alexametrics
jeudi 25 avril 2024
Heure de Tunis : 03:07
A la Une
La justice en otage entre Raoudha Karafi et Amor Mansour
21/07/2016 | 15:59
8 min
La justice en otage entre Raoudha Karafi et Amor Mansour

Un juge d’instruction controversé est promu procureur de la République du Tribunal de première instance de Tunis. De quoi déclencher une grosse polémique sur cette nomination révélatrice de la tension et le bras de fer opposant le ministre de la Justice Amor Mansour et la chancellerie d’un côté, et une partie des magistrats syndiqués dans l’ATM que préside Raoudha Karafi, de l’autre.

 

Encore une nouvelle goutte dans le vase déjà bien rempli de la magistrature tunisienne. Cette dernière est assez grosse et, pourtant, elle passe quasiment inaperçue pour le moment. Comme à l’époque de Ben Ali, les nominations délicates se font discrètement en été, au moment où tout le monde se prélasse sur les plages. Celle du juge d’instruction Béchir Akremi à la tête du parquet de Tunis 1 entre dans cette catégorie. Quand les Tunisois vont rentrer de vacances, ils vont trouver un procureur des plus controversés, celui qui était juge du 13ème bureau, chargé des affaires de l’assassinat du martyr Chokri Belaïd, mais aussi l’affaire de l’attentat du Bardo et celle de l’attaque terroriste de Ben Guerdène.

Si la nomination de Béchir Akremi est controversée et pose une sérieuse interrogation sur l’Etat de droit et l’indépendance réelle de la Justice post-révolution, c’est parce que le personnage fait l’objet de différentes suspicions depuis un bon bout de temps.

Une série de plaintes ont, en effet, été déposées contre lui dont une pour assassinat et complicité dans un assassinat par le comité de défense de Chokri BelaïdUne accusation qui peut mener jusqu’à la peine capitale. S’il est évident que l’accusé demeure innocent jusqu’à son jugement, il n’en demeure pas moins que l’accusé occupe ici un des plus hauts rangs de l’Etat et que l’accusation est des plus graves. Ce n’est pas un poste de conseiller à Carthage ni d’un délit de presse dont il s’agit.

 

Sur les réseaux sociaux, un début de polémique a enflé, mais il a été orienté contre Omar Mansour, ministre de la Justice, théoriquement supérieur hiérarchique du procureur de la République. Cette orientation des accusations infâmantes contre le ministre est mue par l’ignorance des accusateurs parmi les citoyens ordinaires et par de la pure manipulation politique à dessein par les parties politiques (Partis et ONG).

Depuis l’entrée en application de la loi organique n° 2013-13 du 2 mai 2013, relative à la création d'une instance provisoire pour la supervision de la justice judiciaire, ce n’est plus le ministre qui nomme les procureurs. Il a beau être leur supérieur, il n’a aucun droit de regard sur leur nomination.

Et au nom de l’indépendance de la justice et de la séparation des pouvoirs, le ministre de la Justice n’a aucun droit de regard sur leur travail. En clair, le ministre de la Tunisie post-révolution apparait comme une marionnette, simple gestionnaire des bâtiments de tribunaux, d’établissements pénitentiaires et de prisons.

Selon l’article 2 de cette loi-organique, c’est l'instance qui statue sur la carrière professionnelle des magistrats concernant leur nomination, promotion, mutation et discipline.

Selon l’article 5, elle est composée de cinq magistrats nommés en raison de leur qualité, de dix magistrats élus et de cinq membres n'ayant pas la qualité de magistrat. La marge de manœuvre du ministre est donc très restreinte pour influencer les décisions de cette instance dite indépendante. Or quand on parle de restriction de marge du ministre, ce n’est pas le ministre qu’on vise, mais l’Etat ! Sous la troïka, on a cherché et on a réussi, à retirer à l’Etat tout pouvoir sur la machine judiciaire. Si cela nous préserve, théoriquement, de la dictature du pouvoir en place au cas où il lui viendrait à l’idée d’influer sur le cours d’une affaire judiciaire (et le risque est bien réel), elle place le justiciable sous l’influence de la dictature des juges et de leur corporatisme. Le meilleur exemple est le scandale du postier de Tozeur mis sous les verrous pendant une semaine par le simple caprice d’un substitut du procureur et d’un juge d’instruction. Un différend mineur entre le substitut et le postier s’est transformé en abus de pouvoir et en une grève générale des bureaux de poste du pays ! L’Etat (par le biais de son ministre de la Justice) n’avait alors rien pu faire, puisqu’on lui a retiré toute latitude d’intervention sur le parquet en dépit de sa position hiérarchique très théorique. En pratique, le ministre ne peut pas décrocher son téléphone pour demander au procureur de faire ceci ou cela. C’est une bonne chose dans une démocratie qui se respecte ? Oui, mais à condition que les juges ne soient pas solidaires entre eux, ne privilégient pas leur corporatisme au détriment de la Justice et de l’égalité et, surtout, n’obéissent pas à des lobbys et orientations politiques de certaines idéologies. CQFD, car on est loin d’être là !

