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Tribunes
La lutte contre la déscolarisation est la mère de toutes les batailles !
14/09/2016 | 09:43
7 min
La lutte contre la déscolarisation est la mère de toutes les batailles !

 Par Nabil Ben Azouz*

Un jour, Bourguiba dit à Gueddafi : « Pourquoi achetez-vous tant d’armes au lieu de créer des écoles ? » Gueddafi, étonné et courroucé, lui répond : « C’est pour éviter qu’ils ne se révoltent contre moi ». La réponse de ce grand-petit homme n’a pas tardé à fuser : « Il vaut mieux que vous ayez un peuple éduqué et cultivé qui se révolte contre vous, qu’un peuple non éduqué et inculte ». On sait tous ce qu’il est advenu de Gueddafi. Torturé, violé même, et liquidé par ses propres concitoyens. Quelle fin de règne ! Qui a dit que la culture et l’éducation ne sont pas le meilleur moyen pour lutter contre l’ignorance, l’inculture, la délinquance et le terrorisme ?

 

Si notre Révolution se déroule tant bien que mal et plus ou moins pacifiquement par rapport à la Libye, l’Egypte, le Yémen et surtout la Syrie, c’est bien grâce à cette lame de fond qui est toujours là (éducation, école publique, libération de la femme…), et cela, malgré les graves reculades vécues depuis le temps de la Troïka et son attaque en règle contre tout ce qui fait notre fierté.

 

Remarques préliminaires et parlons simplement. Loin de nous l’idée de posséder la vérité, de faire un tour complet de cette sensible question, ou d’être négatif et uniquement critique vis-à-vis du premier chargé de cette question. Le ministre de l’Education, Néji Jalloul est d’abord, et pour que ce soit clair, un ami, un ancien collègue, mais avant tout, un battant, un militant, un homme tenace qui agit, qui réalise des choses, au verbe haut et à la plume tenace. Une chose que l’on ne peut pas nier, c’est que les Tunisiens le lui rendent bien. Sauf que nous ne sommes pas de la même famille politique. Et pour que ce soit également limpide pour tous, certes je m’intéresse à la politique car tout est politique, mais jamais je ne ferai de politique… surtout la politicienne !

 

Néji Jalloul est conscient de tout ce que je vais dire, et même plus. Sauf que le temps presse et le temps chez nous est une notion dilatée, et on sent que ce temps commence a priori, à lui échapper, embourbé qu’il est dans les luttes partisanes. D’ailleurs, on constate qu’il commence à gaffer et surtout à être critiqué, parfois violemment, par ceux-là même qui l’ont élevé, il n’y a pas si longtemps que ça, aux cieux et en ont même fait leur star. Ce qu’ils lui reprochent aujourd’hui, c’est d’avoir entre autres supprimé les vacances de décembre. Je ne vais pas jusqu’à vous dire, monsieur le ministre, comme certains aigris et de très mauvaises langues, que c’est votre clin d’œil aux islamistes pour avoir leur bénédiction, vu que ces vacances tombent le jour de l’an et de noël, comme vous l’avez si méchamment insinué, mais je pense que ce changement va nuire au tourisme local et à notre ouverture sur le monde, car ces familles qui t’aiment tant, ont pris l’habitude de prendre leurs vacances durant cette période. A mon explication, mon fils m’aurait sûrement dit : « Lol » !   

 

Alors quel état des lieux (en flashs, sachant que chaque point mériterait à lui seul plusieurs analyses) pouvons-nous faire de cette problématique ?

 

- Les chiffres parlent de presque cent mille élèves qui quittent l’école chaque année. C’est énorme et inquiétant. Où vont finir tous ces jeunes, ces Tunisiens de demain ? Dans l’oisiveté du chômage, la délinquance, l’émigration clandestine et mourir bêtement en pleine méditerranée, la violence et surtout devenir une proie facile à manipuler par les terroristes. Plusieurs jeunes Tunisiens et Tunisiennes vont noyer leurs échecs en Syrie, en Lybie, en France et même ici. Dans leur propre pays. Quel désespoir !

