Laurel et Hardy font de la politique
Par Nizar Bahloul
On est à un an des prochaines élections, et à quelques jours des débats parlementaires relatifs à la Loi de finances 2019. Aucun homme politique n’a exposé sa vision pour cette loi de finances, ils sont tous occupés par les élections de 2019. Sous d’autres cieux, on aurait dit que ceci n’empêche pas cela, on pourrait bien s’occuper des élections « de dans un an » en exposant son programme politique et économique, culturel et social à l’occasion, justement, de cette loi de finances. Chez nous, les plus intelligents de la terre, nos futures élections se préparent à coups de peaux de bananes. On préfère frapper l’autre pour le casser plutôt que de se mettre en valeur et exposer ses solutions.
Ça dure comme ça depuis des mois et on ne s’en lasse pas. Chaque semaine réserve son lot de (mauvaises) surprises qui montre que la politique dans ce pays est menée par des bons à rien, limités, bornés, têtus, égoïstes. Nous n’avons que des hommes politiques qui pensent aux prochaines élections, point d’hommes d’Etat qui pensent aux prochaines générations.
Le premier est un fils à papa, autoproclamé patron d’un parti politique fondé par son père. Il le gère comme on gérerait une entreprise familiale où l’on préfère mettre aux postes clés les proches et les amis plutôt que des compétences.
Le second est le rejeton d’on ne sait qui, qui a créé un parti comme on créerait une entreprise unipersonnelle afin d’en faire une société-écran.
Au départ, les deux gosses gâtés, Hafedh Caïd Essebsi et Slim Riahi de leurs noms, voulaient juste jouer dans la cour des grands en profitant du fait que tout le monde avait le regard braqué ailleurs. Ils se sont menti à eux-mêmes et ils ont fini par croire en leur mensonge. Ils se prennent sérieusement pour des hommes politiques capables de jouer une partie d’échecs où tous les coups seraient permis.
Il se trouve que la table d’échecs est le parlement tunisien et que les pièces sont des députés. Des députés qui ont, derrière eux, des milliers d’électeurs et, en théorie, des idées et des valeurs.
Les derniers coups annoncés font ressortir que les deux gosses ont décidé de jouer ensemble plutôt que de jouer l’un contre l’autre. Plus on est de fous, plus on s’amuse.
L’objectif de cette union est d’abattre le joueur d’en face qui ne cesse de marquer des points, à savoir le chef du gouvernement Youssef Chahed à qui l’on prête des prétentions électorales.
Quel est l’enjeu réel ? C’est quoi le coup d’après ? Qui pour remplacer Youssef Chahed pour les 12 mois à venir nous séparant des élections ? Quel est son programme pour ces 12 mois ? Mystère ! Écartons Youssef d’abord, on verra ensuite. Les deux gosses de la politique n’ont même pas encore remarqué que Youssef a déjà atteint son objectif de rester jusqu’à la fin de l’année après avoir déposé la loi de finances 2019. Ces Laurel et Hardy de la politique n’ont même pas remarqué que Youssef a déjà gagné et que toutes leurs élucubrations actuelles les desservent eux et leur image et non Youssef.
Dans cette partie d’échecs, on considère donc que les députés de l’UPL et de Nidaa sont une marchandise qu’on achète et qu’on vend. Qu’en pensent les intéressés ? Que pensent les députés de l’UPL qui étaient, hier, dans un bloc attribué à Youssef Chahed et le lendemain au camp adverse sans même qu’ils soient consultés ?
Comment Wafa Makhlouf ou Selma Elloumi peuvent-elles se regarder dans un miroir et se présenter comme appartenant à un parti dont le secrétaire général s’appelle Slim Riahi ? Ça ne les gênerait pas de savoir que leur « patron » traine de graves suspicions judiciaires, que ses avoirs sont gelés et que l’on ne sait rien absolument rien des origines de sa fortune ? Les choses n’étaient pas beaucoup meilleures avec Hafedh, certes, mais Hafedh a au moins le privilège d’avoir un nom et un accès direct quotidien au président de la République. Mais quid de Slim Riahi ?
Se rendent-elles compte, ainsi que ce qui reste des autres députés de Nidaa que leur parti est disloqué et devenu une risée ? Ne leur suffit-il pas les clowneries de Hafedh et les démentis réguliers essuyés par Ridha ?
La démocratie à la tunisienne fait que l’on ne s’embarrasse pas du tout de ces éléments. Un chef de parti peut être devant la porte de la prison, cela ne le gène point de poursuivre sa carrière politique contre vents et marées. Le sentiment de « shame » (la honte) qui prévaut dans les pays d’Europe du Nord et d’Amérique n’existe pas chez nous. Sous ces cieux, et pour beaucoup moins que ça, les « députés-marchandises » de l’UPL et leur chef auraient totalement disparu de la scène publique.
Pendant ce temps-là, le véritable ennemi commun et le véritable danger contre le pays, que sont les islamistes, avancent tranquillement leurs pions pour avaler démocratiquement et définitivement le pays.