 

Dans cette affaire de nomination de Bechir Akremi, le principal lobby représentant les magistrats et qui a probablement pesé de tout son poids dans cette dernière nomination, est l’association tunisienne des magistrats que dirige Raoudha Karafi. Juste ensuite, le très controversé Ahmed Rahmouni qui dirige l’Observatoire tunisien de l’indépendance de la Justice. On ne sait absolument rien sur le financement de cet observatoire et on a beau vouloir croire à son indépendance, on n’y arrive pas. Ahmed Rahmouni est toujours présent pour donner son avis favorable dans certaines affaires où sont impliqués islamistes, révolutionnaires et terroristes (au point que le ministre de l’Education Néji Jelloul l’a publiquement accusé d’être l’avocat des terroristes) et souvent absent quand l’affaire touche un membre de l’ancien régime subissant une injustice flagrante ou quand cela touche la gauche ou les laïcs. Pire, ce même Rahmouni aux comptes opaques défendait jusqu’il y a deux jours ce même Akremi.

Le comportement de Raoudha Karafi, pour sa part, est nettement plus équilibré. Il n’en demeure pas moins que cette dame de fer est très corporatiste et donne l’impression d’être une « anti-Etat » farouche. Son comportement lors du scandale de l’affaire du procureur de Tozeur en témoigne. Bien qu’elle ait été informée de l’historique fort suspect du substitut de ce tribunal, Mme Karafi a joué la discrétion totale.  La Justice ? Elle attendra !

Et c’est donc un secret de Polichinelle que de dire qu’elle a probablement bien pesé, et de tout son poids, dans la nomination de Béchir Akremi. Elle était d’ailleurs bien dans les coulisses de l’ANC lors du vote de cette fameuse loi organique de 2013 qui dépossède l’Etat de tout pouvoir.

Réputé mesuré dans ses propos et ses jugements, le journaliste spécialisé Mongi Khadraoui n’a pas caché son amertume du comportement de Raoudha Karafi dont il est pourtant proche. « Le soutien du bureau de Mme Karafi au juge du 13ème bureau contre la vérité et contre Chokri Belaïd lui collera éternellement à la peau. Nous n’oublierons pas ! », a déclaré le journaliste dans un post publié ce matin sur sa page Facebook.

 

Du côté de l’opposition idéologiquement proche du couple Rahmouni-Karafi, on se mure dans le silence et on se frotte les mains. A la tête de ce lobby politico-corporatiste, naturellement, Moncef Marzouki d’Irada et ses moutons suiveurs. Pendant longtemps, ils râlaient contre la nomination de Noureddine Ben Ticha comme conseiller à Carthage, sous prétexte qu’une plainte en justice est déposée (par eux-mêmes et pour un délit jugé fallacieux par plusieurs observateurs politiques et médiatiques) contre lui. Les mêmes se murent dans un silence complet et complice après cette nomination controversée.

Marzouki a beau crier sur tous les toits qu’il est un farouche défenseur des droits de l’Homme et de la Justice, son beau discours s’arrête net quand ce sont ses « amis » qui violent ces principes. Pourquoi ne s’érige-t-il pas contre ce vrai scandale ? Après avoir entamé dès son entrée à Carthage en 2011 un process pour casser toute la machine de l’Etat, qu’il considère comme étant « le système mafieux de la contre-révolution », Marzouki continue à agir dans les coulisses via les lobbys. Au mieux, comme maintenant, il se mure dans un silence complice.

Depuis 24 heures et l’annonce de cette nomination, son camp rit aux anges en tout cas. Parmi eux, on retrouve notamment des avocats réputés pour leur proximité des milieux salafistes et autoproclamés révolutionnaires et l’avocat personnel de l’ancien président qui applaudit fortement.

