alexametrics
jeudi 28 mars 2024
Heure de Tunis : 15:27
Chroniques
La corruption des juges
24/08/2015 | 15:59
7 min

A l’actualité cette semaine en Tunisie, trois scandales dans le système judiciaire, ou quatre. Cela fait longtemps que l’on n’en est plus à un scandale près par semaine.

 

Le premier de ces scandales est l’année de prison ferme prononcée au Tribunal de première instance de Tunis contre le policier-usurpateur de l’identité du député Mabrouk Hrizi. L’affaire a créé un véritable tollé dans le pays et les accusations allaient dans tous les sens. On attendait impatiemment le procès pour en savoir davantage sur cette grave affaire, mais voilà qu’on nous surprend (car nous étions vraiment surpris) par un verdict prononcé en pleines vacances estivales. L’usurpateur a fini par être condamné tout seul. Et vu qu’il n’y aura vraisemblablement pas appel, on ne saura pas qui est derrière lui, ni ce qu’il en est des témoignages obtenus à l’époque. A titre de rappel, un membre des syndicats de police avait déclaré que l’usurpateur a été filmé par les caméras de surveillance entrant à l’ARP dans la voiture de Imed Daïmi, SG du CPR. Ce que ce dernier a farouchement et maintes fois démenti.
Face aux déclarations contradictoires, et dans l’impossibilité d’accéder aux dossiers de l’instruction, les médias attendaient le procès pour se fixer. Nous déchanterons, vu que tout a quasiment été organisé en catimini. Cherche-t-on à protéger quelqu’un ?

 

Deuxième scandale, le rapport de la Cour des comptes relatif à l’élection présidentielle. Le rapport dévoile au public une série d’abus, plus ou moins graves, commis par des candidats. Les juges rédacteurs de ce rapport mettent noir sur blanc les noms et les lâchent en pâture devant l’opinion publique. Ces mêmes juges, et au détour d’un paragraphe, évoquent le plus grave des abus (assimilable à la haute trahison) et taisent les parties responsables de cet abus. Il s’agit de ce candidat qui a bénéficié d’un financement d’une association qui lui est proche, laquelle association a bénéficié d’un financement de deux pays étrangers. Non seulement la Cour des comptes tait les noms des responsables, mais elle oppose un argument abracadabrantesque pour justifier son silence. Ils nous disent, dans un premier temps, que l’objectif du paragraphe est d’attirer l’attention sur les dangers des vases communicants entre les associations et les partis politiques. Puis, ils affirment qu’il n’y a qu’une suspicion de financement d’une association à un candidat et non de fait avéré. Le paragraphe en question ne souffre pourtant d’aucune ambigüité, il n’est nullement mentionné de conditionnel et on cite des faits établis.

Dans cette histoire, il est impératif de remettre les choses dans leur contexte et de jeter toute la lumière sur les faits. Si les leçons et les analyses des juges de la Cour des comptes sont les bienvenues, il faut que cette même cour relate d’abord les faits. Tous les faits. Elle ne peut pas donner des noms dans une partie du rapport et les taire dans d’autres parties. Elle ne peut pas dire que tel fait est plus grave que l’autre, ce n’est pas son rôle. Elle ne peut pas laisser des candidats accusés par l’opinion publique, sans les dédouaner (bien que ces derniers méritent un peu ce qui leur arrive puisqu’ils n’ont pas publié eux-mêmes leurs propres comptes pour prouver leur intégrité). En bref, et c’est ce qu’on demande depuis des années, elle se doit d’être au dessus de la mêlée et totalement transparente pour que la Justice soit gagnante. Dans cette affaire, et au-delà de la suspicion de haute trahison qui frappe l’un des candidats à la présidentielle, la justice (représentée par la Cour des comptes) ne sort pas du tout gagnante. Ni grandie.

