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Chroniques
Le parasitage des municipales se prépare
05/02/2018 | 16:00
7 min

Demain, mardi 6 février 2018, coïncidera avec le 5ème anniversaire du décès du leader politique, militant des droits et brillant avocat Chokri Belaïd. Cinq ans qu’il est mort, cinq ans qu’on cherche ses assassins, cinq ans qu’on louvoie, cinq ans qu’on feint de ne pas voir.

Lors de sa campagne, Béji Caïd Essebsi a juré que ses assassins, ainsi que ceux du martyr Mohamed Brahmi mort le 25 juillet de la même année 2013, seront mis sous les verrous, si on l’élisait.

Lors de leur campagne, les militants de Nidaa Tounes ont juré la même chose. Les militants de Nidaa ont été élus, Béji Caïd Essebsi a été élu et ils se sont assis sur leurs promesses. Paix à ton âme Chokri, nous ne t’avons pas oublié, comme nous n’avons pas oublié les promesses non tenues de Béji Caïd Essebsi et de Nidaa. Eux, ils ont la mémoire courte, ils ont oublié leurs promesses, ils ont oublié leurs électeurs. Eux, ils ont oublié, mais nous, nous n’avons rien oublié, nous ne t’avons pas oublié et nous n’oublierons rien. Que ceux que nous avons élus soient ingrats, on saura nous en rappeler et le rappeler à leurs sympathisants aux prochaines élections. Ils ne vont pas s’éterniser là où ils sont. Toi, en revanche, tu seras martyr pour l’éternité. Tu seras éternellement dans nos cœurs et nous serons toujours là pour rappeler ton existence et la nôtre aux ingrats et aux amnésiques. Paix à ton âme Chokri !

 

Les élections municipales s’approchent et, au point où en sont les choses, il est vraisemblable que l’on va avoir un scénario semblable aux partielles tenues dernièrement en Allemagne.

En théorie, les municipales se déroulent autour de programmes clairs proposés par des candidats qui ont des idées pour améliorer la vie des administrés. Qu’est-ce qu’ils vont nous proposer pour en finir avec la pollution et les poubelles à ciel ouvert de nos rues, avec le stationnement et les constructions anarchiques, avec les panneaux de signalisation et de signalétique qui datent des années 60-70 du siècle dernier, des jardins publics qui n’existent pas, de la bureaucratie de l’administration municipale, de la corruption au sein de cette administration, etc.

En pratique, et alors que nous sommes en pleine période pré-électorale, aucun de nos politiques ne propose quelque chose de concret pour nous faire rêver de voir des villes dignes d’un pays civilisé du XXIème siècle. En cette période pré-électorale, ils se chamaillent encore sur qui va figurer sur les listes électorales. Pour s’y faire inscrire, on ne fait pas valoir son programme et ses idées, on fait valoir sa loyauté au grand chef, les cafés qu’on lui a payés et les sommes qu’on a dépensées pour le parti. Certains sont devenus ministres grâce à leurs larges contributions financières aux partis en 2011 et 2014, il en sera de même en 2018. Allonge un chèque à 4-5 chiffres et tu garantis ta place dans une liste électorale.

 

L’argent est le nerf de la guerre. Cela fait des années que nous appelons à rendre publics les états financiers des partis et l’identité de leurs contributeurs. Quatre ans après les dernières élections, les partis qui ont rendu publics leurs états financiers se comptent sur les doigts d’une main et la liste des contributeurs (et les sommes qu’ils ont allongées) demeure un véritable secret d’Etat.

Les partis qui ont triché en 2014 jouissent encore d’une totale impunité, n’ont pas encore rendu de comptes ni à la justice, ni au public et s’apprêtent à se représenter en 2018. A quoi servent les rapports de la Cour des comptes et de l’ISIE sur les fraudes électorales s’ils ne sont pas suivis de sanctions en bonne et due forme. La triche continuera en 2018, je vous le garantis et on voit déjà ses prémices.

 

Borhen Bsaïes, homme controversé de l’ancien régime traine une affaire en justice depuis 2011. Une affaire d’emploi fictif. Il a accompli un travail de propagande pour le régime de Ben Ali et il a été payé par la Sotetel au lieu d’être payé par l’ATCE, le ministère de la Communication ou la présidence de la République. Il avait affaire à l’Etat, au pouvoir et c’est cet Etat, ce pouvoir, qui a choisi de le payer à travers la Sotetel. Il a été jugé coupable, comme s’il pouvait dire et imposer à ce pouvoir dictatorial qu’il servait « payez-moi via l’ATCE, sinon je ne vais pas bosser ». Au-delà du fond de l’affaire et du personnage controversé de Borhen Bsaïes (qu’on peut aimer ou détester), il y a une question de timing qui jette la suspicion sur toute l’affaire. Pourquoi le condamne-t-on maintenant, en cette période pré-électorale, après tant d’années de silence et alors que l’intéressé vient d’être nommé coordinateur de son parti Nidaa pour les Municipales ?