Quant au pouvoir en place, il est occupé par des questions de politique politicienne et de calculs de court terme. Ses priorités, déloger Habib Essid, devenir premier à l’Assemblée et nommer X, Y et Z à tel ou tel portefeuille. Pourtant, la lumière sur l’affaire de Belaïd et Brahmi, était une promesse de campagne de Nidaa et Béji Caïd Essebsi. Non seulement, ils ne pouvaient théoriquement rien faire puisque le dossier est entre les mains d’un juge controversé, mais voilà que la situation a empiré, en raison de leur négligence totale du dossier le plus important qui soit qu’est la Justice !

 

Du coup, le ministre de la Justice se trouve seul face aux lobbys judiciaires qui l'ont engagé dans un bras de fer depuis sa nomination. Sans soutien politique, Omar Mansour encaisse les coups tout seul et porte le chapeau de scandales dont il n’est en aucun cas responsable. Il représente en théorie l’Etat et toute son autorité, mais il est dénué de tout pouvoir.

Il devait être le garde des sceaux, mais la loi 2013 créée par les députés de l’ANC et des lobbys corporatistes bien déterminés, l’opposition calculatrice et revancharde et l’absence flagrante de tout appui de Carthage et de la Kasbah, font que Amor Mansour ne soit que le garde de son ombre. Jusqu’à quand résistera-t-il à ce bras de fer ? En attendant, c’est la justice qui en pâtit !

 

Nizar Bahloul

21/07/2016 | 15:59
8 min
Suivez-nous

Commentaires (29)

Commenter

LADJNEF
| 23-07-2016 13:20
@BEN
Les pseudo-révolutionnaires avaient décrié, au lendemain du 14/01/2011, le système de répartition des pouvoirs entre exécutif et pouvoir judiciaire, et appelaient, par naïveté politique, pour certains théoriciens du droit, et par méconnaissance des contraintes de l'exercice du pouvoir politique, pour bien d'autres, à ce que le pouvoir exécutif cède certaines de ses prérogatives au profit du pouvoir judiciaire allant jusqu'à appeler à ce que :
-l'action publique n'appartienne plus à l'État et soit laissée entre les mains des magistrats du parquet, qui n'obéiraient plus au pouvoir hiérarchique du ministre de la justice, et par suite au pouvoir politique seul à même d'arrêter et de mettre en 'uvre, par le biais de ce corps hiérarchisé, qu'est le parquet, la politique du gouvernement en matière judiciaire, dans toutes ses acceptions économique, commerciale, civile et notamment pénale,
-l'inspection du ministère de la justice, avec pour conséquences que le déclenchement de l'action disciplinaire contre les magistrats soit, désormais, de l'apanage d'un conseil supérieur de la magistrature, composé uniquement de magistrats, sans aucun garde-fou, faisant que le justiciable Tunisien, serait-il ELCHAHID CHOKRI BELAID, ne pourrait prétendre à ce qu'on le protège contre toute forme d'abus commis par des juges qui seraient enclin à se donner raison les uns les autres, les loups ne se mangeant pas , par définition, entre eux.
Résultat de cet état de fait, les magistrats étaient, depuis le 14/01/2011, et les fameuses listes de magistrats démis, indument, de leurs fonctions, sous la coupe de l'AMT qui n'a eu de cesse d'exercer, tout autant que l'observatoire des "interférences dans les affaires de justice", avec à sa tête Rahmouni et ses acolytes, toutes les pressions possibles et imaginables sur les magistrats de l'ordre judiciaire, de l'ordre administratif et du tribunal militaire chaque fois des décisions de justice avaient donné gain de cause à des cadres sécuritaires, à des ministres ou à des hauts cadres de l'État de l'ancien régime, dotés de la qualité de citoyen Tunisien et de justiciable dont le droit à un procès équitable serait semble-t-il sans intérêt pour ces corporations.
L'instance provisoire qui crie aujourd'hui au scandale, composé de magistrats sans expérience de la chose publique et sans conscience des enjeux de cette bataille, n'ont pas levé le petit doigt pour rappeler les magistrats, transformés en politiques, à l'ordre, ne leur avait intimé de respecter l'obligation de réserve à laquelle ils sont soumis et n'a pas 'uvré à la consécration du principe de neutralité des magistrats, notion plus large que celle de l'indépendance, sans laquelle cette indépendance serait transformée en dictature ou plutôt en corps hors la loi.
Le mal de la justice réside dans ses propres enfants, et spécialement dans des magistrats, de en plus, politisés qui avaient laissé, de côté, leur mission première, à savoir celle de dire le droit entre les justiciables, dans les affaires dont ils sont en charge, pour se consacrer à la politique.
Entre la dictature des juges et celle de l'État, j'estime, au vu des graves dysfonctionnements de la justice, depuis la révolution, que celle de l'État est bien moins grave pour les citoyens et praticiens du droit que celle des magistrats qui sont loin d'être les meilleurs hommes à nous gouverner.