 

Le scandale le plus grave de la semaine, à mon sens, est cependant celui qui frappe le Conseil du marché financier. Le CMF est une autorité publique, indépendante, qui dispose de la personnalité civile et de l'autonomie financière et est chargé de veiller à la protection de l'épargne investie en valeurs mobilières. Ce conseil, est composé d’un président et de neuf membres dont un juge de troisième degré, un conseiller au tribunal administratif et un conseiller à la Cour des comptes.
Pour le commun des mortels, il s’apparente à la fois à un véritable pouvoir législatif, exécutif et judiciaire. C’est dire la puissance du CMF.
Quant au scandale, il s’agit de l’affaire Syphax à qui le CMF a imposé la semaine dernière une OPR.
Tout simplement ! Mais comment en est-on arrivés là ? Chut, il ne faut pas en parler ! La transparence ? C’est quoi la transparence ? Tout au long de sa courte et petite existence, le CMF a multiplié les fautes dans ce dossier. Il a accepté l’introduction en bourse d’une entreprise encore naissante, violant par là la réglementation en vigueur. Il a accepté que l’entreprise ne respecte pas son business plan et son cahier des charges, sans demander des comptes. Il a accepté que l’entreprise ne publie pas ses états trimestriels, sans sévir.
Ce CMF a joué, deux ans durant, la politique de « deux poids deux mesures » en exigeant d’une bonne soixante de sociétés cotées ce qu’il n’a pas exigé de Syphax. Et à la fin de tout cela, il se suffit d’une simple OPR ? Allons donc !
Dans cette affaire, et c’est pour cela que je dis que c’est la plus grave, c’est tout le système boursier qui est menacé. Il s’agit d’une faute caractérisée opérée en toute transparence devant tout le monde, sans qu’elle ne soit sujette à sanction. Non pas contre Mohamed Frikha, PDG de Syphax, qui pêche par ignorance et inexpérience, mais contre ce même CMF qui a autorisé la faute d’abord et fermé les yeux après. Quel investisseur peut, dès lors, miser sur la Tunisie, son marché et ses entreprises ? Si l’autorité censée appliquer la loi et veiller à sa bonne marche est elle-même sujette à caution ?

 

Dans une déclaration donnée la semaine dernière à Mosaïque FM, Raoudha Laâbidi présidente du Syndicat des magistrats tunisiens, a avoué que la « suspicion de corruption pèse sur tout le pays et non seulement dans le secteur de la justice ». De cet aveu, j’ai tiré le titre de la présente chronique, qui tomberait, sinon, sous le coup de la loi.
En tant que représentante des magistrats, Mme Laâbidi sait parfaitement que sa corporation n’est pas différente des autres dans le pays et qu’elle renferme, elle aussi, son lot de corrompus.


Je suis persuadé et convaincu que les juges de la Cour des comptes, du TPI ou ceux du CMF qui ont fait l’actualité de la semaine ne sont pas corrompus. Sauf que voilà, la corruption n’est pas uniquement matérielle, elle peut être également intellectuelle ou politique.


Je vais citer deux cas de juges que l’opinion publique estime et considère comme étant de véritables intègres, Kalthoum Kennou et Ahmed Rahmouni. La première a été candidate à la présidentielle et le second préside une association. La première a été épinglée par la CC et on ne sait absolument rien des finances de l’organisation du second. Les deux se prononcent régulièrement sur des choses publiques et n’hésitent pas à donner leurs opinions politiques sur divers sujets et diverses personnes. Mais ils agissent à la tête du client et quand il y a des dossiers réellement explosifs qui touchent leur corporation, ils deviennent silencieux.


Dès lors, comment peut-on faire confiance à ces deux magistrats s’ils ont à traiter des dossiers où certains de leurs adversaires politiques sont partie prenante ? Ne peut-on pas assimiler leur positionnement politique, quel qu’il soit, à une forme de corruption ?
Le silence de l’opinion publique et du paysage politique par rapport à ces deux cas a fait que les autres magistrats se permettent certaines « libertés » dans les dossiers qu’ils ont à traiter et ce pour différentes considérations.


Mais aussi nobles soient ces considérations, elles ne doivent en aucun cas se substituer à la justice. Quelles que soient ces considérations, la justice se doit d’être aveugle devant tout le monde. Ce n’est qu’avec une justice qui applique strictement la loi que l’on peut établir une véritable démocratie et que l’on peut avoir, ensuite, de la sécurité, de l’investissement et de la croissance.
Ce qui s’est passé cette semaine à la CC et au CMF ne va pas du tout dans cette direction et ne reflète pas la justice d’un pays démocratique. En dépit des apparences, les conséquences des actes de la CC et du CMF sont, à mes yeux, pires que l’attentat de Sousse et tous les attentats réunis.


