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La femme entre ses acquis inconstitutionnels et ses droits bafoués
12/08/2016 | 19:59
7 min
La femme entre ses acquis inconstitutionnels et ses droits bafoués

 

Le code du statut personnel fête cette année son soixantième anniversaire. Après de multiples avantages obtenus sous Bourguiba, quelques acquis sous Ben Ali, zéro avancée sous Marzouki et un seul et unique droit sous Béji Caïd Essebsi, la femme tunisienne continue encore à ramer contre une société patriarcale et rétrograde pour décrocher encore quelques droits et privilèges, sans pour autant chercher l’égalité… Avantageux pour la femme par certains textes, désavantageux par d’autres, 60 ans après sa promulgation, le CSP n’accorde toujours pas l’égalité à tous ses citoyens. Revue des injustices légales de ce qui était considéré à un moment comme le texte le plus moderne du monde arabe…

 

En théorie, la Constitution tunisienne consacre, dès son préambule, l’égalité en droits et en devoirs entre les citoyens et les citoyennes.

En pratique, la loi tunisienne continue encore à considérer la femme comme une citoyenne différente de l’homme avec un certain nombre de textes discriminatoires (positivement parfois, négativement dans d’autres cas).

Concrètement, la société tunisienne est encore à des années-lumière de ce que prévoit la constitution et continue à freiner des quatre fers toute avancée législative en faveur des femmes. Il suffit de se rappeler la dernière polémique en date après la proposition de loi formulée par Mehdi Ben Gharbia pour consacrer l’égalité de l’héritage entre hommes et femmes, puisque cette dernière est considérée comme la moitié d’une personne (article 93 du CSP).

Illico presto, le député est devenu la cible des attaques d’un pan de la société qui voit en cette proposition une insulte à l’islam, lequel dit tout et son contraire en la matière. Le député a beau crier sur tous les toits qu’il ne cherche qu’à faire conformer les lois existantes à la nouvelle constitution tunisienne, rien n’y fait (voir notre article à ce sujet). 

 

Cette question de l’inégalité de l’héritage n’est pas la seule discrimination légale en défaveur de la  femme tunisienne. Cette dernière demeure toujours interdite de se marier avec l’homme qu’elle choisit, contrairement à son concitoyen homme. C’est ainsi le cas pour les mariages avec des étrangers de nationalité autre que celles des pays musulmans. Dès lors que le futur époux désirant se marier à une Tunisienne est français, belge ou espagnol, on exige d’abord qu’il passe devant le mufti de la République pour proclamer son islam. La séance solennelle de proclamation s’accompagne par la présentation d’un tas de paperasse dont le casier judiciaire du « nouveau musulman ». L’avocate et grande militante féministe, Bochra Bel Hadj Hmida, fait observer que les textes de loi n’interdisent pas ce type de mariages mixtes, mais c’est au niveau des mairies qu’on exige ce type de document. Pour éviter les tracasseries bureaucratiques, et par amour, les futurs époux d’origine judéo-chrétienne jouent le jeu en feignant de devenir musulmans. Dans les faits, nul ne peut vraiment entrer dans les âmes des gens pour examiner leur foi.

Toujours en rapport avec le mariage, la femme tunisienne est considérée par ce même CSP prétendu très moderne, comme étant une marchandise, pour ne pas dire esclave… Ainsi, lors de la conclusion de l’acte de mariage, l’époux se doit de payer une dot (en argent ou en bien licite évaluable en argent, selon l’article 12 du CSP). S’il ne s’acquitte pas de cette dot, le mari ne peut contraindre son épouse à la consommation du mariage (article 13).

 

Toutes ces dispositions négativement discriminatoires envers les femmes n’excluent pas que le même législateur a promulgué un certain nombre d’autres textes discriminatoires négativement envers les hommes. En clair, le législateur discrimine les deux genres, ce qui ne peut plus coller avec la constitution de 2014. Surtout, ces textes ne collent plus avec la réalité sociale du pays.

Ainsi, et lors de la conclusion du mariage, on exige du mari de subvenir aux besoins de son foyer et de son épouse. L’article 38 du CSP stipule que « Le mari doit des aliments à la femme après la consommation du mariage et durant le délai de viduité en cas de divorce ». Et si la femme assure elle-même sa propre subsistance de ses propres deniers, elle peut exercer un recours contre lui (art 41) et cette créance alimentaire est imprescriptible (art 42).

Dans les faits, dans la société tunisienne actuelle, homme et femmes subviennent conjointement à leurs besoins, ceux du foyer et ceux des enfants.

La question ne se pose pas quand tout va bien et que le couple est heureux, mais en cas de séparation, la question devient essentielle et prend tout son sens. La discrimination à l’état pur s’assimile d’un coup à une injustice flagrante subie par l’homme, prononcée par des juges qui se basent sur les textes de loi existants, bien qu’ils soient devenus anticonstitutionnels.