Ben
| 23-07-2016 11:41
Le ministre de la justice actuel semble oublier, chaque fois que ça l'arrange, ses prérogatives.
En vieux de la vielle, calculateur et prévalant ses propres intérêts à ceux du pays, il ne semble pas prêt à entrer en conflit avec quiconque notamment les associations et syndicat des magistrats.
Monsieur le ministre oublie souvent qu'il est le chef du parquet et fait signer, par son directeur général des services judiciaires, une note rappelant les magistrats à l'ordre, quant à leurs relations avec les organisations non gouvernementales, note aussitôt balayée par un communiqué musclé du président de l'instance provisoire de la justice.
On assiste à une véritable mascarade où les pouvoirs des juges est bien supérieur à celui des politiques, pourtant, mandatés par le peuple pour nous gouverner.
Remettre les magistrats dans le rôle qui est le leur, en légiférant de nouveau, est la première des mesures urgentes à prendre pour le rééquilibrage des pouvoirs.
Sans cela, on va tout droit vers la destruction de toutes les structures de L'État.

Tunisienne
| 22-07-2016 20:03
Que de pertinence en si peu de mots !

Bravo !

Mouwaten1
| 22-07-2016 19:50
l Art d accompagner un crime d état jusqu a son enterrement.

Citoyen_H
| 22-07-2016 19:37

Et particulièrement le don inné du pillage et de l'escroquerie, avec un grand P et un grand E.
C'est l'hôpital qui se moquait de la charité.
Salutations.

Tunisienne
| 22-07-2016 19:15
versus Démocrature à l'Erdogan...


Fatalité des peuples comme le nôtre ?

Pluton ou Hercule
| 22-07-2016 16:16
L'injustice de Ben Ali et la justice nahdhaouite sont semblables malgré ça Sonia Ben Toumia voit autre chose à méditer le gonflé @Jupiter.
Le lien c'est : https://www.youtube.com/watch?v=jDDXCW-YwYY&feature=youtu.be

Tounsi
| 22-07-2016 12:37
Jupiter , tes semblables ont gouverné le pays trois ans durant . Quand on mixe l'ignorance à la mauvaise fois la haine et la rancoeur on comprend bien ce qui nous arrive !!
Et puis je te conseille d'engager quelqu'un pour te lire avant publication........"" cherchent .........commencent à les croire ...."""

Jupiter
| 22-07-2016 09:19
Comme d'habitude BN et ces moutons cherche le sensationnel ils créent des histoires dans leurs petites cervelles et commence a la croire.

Nahor
| 22-07-2016 06:43
Qui ne l'a pas encore compris?

Corruption et mainmise dans la magistrature, infiltration de l'apparat sécuritaire et de l'Armée, plan de déstabilisation économique avancée, asphyxie totale de l'administration, multiplication des cellules radicalisées, propagande tout azimut sur Internet pour le califat et l'Etat islamique, dont Rached Ghannouchi a même enjambé à l'avance l'idéologie en parlant de "lutte contre le premier taghout", en février 2014 et donc avant les exploits terroristes en Irak de Daësh (qui a repris en suite ce langage de "taghout", surprise? ), en référence à son entrée dans le khomeinisme révolutionnaire en 1981 contre l'Etat de droit de Bourguiba!

LA CONFRÉRIE est à l'assaut! Il veulent le POUVOIR TOTAL, à tout le coût et par tous les moyens! Ils veulent établir des républiques islamique et des ETATS ISLAMIQUES, dont Daësh est une simple étiquette de leur invention!!

Le faux putsch en Turquie en est le signal le plus évident, et puis ce sera la Tunisie à tomber dans leurs manigances subversives!

PEUPLE TUNISIEN réveille-toi!