C’est à Raoudha Laâbidi, mais également à Raoudha Karafi, Ahmed Rahmouni, Kalthoum Kennou et tout autre juge intègre attentif pour sa corporation et soucieux pour son pays, d’agir pour qu’il n’y ait plus jamais de suspicion de corruption dans le système judiciaire tunisien. Seuls les juges peuvent sauver la justice. En se taisant lors des gros scandales qui frappent leur corporation, ils ne font qu’alimenter les suspicions de corruption, que cette corruption soit matérielle, intellectuelle ou autre.

24/08/2015 | 15:59
7 min
sur le fil
Tous les Articles
Suivez-nous

Commentaires (46)

Commenter

givago
| 15-09-2016 20:04
Le jour où une instition comme médiapart voit le jour en tunisie peut ètre que les choses bougeront.

Lupin
| 30-08-2015 18:10
Pour la petite histoire, le mouvement de destitution des magistrats opéré à l'instigation de leus pairs "militants honnêtes et au dessus de tout soupçon" qui a suivi les évenements du 14 janvier 2011 à coups de dégage se sont retrouvés une année plus tard sur la liste des juges licenciés par Noureddine Bhiri. Un de ces magistrats, ancien du BE de l'AMT aurait été peis en flagrant délit de détention d'un compte courant sur lequel il orientait les citoyens poursuivis pour des chèques sans provision à y verser des amendes dus à l'ETat. Ce magistrat ne sera pas inquiété, il exerce aujourd'hui sa profession d'avocat, alors qu'un juge s'est retrouvé démis pour seul motif avoir pris une bière sur la base d'une vulgaire dénonciation


fafoutounsi
| 26-08-2015 13:41
Oscar Wild disait " la justice c est comme une toile d arreigner, elle attrape les mouches et les moustiques et laisse passer les gueppes et les frolons "
C est un constat decevant mais c est la verite que ts citoyen doit l asdumer, le pouvoir de l argent sur des fpnctionnaire mal lotis et pas trop bien considerer, notre pays a bcp d annee a vivre sur ce systeme avant de retrouver une justice digne de ce nom. C est le lots des pays en voie de devellopement meme s il sont democratique! !!!!

pit
| 26-08-2015 11:55
et si l'on demandait à la rédaction du "Canard enchaîné" d'ouvrir une filiale en Tunisie???

MoMa
| 26-08-2015 09:10
En tant que lecteur avertit, je voudrais transmettre mes remarques et mes constats concernant votre article dans le but de corriger certaines erreurs ou omissions volontaires ou involontaires :
1- L'acceptation de la société Syphax qui selon vos dire est non conforme à la réglementation en vigueur : je vous précise que l'article 42 relatif à l'admission des titres de capital au marché alternatif (et non le marché de la cote dont vous faites référence) du règlement général de la bourse stipule que : «
a. les conditions de bénéfices et de capital minimum ne sont pas exigées pour la société qui demande l'admission au marché alternatif,
b. l'admission au marché alternatif peut être demandée par une société en cours de constitution par appel public à l'épargne, et ce, après visa du prospectus d'émission par le Conseil du Marché Financier. Dans ce cas, l'admission est prononcée par le Conseil du Marché Financier après examen de la demande ; »
Etant précisé que la décision d'admission de la société en question relève de la bourse des valeurs mobilières de Tunis et non du CMF (voir article 68 de la loi 94-117). Le CMF ne fait que visé le prospectus. Ce visa n'implique aucune appréciation sur l'opération proposé (voir les cachets des visas de prospectus du CMF). Il est attribué après examen de la pertinence et la cohérence de l'information donnée dans la perspective de l'opération proposée aux investisseurs.
D'autant plus que le visa du CMF indique clairement que le marché alternatif est essentiellement destiné aux investisseurs ayant un horizon de placement moyen et long terme. Dans un langage simple aux investisseurs avertis (voir le visa du prospectus)
Concernant la non publication des états trimestriels de la société le CMF a procédé aux publications sauf pour le 4ème trimestre 2014 et le 1er trimestre et le 2ème tr 2015. En effet, depuis la suspension de la valeur en date du 18 novembre 2014 date de lancement d'une enquête (qui coïncide avec la campagne électorale à l'élection présidentielle du PDG de la société), prouvant ainsi la célérité du CMF dans le traitement du dossier.