Ainsi, en cas de séparation à l’amiable d’un couple de parents, le législateur prévoit que les enfants gardent le même train de vie que par le passé. Or ce train de vie ne pouvait être assuré que par les revenus du couple et non par celui du père seulement. Le juge balaie d’un trait l’argument en rappelant que la femme n’a pas à subvenir aux besoins de son foyer et de ses enfants. C’est au père de payer la pension alimentaire, calculée de telle sorte que les enfants maintiennent leur train de vie antécédent, même si ses revenus ne le lui permettent pas et même si son ex épouse soit très riche ou dans une situation plus confortable que la sienne.

 

L’hypocrisie est telle que des prétendues féministes pures et dures mettent leur féminisme dans la poche quand il s’agit de dénoncer cette discrimination positive en leur faveur et oublient, d’un coup, toutes les notions égalitaires. Tout retard de paiement de la pension par le mari s’accompagne systématiquement par un recours en référé qui aboutit, en quelques heures, à l’emprisonnement du père jusqu’au paiement de la dette. Ceci n’est pas contestable, puisque le père se doit de subvenir aux besoins de sa progéniture, mais le drame se ressent quand il est dans le besoin ou dans l’incapacité réelle de pouvoir payer, alors qu’il sait pertinemment que son ex et ses enfants ne le sont pas et peuvent se passer royalement de cette pension, puisque leur train de vie initial était assuré, en partie, par les revenus de la maman.

La même Bochra Bel Hadj Hmida, dans un précédent entretien à Business News, acquiesce à demi-mot l’injustice et déclare « quand nous obtiendrons nos droits, nous pourrons parler de ça plus tard ! ».

L’inégalité et les discriminations ne s’arrêtent pas à l’héritage, au mariage et au divorce et se poursuivent à l’après-divorce. Généralement, et dans l’intérêt de l’enfant dit-on, la garde est octroyée à la mère. La chose se fait quasiment d’une manière systématique parce que, croit-on, que la mère est plus apte à aimer et élever ses enfants que le père. CQFD.

Désirant refaire sa vie et « débarrassé » de la garde des enfants, le père en question peut se marier une nouvelle fois, contrairement à la maman qui ne peut pas se marier de nouveau sans prendre le risque de voir son ex époux engager un recours pour obtenir la garde des enfants et, par ricochet, la priver de pension. 

 

En inadéquation totale avec la Constitution et anachronique avec la réalité de la société tunisienne actuelle, le CSP devient vieux, à à peine soixante d’ans d’âge. Il est surtout injuste aussi bien envers les femmes que les hommes.

 

Dès son arrivée au palais de Carthage, Béji Caïd Essebsi a commencé par lever une injustice en autorisant désormais la femme tunisienne à voyager avec ses enfants, sans l’autorisation paternelle. C’était surtout une réponse politique à la peur qui a frappé la société avec l’arrivée en 2011 des islamistes au pouvoir. On a fortement craint un retour en arrière concernant les droits acquis des femmes, surtout que ce sont les voilées d’Ennahdha qui, les premières, refusaient l’égalité et les textes (trop libéraux) du CSP.

Nonobstant le texte relatif à l’égalité de l’héritage proposé par Mehdi Ben Gharbia, et la petite « réformette » opérée par BCE, la réforme totale du CSP n’est toujours pas à l’ordre du jour. Les différentes discriminations n’intéressent ni les élus, ni le gouvernement, tant elles sont polémiques et s’arrêtent à quelques débats de société dans des milieux élitistes et féministes.

Quant aux  discriminations négatives frappant les hommes, elles sont carrément exclues des débats. Les féministes jouent carrément à l’intimidation en considérant cela comme un chantage, de la part de la gent masculine, pour clore le sujet les empêcher d’obtenir leurs droits. Comme si les inégalités en faveur des femmes sont les seules qui existent et qui soient dignes d’intérêt.

 

Raouf Ben Hédi

Crédit photo : www.lexpress.fr 

 

12/08/2016 | 19:59
7 min
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Commentaires (2)

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DHEJ
| 13-08-2016 19:57
Quelle égalité pour un nouveau contrat pour les habitants de BAGHLA-LIHA?

Mansour Lahyani
| 13-08-2016 10:29
Votre stylo a certainement fourché : vous ne pouvez pas avoir voulu sciemment dire que la Tunisienne jouisse d'une situation inconstitutionnelle !!! C'est probablement la recherche d'un titre-choc, naturellement toujours excessif et, pour autant, condamnable ! C'est égal, elle aurait bien mérité une affirmation plus positive, ou moins ambiguë...