L’emploi fictif avant la révolution était un sport national, pourquoi condamne-t-on Borhen Bsaïes et pas les autres ? L’emploi fictif après la révolution est demeuré sport national et il continue encore aujourd’hui. On peut citer plein d’exemples d’inféodés à la troïka et de valets des CPR-Ennahdha qui reçoivent aujourd’hui, en 2018, des salaires alors qu’ils ne bougent pas de chez eux. Pourquoi inquiète-t-on Borhen Bsaïes et pas les autres ? Si la justice a estimé que Borhen Bsaïes est coupable, c’est qu’il l’est, mais il n’y a pas que lui. Qu’on les condamne tous ou qu’on les lâche tous ! Mais quand on en condamne un, juste un, en pleine période pré-électorale, on sent inévitablement un malaise face à cette justice et cette démocratie. Ceux qui ont dénoncé l’utilisation de la justice pour poursuivre Yassine Ayari (aussi coupable que Borhen au vu de ses publications et déclarations infâmantes et abjectes) ont brillé par leur silence. Comme si la démocratie et la justice devaient être respectées pour Ayari et non pour Bsaïes. On éloigne ceux qui dérangent comme on l’a fait en 2011 en écartant les « azlem » et comme on a essayé de le faire en 2014 à travers la loi de l’exclusion. En 2018, bis repetita.

 

Les municipales sont des élections comme les autres et elles ne vont pas échapper à leur lot de manipulation dont les premiers acteurs sont indéniablement les médias. En 2014, les chaînes Nessma et Al Hiwar (ex Ettounsia) ont joué un rôle déterminant dans la victoire des gouvernants actuels. Le vent a tourné depuis et ils ne sont plus en odeur de sainteté avec ce pouvoir dont l’ingratitude le dispute à l’amnésie. Surprise, Nébil Karoui traine une affaire en justice et Sami Fehri n’y a pas encore échappé. On se tient tranquille hein ? Regardez ce qui se passe avec Borhen les gars !

 

Et puis il y a l’autre méthode qui a montré un grand succès en 2011 et en 2014 et qu’on s’apprête à répéter en 2018, celle du clivage. On ne change pas une équipe qui gagne, on ne change pas une méthode qui gagne. En 2011, on a eu droit à Persepolis, en 2014 on a eu droit à la menace islamisto-terroriste-tartouresque. C’est quoi le programme de 2018 ? Bis repetita, on reprend la question du repli identitaire et on vous la ressert à la sauce 2018.

Il faut juste trouver l’angle qui fâche, divise davantage la société et l’éloigne du sujet principal qu’est le programme des municipales. Deux sujets se préparent dans les coulisses.

Le premier est celui que nous concocte Bochra Belhadj Hmida et son équipe. Certains membres de sa commission des libertés individuelles et de l’égalité sont déjà controversés et sont connus, sur les réseaux, par leur langage châtié et leurs injures contre ceux qui ont des idées contraires aux leurs. Le choix même de la composition prête à équivoque, mais ce choix de Béji Caïd Essebsi n’est pas fortuit et va diviser les « amoureux » de Bochra. Tout comme les propositions qui vont émaner de cette commission qui seront super-controversées et vont coïncider pilepoil avec la campagne électorale. On va voir ce qu’on va voir comme polémiques dans la période à venir. L’enfant va avoir droit à porter le nom de sa mère, égalité dans l’héritage, concubinage, dépénalisation de l’homosexualité, annulation de la dot, tutorat... Chacun des sujets que nous proposera Bochra va susciter le débat, certains vont montrer un soutien indéfectible à Bochra (et je serai en première ligne) et d’autres vont lui dresser des échafauds. Pendant ce temps là, les municipales vont se dérouler loin de l’opinion qu’on occupera par des sujets importants, prioritaires et vitaux, certes, mais pas du tout d’actualité. Il faut bien s’occuper des libertés individuelles et pondre des lois révolutionnaires similaires aux mesures de Tahar Haddad et au CSP, on est bien d’accord, mais le timing choisi est loin d’être fortuit. En cette période préélectorale précise, il ressemblera davantage à une diversion qu’à une véritable volonté de réformer la société vers plus d’égalité, de droit et de justice.

 

Le deuxième sujet qui va diviser la société, celui déposé la semaine dernière, sous forme de proposition de loi, par un parti de l’opposition spécialisé en matière de zizanie, de régionalisme et de stigmatisation. La proposition de loi en question veut imposer la langue arabe dans l’administration (ce qui est déjà le cas), mais également dans les entreprises privées, les affichages publicitaires, les médias, l’enseignement de matières scientifiques… On veut interdire le bilinguisme dans la sphère publique et imposer aux Tunisiens un arabe littéraire que l’on ne parle nulle part. La langue française, parait-il est celle du colon et elle devrait être interdite d’existence graduellement. Si nos ancêtres avaient pondu une telle bêtise il y a quelques siècles, on n’aurait jamais parlé arabe, langue du colonisateur d’antan ! Mais peu importe la bêtise d’une telle proposition, elle va trouver un large écho dans la scène, de grands défenseurs parmi les panarabes et les islamistes. On les voyait déjà la semaine dernière crier au scandale face à deux pelés et trois tondus qui ont crié « vive la France » devant Macron, alors qu’ils brandissaient eux-mêmes les drapeaux turcs devant Erdogan il y a quelques semaines et criaient « vive la Turquie » l’année dernière après le putsch raté contre le dictateur ottoman.

Bientôt sur nos écrans, et en pleine période électorale des municipales, on va avoir droit à une guerre larvée entre les orphelins du colon français et autres larbins de l’occident face aux orphelins du colon ottoman et autres larbins de la nation arabe. On parlera de tout, sauf de l’essentiel. On se rappellera de tout, sauf des promesses non tenues de nos actuels gouvernants de Nidaa et d’Ennahdha. 

05/02/2018 | 16:00
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