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Chroniques
Le message des juges est reçu comme une lettre à la poste !
20/06/2016 | 15:59
7 min

« Il vaut mieux hasarder de sauver un coupable que de condamner un innocent », Voltaire. 


Si un jour vous vous baladez à Tozeur et que vous croisez le procureur du tribunal de Tozeur, son substitut, son coursier ou sa femme de ménage, passez vite votre chemin et évitez tout contact de quelque nature que ce soit avec l’une de ces personnes. C’est un conseil précieux que je vous donne après ce qui s’est passé la semaine dernière avec Ahmed Ben Othman, chef du bureau de poste de cette grande ville réputée être une des plus accueillantes du pays.

Ahmed Ben Othman est père de trois enfants dont l’un devait passer jeudi l’examen de la sixième année de base. Je dis devais, car le petit n’est pas allé à l’école le jour de son examen, déstabilisé par le mandat de dépôt infligé la veille à son père. Le petit considère que son père a subi une injustice et il n’est pas le seul. Les syndicats aussi pensent que Ahmed Ben Othman a subi une injustice, tout comme l’auteur de ces lignes, tout comme plusieurs autres journalistes et observateurs de la vie judiciaire tunisienne.

Mercredi dernier, ce chef de bureau reçoit un coursier missionné par le procureur de la République près du Tribunal de Tozeur pour récupérer le courrier dudit tribunal.

Faute de présentation d’une procuration spécifique, et conformément à la loi, le postier refuse de remettre le courrier, ce qui déclenche l’ire du procureur. Il le fait convoquer puis le fait traduire devant le juge cantonal qui émet immédiatement un mandat de dépôt.

Depuis mercredi, Ahmed Ben Othman se retrouve donc en prison parce qu’il a appliqué la loi en refusant de donner son courrier au coursier du procureur. Même Ben Ali n’a pas osé ça !

 

L’affaire est suffisamment grave pour qu’elle devienne une affaire publique. Elle le sera ! Une grève est déclenchée dès le lendemain dans tous les bureaux de poste.

A la chancellerie, on comprend très vite l’histoire et on tente de la résoudre rapidement en promettant la libération du postier le jour même. Une vaine tentative du ministre de la Justice, Omar Mansour, lui-même juge, pour sauver l’honneur et l’image de ses pairs face à ce qui est clairement perçu comme un abus de pouvoir caractérisé. Par la voix de leur Association des magistrats et l’Instance provisoire de l’ordre judiciaire, les juges se braquent et s’élèvent contre l’ingérence et les critiques. Ils parlent d’indépendance et de neutralité sans, à aucun moment, remettre en question la décision de leur collègue.

 

En clair, on nous demande de nous taire et de taire ce que nous percevons comme étant un abus de pouvoir. Leur message est reçu comme une lettre à la poste.

Le syndicaliste Sami Tahri résume l’abus de pouvoir en quelques lignes : « Qu’est-ce qui se serait passé si Ahmed Ben Othman avait refusé de livrer le courrier à un agent de l’Agriculture et non à celui d’un Tribunal ? On suppose que ce soit une erreur professionnelle de sa part, est-ce qu’une erreur de ce genre mérite la prison ? Que ce serait-il passé s’il n’y avait pas dans l’affaire un substitut du procureur ? »

Dans un cri de colère, et parce qu’il a été lui-même victime d’un abus judiciaire flagrant, notre confrère Zied El Héni ne mâche pas ses mots : « L’instance provisoire de l’ordre judiciaire vous a dit attention, si vous refusez les décisions de justice, c’est comme si vous aviez refusé le pouvoir de la loi. Mais cette instance a oublié qu’elle a été la première à piétiner les décisions de justice en refusant celles du Tribunal administratif. Au lieu de demander pardon au peuple et à l’agent de la Poste face à l’abus du procureur et du juge cantonal, en promettant des mesures disciplinaires, elle vous a dit fermez vos gueules ! Non, nous n’allons pas nous taire ! L’ère où le juge mettait les gens en prison selon son gré et sans rendre des comptes, est révolue. On ne va plus permettre son retour. Si vous voulez que vos juges mettent injustement en prison l’agent de la Poste, qui ne faisait qu’appliquer la loi, si vous voulez mettre en danger l’avenir scolaire de son fils, si vous voulez les couvrir sans que personne ne rouspète face à l’injustice, soi-disant que les magistrats sont indépendants, on vous dit : nous n’allons pas nous taire ! Libérez l’agent emprisonné injustement et jugez ceux parmi vous qui ont fauté à son encontre et à notre encontre ! Nous n’allons pas nous résigner ! ». Le message est on ne peut plus clair par celui qui a été jeté un week-end en prison par un magistrat juge et partie.