 

- De plus en plus d’élèves quittent l’école publique pour l’école privée (on parle pour cette année d’une augmentation de 25% d’élèves dans le privé). Pourquoi ? Cela prouve que l’école publique, l’école de la justice et de l’égalité, n’attire plus et donc qu’elle a un grave problème à résoudre.

 

-Le niveau culturel et linguistique de nos élèves est de plus en plus catastrophique. Ils sont incultes (j’exagère un peu exprès la chose, quoi que !) et en français, et en arabe ! Que dire de leur intérêt de plus en plus faible pour les sciences humaines, essentielles pour le savoir, la réflexion et le développement de l’esprit critique ? Monsieur le ministre, la première des réformes à faire, c’est de revoir les coefficients. J’étais estomaqué d’apprendre par des amis enseignants que ces coefficients qui privilégient les sciences exactes au dépens des sciences humaines, étaient pratiqués dès l’entrée des élèves au collège ! Dans les démocraties, les coefficients sont les mêmes pour toutes les disciplines. Les élèves n’ont pas à choisir et à privilégier des matières par rapport à d’autres et cela jusqu’à deux ans avant le bac, c'est-à-dire à partir de l’année de leur orientation définitive. Ce qui est plus logique. Le sport forme autant le citoyen de demain que les mathématiques. Idem pour toutes les autres disciplines jugées mineures par rapport à la physique-chimie ou aux SVT ! N’est-ce pas aussi le meilleur moyen pour lutter efficacement contre les cours particuliers et le diktat des professeurs des sciences exactes ?

   

Quelles sont les causes principales de cette déscolarisation ?

 

- La cause incontestable de la déscolarisation est  la pauvreté. Surtout dans les zones rurales. L'enseignement est selon notre Constitution obligatoire et gratuit, mais cela demande quand même des fournitures scolaires, des habits neufs, des ordinateurs, des transports... Hélas, beaucoup de familles n'ont pas les moyens financiers pour faire face à ces dépenses. Personnellement, j’étais témoin de certains cas où les élèves et leurs familles, n'ont même pas de quoi acheter le timbre fiscal pour passer les concours. Cela sans parler de l’école qui se trouve parfois à plusieurs kilomètres du lieu de résidence de l’élève avec en plus des routes non asphaltées, boueuses, isolées et dangereuses !

 

- Parlons justement de ces écoles délabrées, moches, sans âmes, sans Histoire et livrées à tous les vents et toutes les pluies ! Comment voulez-vous dans ce cas, que l’élève aime l’école, se l’accapare et s’y sente chez lui ? On sait, monsieur le ministre, ce que vous faites pour y remédier. Mais, encore un effort camarade.

 

- Les mentalités ont changé. L'émancipation sociale n'est plus liée au degré de l'enseignement. Les enfants savent aujourd'hui que l'éducation ne mène pas à la vie confortable à laquelle ils aspirent. L’école ne joue plus son rôle d’ascenseur social. Les feuilletons, la starisation, le football… sont devenus, hélas, le rêve indépassable de tous les jeunes.

 

-Les horizons fermés de l'enseignement. Quand les élèves voient le nombre de chômeurs qui ont des diplômes universitaires, il y a de quoi les désespérer et leur faire détester l'école !

 

-L'échec scolaire. Certains élèves refont l'année plusieurs fois et finissent par abandonner. Il faut rapidement trouver une solution à ce fléau destructeur.

 

- Les filles des zones rurales sont les plus touchées par ce phénomène de déscolarisation. Cela s'explique par la mentalité archaïque qui pense que la place de la femme est au foyer pour aider aux tâches ménagères ou pour travailler dans les champs.

 

- On a de plus en plus l’impression (vu la politisation à outrance de ce secteur), que l’élève n’est plus au centre de l’éducation. On se chamaille et chacun y va de ses calculs bassement politiques. Et dans ce brouhaha, on ferme les écoles professionnelles et les centres de formation pour les filières courtes.

