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Chroniques
Le gouvernement osera-t-il comme a osé la Banque centrale ?
14/06/2018 | 22:21
5 min

 

Par Houcine Ben Achour

 

Pour tous ceux qui sont rompus aux mécanismes de la politique monétaire, la décision prise par le Conseil de la Banque centrale de Tunisie (BCT) de relever de 100 points de base son taux directeur tombait sous le sens.

Les tensions inflationnistes constatées depuis la fin de l’année dernière ne se sont pas estompées en dépit d’un premier relèvement du taux directeur en mars 2018 de 75 point de base à 5,75% et l’élargissement du corridor de fluctuation de ce taux de +/- 1% au lieu et place de +/- 0,5%.

Les besoins de liquidité des banques n’ont pas fléchi pour autant. Bien au contraire. Il n’est qu’à observer l’évolution d’une part du volume des billets et monnaies en circulation (+15% en un an) et d’autre part du volume global de refinancement qui atteint un record historique d’un montant de près de 15 milliards de dinars contre seulement 9,6 milliards une année auparavant, pour s’en convaincre.

 

En tout cas, depuis l’arrivée de Marouane Abassi à la tête de l’institut d’émission, on ne semble plus avoir de scrupules pour resserrer la politique monétaire et contrer de la sorte toute anticipation inflationniste. « L’envolée des prix internationaux de l’énergie et de la plupart des produits de base, la remontée de l’inflation chez nos principaux partenaires, la hausse des salaires sans amélioration de la productivité, la persistance du déficit commercial à un niveau insoutenable et l’accélération  de la demande intérieure de consommation qui proviendrait du secteur touristique avec une saison qui s’annonce prometteuse, sont autant de facteurs qui contribueraient à propulser l’inflation vers des niveaux jamais atteints depuis près de trois décennies », explique l’autorité monétaire.

 

Manifestement, la BCT vient de signer la fin de la politique monétaire « accommodante » ayant cours depuis 2012. Mais pas seulement. Elle vient d’émettre une nouvelle circulaire qui révise les normes d’adéquation des fonds propres des banques et des établissements financiers. Ces normes qui concernent la solvabilité, la concentration et la division des risques devront être respectées d’ici la fin de l’année.  Et ce n’est pas tout puisque l’institut d’émission plaide pour une refonte de la stratégie de financement de l’économie visant à diversifier réellement les sources de financement de l’activité économique et qu’elle défend le principe d’autoriser les banques publiques, à l’instar des banques privées, à gérer au mieux l’épineux problème de leurs créances douteuses.

 

Cette nouvelle démarche de l’autorité monétaire qui fait d’ores et déjà grincer les dents, le récent communiqué de l’Utica, la centrale patronale historique, exprimant sa « forte déception » vis-à-vis du nouveau relèvement du taux directeur, n’en est que la première expression, ne devrait-elle pas aussi  être interprétée comme un petit appel du pied au gouvernement pour l’inciter à prendre résolument, sans état d’âme, la voie de la rigueur et pourquoi pas celle de l’austérité, pour redresser les finances publiques et remettre le pays au travail ? A tout le moins d’honorer les engagements du pays vis-à-vis de ses bailleurs de fonds ?

 

La publication, cette semaine, du rapport du Fonds monétaire international (FMI) relatif à la mission de consultation pour la Tunisie au titre de l’article IV des statuts du Fonds qui reprend avec plus de détail les conclusions de l’équipe du FMI dans le cadre de la 2e revue-programme donne à voir des retards et autre tergiversations dans l’exécution des mesures et réformes prévues par l’Accord conclu en 2016 avec le Fonds en contrepartie d’un octroi de crédit de 2,9 milliards de dollars réparti sur 4 ans. Le déblocage de la 3e tranche de ce crédit, à la fin du mois de mars 2018, fut extrêmement pénible à obtenir. Il a fallu que les autorités tunisiennes acceptent que les revues-programme s’effectuent à un rythme trimestriel alors qu’il était semestriel en contrepartie d’un rallongement du délai de réalisation des objectifs quantitatifs et d’accomplissement des repères structurels.

 

Ainsi, d’ici la fin du mois de juin, le gouvernement devra atteindre des objectifs bien définis. Exemples : le solde primaire du budget de l’Etat  ne devrait pas dépasser 1950 MD environ, les dépenses primaires du budget ne devraient pas aller au-delà de 11 400 MD, les dépenses sociales devraient plafonner à 1 milliard de dinars, un plancher de Réserves internationales nettes équivalent à 3 milliards de dollars, etc.

 

S’agissant des repères structurels, le gouvernement serait assigné, d’ici à la fin de ce mois, à ajuster une fois de plus les prix publics de l’énergie. Il devrait aussi adopter une stratégie claire de réforme du régime de retraite, de poursuivre la publication des décrets relatifs à la Haute instance de la bonne gouvernance, de parachever l’audit fonctionnel des ministères de l’Education, de la Santé, des Finances et de l’Equipement, de rendre l’Instance tunisienne de l’investissement totalement opérationnelle, de poursuivre le processus de libéralisation du marché de change et, cerise sur le gâteau, de trouver une solution définitive au problème de la BFT (Banque franco-tunisienne). Il convient de rappeler que toutes les mesures précitées auraient dû être réalisées déjà depuis l’année dernière comme d’autres d’ailleurs et que le FMI a consenti à renvoyer le délai de réalisation à la fin de l’année 2018. Il s’agit entre autre de la mise en place de l’identifiant social unique, de la signature d’un contrat de performance avec Tunisair  en attendant l’élaboration de contrat similaire avec d’autres grosses entreprises publiques. Il s’agit aussi de rendre opérationnel la Direction des Grandes entreprises au sein de l’administration fiscale ou encore d’adopter le projet loi organique du budget.

