, j’en profite pour dénoncer la position du gouvernement provisoire, qui pour des raisons occultes, ne souhaite pas indisposer l’Arabie Saoudite en réclamant que soit remis à la justice tunisienne le dictateur en fuite.
Or il est grand temps d’enclencher un processus de justice transitionnelle qui ne saurait être crédible ni mener à une réconciliation si elle ne commence pas par la racine du mal ; en l’occurrence le dictateur en fuite qui n’a gouverné que par la peur et la terreur en transformant la citoyenneté en clientélisme et la confiance en corruption.
Nous rappelons enfin à nos chers concitoyens islamistes, au pouvoir temporairement, que s’ils ont gagné les élections, ils sont loin d’avoir été les lions de la révolution, et que nous, premiers Musulmans libres et libérés, ne sommes nullement enclins à accepter aucune nouvelle forme d’intimidation et encore moins de soumission. L’ère du silence étant terminée, nous sommes désormais tous condamnés à dialoguer.

*Neila Charchour Hachicha : Chef d’entreprise et militante AfekTounes
27/02/2012 | 1
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