 

- On doit également définitivement saisir que les élèves (et là il faut parler de la pression négative des parents qui doit changer) ne vont pas tous devenir médecins, pilotes ou avocats (rêves légitimes des parents). Certains élèves, et on doit le comprendre, l’accepter et y trouver des solutions, ne peuvent pas et surtout, ne veulent pas d’un enseignement long. Ils sont plus manuels et veulent rapidement acquérir un métier et accéder au plus vite au marché du travail. Mais que leur a-t-on préparé ?

 

-Peut-on parler de « déscolarisation » des élèves sans parler, et excusez ce néologisme, de « déprofesseurisation ».  Je ne vais pas m’étaler sur cette question que vous connaissez tous. Mais, le rapide constat qu’on peut faire, c’est que le professeur doit autant se remettre lui-même en question (sa méthode de travail, sa formation continue, ses rapports avec les élèves…), que retrouver également et impérativement sa place centrale dans le système éducatif.  

 

 

Le prince des poètes arabes, Ahmed Chawki n’a-t-il pas magnifiquement dit : «9oum lilmou3allimi waffihi at-tabjila, kada al mou3allimou an yakouna rassoula » (Lève-toi par respect au maître et fais-lui honneur. Le maître a bien failli être un véritable prophète). Nous en sommes hélas, loin !

 

 

*Militant indépendant

14/09/2016 | 09:43
7 min
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Commentaires (10)

Commenter

nazou
| 14-09-2016 21:39
Qu'il s'agissait de kadhafi ?
C'était pas plutôt au roi du Maroc, que Bourguiba avait fait cette remarque sur la culture ?!


Si on commence à balancer des contre vérités !
La suite risque d'être très friable, comme analyse !

zohra
| 14-09-2016 17:47
Salut ami A4

Très jolie quelle nostalgie. Exactement ça notre époque le temps des plumes, une pour écrire en français et pour écrire en arabe ya harsa. kan elkhir

A4
| 14-09-2016 17:00
PORTE-PLUMES
Ecrit par A4 - Tunis, le 05 Septembre 2014

C'était le temps des porte-plumes
Et des bagarres à la récré
C'était les vagues et les écumes
A basse et à haute marée

C'était jour de rentrée scolaire
Nouveaux habits, chaussures pimpantes
Regards livides sans un repère
Visages grincheux et dents manquantes

C'était cahiers et cartables
Calcul mental de bon matin
C'était des tifs incoiffables
Et des tabliers cousus main

C'était dictée, récitation
Puis dessin et beau coloriage
C'était points d'interrogation
Pointés en bas de chaque page

C'était le temps des règles plates
Des taches d'encre et des buvards
Vieilles photos sur papier mat
Sur fond d'une mer en blanc et noir

C'était la course dans la cour
Et des fins de journées à-plat
C'était raccourcis et détours
Et bouts de pains au chocolat

C'était le temps des "tous debout"
Des "au tableau !", des doigts levés
C'était le temps des beaux yeux doux
Et des projets inachevés

C'était le temps des feuilles blanches
Et des zéros parfois pointés
C'était l'attente du Dimanche
Pouvant durer l'éternité

C'était des notes, des classements
Des joies et regards de travers
C'était cris et chuchotements
Maman soucieuse et père sévère

C'était très loin, tout ça s'en va
Ça revient m'éblouir par moment
Je vois à peine un vieux canevas
Au fond d'un miroir déformant '

Allez savoir pour quelle raison
Malgré l'oubli, malgré la brume
Ça me revient comme une chanson
"C'était le temps des porte-plumes" !

Andreson rahmany
| 14-09-2016 16:09
quand nos intellectuels vont sortir des tabous et parler de la culture de travail ,d'entreprendre et de réussite . c'est la clé de toutes les solutions
Avons nous une culture de trvail?

Moez
| 14-09-2016 14:57
Mais arrêtez de rapporter tous les maux du pays à la pauvreté, enfin !
Dans les années 60 et 70, nous étions plus pauvres encore, et pourtant, nous étions mieux lotis sur pas mal de problématiques actuelles.
L'article occulte, le traitement de choc qu'avaient subis le hinterland et les banlieues des villes, par les campagnes
, dopés aux pétrodollars, de mise en doute des idéaux de progrès et d'émancipation par le savoir, pour une perversion moyenâgeuse, venue d'outre désert.