 

Est-ce que nous nous orientons vers la République despotique des juges ? Cela en a tout l’air. On avait beau espérer une réaction mesurée de la part des magistrats sensés, il n’en fut rien.

A commencer par les services du procureur de Tozeur lui-même. Le substitut de ce procureur et porte-parole du tribunal, Maher Bahri, est lui-même un personnage intrigant. D’après une page Facebook portant son nom (cliquer ici, la page vaut vraiment le détour), on constate des publications dignes d’un véritable daechien. Des photos avec des armes, les mêmes bannières noires de l’organisation terroriste, des publications dénigrant le président de la République… Peut-on lui faire confiance après son étalage de haine public, en supposant que cette page soit sienne ? Raoudha Karafi, présidente de l’Association tunisienne des magistrats, a été informée, les captures d’écran lui ont été envoyées, ainsi que le lien direct vers la page afin qu’elle puisse constater d’elle-même qu’il n’y a pas eu de montage frauduleux. Qu’a-t-elle fait ? Je l’ignore, mais la page en question a disparu ce lundi matin.

Ahmed Rahmouni, celui qu’on présente comme intègre, juste, bon, démocrate, pieux et tout le tralala, où est-il par rapport à cette affaire du postier ? Depuis le déclenchement de cette affaire, et d’après les publications de sa page Facebook, le président de l’Observatoire de l’indépendance de la Justice parle de la chaleur de la météo et multiplie les articles présentant le leader Habib Bourguiba comme raciste. En bref, il est aux abonnés absents.

 

Pour avoir fait personnellement face, le plus souvent, à des magistrats intègres et justes, je suis profondément convaincu que l’écrasante majorité des magistrats sont justes, consciencieux et refusent l’injustice. Mais il est malheureusement quelques magistrats qui n’ont pas la conscience professionnelle et la morale nécessaires pour exercer leurs fonctions. Ils salissent leurs collègues, leur profession et tout le corps judiciaire. Cette minorité est un véritable danger public, une véritable bombe atomique qui risque de tout faire exploser.  

Sans juges intègres, et dans n’importe quel pays, aucun journaliste ne peut exercer son travail, aucun investisseur ne viendrait risquer son argent, aucune démocratie n’est possible et aucune croissance viable n’est espérée. Sans justice, tout s’écroule, absolument tout !

 

A la nomination d’Omar Mansour à la tête du ministère, on a espéré naïvement, la guérison de notre justice malade. Cet ancien procureur et juge d’instruction a une excellente réputation d’homme d’Etat patriote. Il s’avère hélas que l’on cherche à le dépourvoir de toutes ses prérogatives pour le transformer en gestionnaire de bâtiments judiciaires et pénitentiaires.

Aujourd’hui, le ministre ne peut pas répondre et ne peut rien faire dans cette affaire du postier injustement emprisonné. Il n’a aucune idée sur les dossiers étouffés par différents procureurs dont le plus célèbre reste celui du candidat à la présidentielle financé par deux pays étrangers. L’opinion publique l’interroge et lui lève les bras comme pour dire, « vos lois révolutionnaires et vos instances dites indépendantes m’ont tout retiré. On m’empêche même d’exercer mon pouvoir légal sur les procureurs. »

Aujourd’hui, par le seul caprice d’un juge cantonal, un postier est mis en prison injustement. Demain, ça peut être un journaliste, un investisseur, un investisseur étranger, un étranger influent, un politicien, un opposant, un critique, un écrivain, un commerçant. Demain, ça peut être vous, votre père, votre fils et tout sain d’esprit dont l’apparat déplait au juge.