 

Autant dire que le gouvernement a bien du pain sur la planche. En tout cas, cela place le débat sur la nécessité ou pas d’un changement de gouvernement ou de Chef de gouvernement sur une autre perspective, au sein de laquelle l’Accord de Carthage 2 qui n’a aucun sens, ni aucune place, mais où en revanche il s’agit de savoir si ce gouvernement est disposé à accomplir ce que les gouvernements précédents n’ont pas osé faire. D’abord ce package de mesures, forcément douloureuses, d’ici la fin de l’année et  ensuite une autre batterie de mesures l’année prochaine.

 

Le Chef du gouvernement, Youssef Chahed, osera-t-il comme a osé le nouveau gouverneur de la Banque centrale, Marouane Abassi ?

14/06/2018 | 22:21
5 min
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Commentaires (6)

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Abdel2.
| 19-06-2018 13:28
Depuis1956, la Tunisie a bénéficié des financements de la France, de l'Europe, des '?tats-Unis, de l'ONU, des pays du golfe. . . Qu'en a-t-elle fait? Ces financements, qui auraient largement suffit au développement, ont fini en grande partie en Suisse et en dépenses sécuritaires improductives pour réprimer la population locale. En économie les erreurs se payent, et elles se payent très chères, comme nous pouvons le voir aujourd'hui.
Le taux de change a toujours été l'indicateur le plus fiable de la réelle santé économique de la Tunisie. Basé sur la loi de l'offre et la demande, son évolution renseigne sur la qualité des politiques menées. Son interprétation est sans appel.
Augmenter le taux directeur pour inverser la courbe du dinar et juguler l'inflation est un jeu dangereux. Si la croissance anticipée n'est pas, ou n'est que partiellement, au rendez-vous, ce serait alors interprété comme une erreur de politique monétaire par les acteurs financiers et pourrait contribuer à une récession, dernière chose dont aurait besoin le pays actuellement.
La Tunisie aurait plutôt besoin d'un petit plan Marshall, 'petit'?' car, hélas ou heureusement, c'est un petit pays. Mais les pourvoyeurs de fonds internationaux se montrent réticents, à mon sens à juste titre, à accorder, encore, de vastes financements sans garantie qu'ils ne finiront pas, pour la énième fois, dans les poches de quelques crapules sans réels résultats sur le terrain.
La Tunisie devrait donc restaurer son image sur les places financières internationales et se refaire un nom de confiance. Souhaitons bonne chance à la démocratie et à la lutte contre la corruption, sans oublier qu'un escalier se balaie en commençant par le haut.

Yacine Zaier
| 16-06-2018 22:55
Si Houcine , votre soutien à la BCT m ettone , je pense qu il est plus judicieux de parler de l importation de la majorité de la hausse de l inflation suite a la politique monétaire désastreuse de divaluation ( et non dépréciation ) du dinar , D ailleurs j appele à la demission du conseil et du gouverneur pour incompétence .

abouali
| 16-06-2018 11:05
Quoiqu'en en dise, la crise actuelle chez nous est avant tout économique et monétaire, et ceci a été brillamment décrit par l'auteur. Les échéances qui pointent pour le respect de nos engagements et celles du remboursement d'une dette de plus en plus colossale, rendent les revendications, mesquines et ridicules, (surtout celles d'une centrale syndicale obtuse et ignorante des vrais enjeux et des conséquences de son entêtement), d'un changement de gouvernement, parfaitement inopportunes et inadaptées à la réalité de la problématique actuelle. On a l'impression que certains (dont clairement N. Tabboubi et son entourage) poussent à un suicide collectif dont le pays sortira encore plus exsangue, davantage englué dans la bauge de l'endettement, et totalement soumis aux diktats de ses créanciers. Quel avenir pour les générations futures prépare-t-on avec ce jeu ridicule auquel se livre toute la classe politique sans exception, et qui bloque toute velléité réformatrice, avec des résultats nécessairement à moyen et à long terme, ou toute initiative de meilleure gestion et de rationalisation de l'action des pouvoirs publics ? Quand tous ceux qui se sont arrogé le droit de parler en notre nom guériront-ils enfin de leur cécité ? Personnellement, je n'ai plus guère d'espoir à ce sujet !

DHEJ
| 15-06-2018 21:03
Le gouvernement c'est déjà le pouvoir exécutif et celui dit judiciaire

C'est deux pouvoirs ont autorité sur la puissance publique...

Or le GAMIN a évincé le brave flic Lotfi BRAHEM qui avait l'intention de manipuler la matraque.


Oui seul la MATRAQUE peut faire travail l'indigene tunisien mais ton Gouvernement n'osera jamais.

khaloucha
| 15-06-2018 18:22
Une grande partie du peuple tunisien connait une détérioration sans précédent de son pouvoir d achat et ce monsieur appèle le gouvernement à pratiquer une politique d austérité ;en un mot je dis quelle honte!!!

Dr. Jamel Tazarki
| 15-06-2018 06:18
J'apprécie vos articles:
-merci pour vos efforts de consolider vos dires avec des données empiriques!
-merci pour vos intelligentes analyses! Oui, vous élevez le niveau des discussions sur Business News!

@Si Nizar: les articles de Si Houcine méritent vraiment d'être à la une de votre journal!

Très Cordialement

Jamel Tazarki