Lario
| 14-09-2016 14:47
La TUNISIE compte dans les environs de 700 000 chomeurs dont 300 000 diplomés de l'enseignement supérieur, QUE FAIRE? au lieu de fermer les écoles professionnelles et les centres de formation, mr le ministre de la formation en collaboration avec le ministére de l'éducation est censé de multiplier ces établissements à chaque ville et à chaque village et proposer à chaque jeune chomeur une occasion et un choix pour une formation, un stage de recyclage, ou une reconversion,car il n'y a pas de plus dangereux qu'un jeune qui s'habitue à méner une vie oisive, l'ETAT DOIT LUI PROCURER IMPERATIVEMENT UN STATUT SOCIAL , méme selon un agenda prévisionnel bien étudié, et aussi encourager et aider par tous les moyens ceux qui perfectionnent un métier à lancer une petite entreprise et les suivre pour sa bonne gestion et à sa réussite

Léon
| 14-09-2016 14:01
Bonjour Nabil;
Votre titre arrive à point nommé. Un titre qui nous projète une soixantaine d'années en arrière; au moment de la décolonisation de l'administration tunisienne.
En effet, avec la merdolution que je n'ai jamais appuyée (et je vous l'avais même dit de vive voix mais vous ne pouvez deviner qui je suis), on en est à des sujets et thèmes coloniaux. Ce n'est pas étonnant puisque c'est bien le cas. Un peu comme ce qui s'est passé lorsque Notre Bey Patriote, Sidi El Moncef avait été transporté de force vers sa terre d'exil sous les applaudissements des gueux de jadis; dont la progéniture a applaudi de toutes leurs mains le départ du Grand Président Patriote, Le second et dernier président de la Tunisie indépendante, le Président Ben Ali.
Alors luttez contre la misère, luttez contre l'obscurantisme, luttez contre l'analphabétisme, luttez contre la déscolarisation, luttez contre les poux, le choléra, la gale.....bref, tous ces thèmes de la Tunisie colonisée et que les esprits bien pensants avaient appuyé cette colonisation de tout leur coeur.
La Tunisie est un vrai chantier. Personne ne peut en venir à bout, sinon les Patriotes. Las vrais.

Léon, Min Joundi Tounis Al Awfiya;
Résistant Souverainiste.

VERSET 112 de la SOURATE des ABEILLES.

Tadhamen
| 14-09-2016 13:29
Comme quoi, effectivement, ce qui se conçoit bien s'énonce clairement.
On ne peut qu'approuver cette revue de détail qui afflige nombre de citoyens, fort conscients que l'effondrement de l'éducation est une catastrophe qui se paiera au prix fort, comme ils sont conscients également que le ministre gagnerait en crédibilité et efficacité à ne pas céder aux chants des sirènes politiciennes qui ne portent bonheur à personne. Ces sirènes, que voulez-vous, sont programmées pour vous faire échouer à tout prix, quelle que soit l'espèce du navire sur lequel vous naviguez... On gagne sans aucun doute à s'en tenir soigneusement à l'écart et à garder son cap, surtout si on a l'ambition de tenir fermement le gouvernail de l'avenir de la société.

Shut up
| 14-09-2016 11:43
Voici l'équation :

L'ignorance mène à la peur..
La peur mène à la haine..
Et la haine engendre la violence..

Monday
| 14-09-2016 11:03
Bonne fete d'abord,

Article "ma 3andi fih ma nkoul", avec analyse etc, mais...trop sérieux, j'ai aimé plutôt le style des derniers articles: analyser, critiquer, mais dans un style qui m'arrache le sourire. j'aime mieux ca, car, malheureusement on est arrivé à un point ou n'a plus ni l'envie ni le c'ur pour rire.

Revenez à l'ancien style, on ne se lassera jamais de vous lire, laissez les choses sérieuses aux gens trop sérieux, on aime et on veut l'autre style de chroniquer "dhamer", intelligent et sympathique, qui fait passer les messages dans l'allégresse, et dans le style "léfhim mén ghamza..."
Merci.