Comment parer à tout cela ? En théorie, c’est une instance indépendante qui doit jouer ce rôle, mais il est prouvé que cette instance, aux responsabilités diluées, ne saurait jamais être indépendante de son propre corporatisme et qu’il lui sera difficile de désavouer l’un de ses pairs face  un citoyen lambda.

 

20/06/2016 | 15:59
7 min
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Commentaires (48)

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kastalli cherif
| 17-01-2019 00:07
http://cherifkastalli.blogspot.com/2019/01/une-citoyennete-en-liberte-provisoire.html
il s'agit d'une opération d'abus de pouvoir lorsque Mr Moncef Somrani est entrain de garer sa voiture ,le discours fut un peu tendu avec Mm Soltani Sanna Substitut du procureur de la république au près du tribunal de première instance de Jendouba, qui elle aussi veut se garer et avec quelque mots machos proférés par Mr Somrani , Mm la Substitut ne lui a pas plu usant alors de son poste pour émettre un mandat d'amener tout en envoyant une brigade pour saisir sa voiture et la mettre au fourrière, des interventions par ci par là après dix jours la voiture fut récupérée mais

canalou
| 25-06-2016 18:04
aujourdhui nous sommes devant une realite amere et et nous constatons les degats causes par la sainte troika au pouvoir . on se pose la question ,qUI VA DEFENDRE LE SIMPLE CITOYEN face a l abus de pouvoir des nouveaux maitres hier victimes et aujourdhui bourreaux ? l affaire du postier a ete defendue par le puissant syndicat mais ne vous faites pas d illusions car d autres affaires existent et devront etre revelees au grand jour prochainement .C EST URGENT ,IL FAUT trouver une solution pour la protection du citoyen victime des juges et qui se cachent derriere leur immunite ou le appartenance politique.LES victimes sont menacees aujourdhui et ne peuvent rien faire. Quand les membres de l IVD elus pour defendre des victimes se conduisent comme des voyous et des magistrats se croient hors la loi , on ne peut plus faire confiance a la justice . Il y a un cas d agression PHYSIQUE contre un citoyen de la part d un membre de l IVD qui a une immunite .Il faut peut etre revoir les CV des membres de cette institution TRES DOUTEUSE

ROK
| 23-06-2016 10:09
Cela prouve qu'ils y a des responsable ayant le pouvoir étaient réprimés exercer leur pouvoir pendant le régime de Ben Ali et aujourd'hui ils se trouvent infiniment libres d'exerce ce pouvoir plutôt cet abus de pouvoir dans un pays qui se caractérise par l'anarchie totale et le non-respect de la loi et dans un système "Hout Yakel Hout we Klil ejehed yemout" '' ''" '' ''' ''' ''" ..Dommage pour notre Liberté et notre Tunisie!...

Banana republic
| 22-06-2016 02:06
En résumé voilà la situation de justice Tunisienne, on emprisonne le postier et on libère le belge

TAW TCHOUFOU
| 21-06-2016 18:42
Pendant que la situation est en train de " pourrir " , de causer des dégats collatéraux qui vont toucher le contribuable qui n'y est pour rien , et de ralentir l'activité économique de cette ville de Tozeur - grève annoncé du 27/06 -.... que fait le chef du gouvernement et surtout son ministre de la justice ?
Si le Garde des Sceaux - qui vient de constater qu'il ne fait que de la figuration - avait un peu plus de " fierté " , il claquerait la porte avec fracas et démissionnerait sur le champs !
Et pire.... que fait donc le premier Magistrat du pays , c'est-à-dire BCE , qui se prétend le digne héritier de Bourguiba ?
Bourguiba lui , réagissait sur le champs quand il entendait une injustice dénoncé , même à la radio !
Mais ça , c'était une autre époque , une époque où il y avait un état , du droit , et un état de droit !

chebou
| 21-06-2016 15:57
Si ni le président de la république ni le parlement, deux instances élues directement par le peuple, ne peuvent démettre un procureur pour une faute professionnelle grave (et c'est le cas) et ne peuvent le traduire devant la justice, il faut changer la loi. Aujourd'hui, il ne s'agit plus de libérer ce postier, mais bien plus. Il faut qu'un tel scénario ne se répète plus. Messieurs les députés et monsieur le président de la république doivent se mobiliser, il y va de l'existence de ce pays. En outre l'indépendance de la justice, ce slogan auquel ont recours certains pour couvrir même des actes de traitrise caractérisée, doit être bien défini et cadré. Être indépendant dans son travail signifie rejeter toute ingérence dans la prise de décision mais sans mettre en danger la sécurité du pays, son ordre public ou transgresser la loi. Quand on met injustement en danger l'ordre public ou quand on commet un acte de traitrise le juge doit rendre des comptes devant une juridiction supérieure présidée par le président de la république qui est le chef d'état major des armées et responsable de la sécurité du pays. D'autre part, il faut se pencher sur les condition de nomination de ce procureur et passer en revue tous les autres procureurs des autres gouvernorats et changer la procédure de nomination. En outre qui a proposé ce procureur? qui l'a nommé? Quel est son cv? quel est son passé, ses amis, son appartenance politique même s'il est supposé ne pas en avoir. La page face book du substitut de ce procureur et son porte parole est digne d'un responsable da3ichien. Le ministre, le chef du gouvernement, le parlement et le président de la république ne peuvent ne pas réagir, il y a vraiment danger. D'ailleurs où sont les partis politiques et la société civile? pourquoi ils n'ont pas fait circuler une pétition qui appelle à la destitution de ce substitut et à sa traduction devant la justice pour haute trahison. La révision des nominations des trois ou quatre dernières années s'impose.

DUS
| 21-06-2016 15:15
On peut bien comprendre que l'agent de la poste soit victime d'une injustice, mais je ne crois pas que cela puisse justifier la perte pour l'économie ( déjà en désastre) de dizaines de milliers de journées de travail( quand on connait le nombre des agents des PTT) en plus de la privation de centaines de milliers de malheureux citoyens ( qui sont souvent les plus humbles et les plus démunis durant la période critique du ramadan ) des services vitaux de la poste. Pourtant, il y avait plusieurs moyens plus civilisés et surtout plus pacifiques pour défendre les droits de l'agent de la poste.

Mansour Lahyani
| 21-06-2016 13:52
Oui, bien sûr, le ministre pourrait, sous certaines conditions, révoquer ce procureur... Mais ne vous faites pas trop d'illusions : nul ne s'aventurerait à le faire aujourd'hui ! Le ministre n'a même pas été capable de faire entendre au proc la voix de la raison : relâcher en liberté provisoire ce postier, devenu aux yeux du procureur plus dangereux que bien des terroristes ! D'ailleurs, Mme Karafi veille au grain, et est toujours prête à crier à l'atteinte au statut du magistrat!!

DHEJ
| 21-06-2016 13:06
Mais est-ce que le juge cantonal a le POUVOIR d'émettre un MANDAT DE DEPOT?!


la date qui lui est fixée, le juge passe outre et rend une décision réputée contradictoire.

Article 202. du code de procédure pénale

- Le juge peut retenir à sa disposition sous mandat de dépôt, le prévenu en état d'ivresse, ou ne pouvant justifier de son identité, ou n'ayant pas de domicile fixe, ou lorsque des désordres sont à craindre.

En aucun cas le prévenu n'est retenu plus de huit jours.



Ce texte est-il concordant avec la loi N°2016-5?



Il y a de quoi quand les islamistes ont qualifié MEHREZ BOUDEGGA de martyr!!!

Foula
| 21-06-2016 12:15
Une grève de 2 heures pour marquer la solidarité des postiers avec leur collègue aurait été suffisante, pas une grève ouverte qui pénalise des centaines de citoyens et les prive de leurs sous.