2- Concernant l'OPR : Le CMF, de part la loi 94-117, est chargé de la protection de l'épargne investi en valeurs mobilières. La responsabilité des dirigeants relève de la justice. Ainsi l'OPR permet aux investisseurs une issue équitable. En outre, le cours moyen des soixante dernières cotations avant la suspension de la valeur est de 4,334 DT. Le prix d'émission de 10 dt, fixé dès le départ par la société en se basant sur un business plan prévoyant un déficit durant les deux premières années (voir le prospectus de Syphax Airlines page 152 ), a été dilué par les différentes cotations sur la valeur en question depuis son introduction. A mon avis le choix du CMF de 3d,900 porte sur le dernier cours de cotation avant la suspension de la valeur.
Mr Bahloul, vos analyses et vos qualifications des faits peuvent porter préjudice aux épargnants et aux institutions, alors qu'il est souhaitable de consulter préalablement la réglementation en vigueur

H.Dellagi
| 25-08-2015 18:45
Il y aurait lieu de pallier, au plus vite, aux dysfonctionnements de la justice en agissant notamment :
-Par voie législative, mettant le juge dans certains cas de compétence liée faisant qu'il ne peut, selon les cas, se refuser à auditionner un témoin ou à procéder à une confrontation, à une saisie ou à une expertise de nature à contribuer à la manifestation de la vérité,
-Par voie administrative en renforçant encore d'avantage les pouvoirs de l'inspection générale du ministère de la justice et de la doter de tous les moyens à même de lui permettre de mener à bien sa mission, le citoyen ne pouvant être livré à lui-même face à une corporation se croyant libre de tous ses jugements même ceux consacrant, de manière manifeste, l'iniquité et la mauvaise application de la loi.
-L'annulation du principe de la promotion automatique, faisant que tout le monde était, après le 14/01/2011, promu quel que soit son niveau intellectuel et ses capacités de magistrat capable de juger entre les citoyens, alors que la cassation, juridiction suprême, n'était, jadis, de l'apanage que des seuls magistrats sérieux , capables moralement et intellectuellement.
-L'application rigoureuse du principe de neutralité des magistrats faisant qu'ils soient cantonnés dans leur mission initiale, à savoir dire le droit dans les dossiers dont ils sont en charge.
Sans cette neutralité, sans l'intensification de ces inspections et sans surtout la promotion des capacités intellectuelles des magistrats, ce secteur ne saurait être sauvé, surtout après les quatre dernières années de misère intellectuelle et morale dans lesquels il a été, sciemment, plongé.

saladin
| 25-08-2015 15:57
Bravo,mr le chroniqueur,cette une tres belle lecon de morale que vous donnez pour un corps,qui doit incarner la justice,nous vous encourageant a mettr anu ces agissements qji font deshonneur au pays,tout un chacun recevra ce qu'il recolte de ses agissements et n'a pas l'honneur d'etre un tunisien !qu'aillent au diable et l'Etat doit agir au plus vite avant qu'il ne soit trop tard.

Azzedine
| 25-08-2015 14:32
@Ben
Les magistrats tunisiens creusent leurs tombes de leurs propres mains. Ils se dénigrent les uns les autres, participent à l'élaboration de listes pour se démettre les uns les autres, jouent des coudes pour se positionner dans la hiérarchie du corps de la magistrature et usent de calculs pour se hisser aux postes des uns les autres.
Le mal de la justice a, de tout temps, résidé dans le fait que l'État n'a jamais 'uvré, réellement, à l'élaboration d'une véritable charte consacrant le principe de neutralité des juges, notion plus large que l'indépendance , seule à même de permettre de cantonner le juge dans sa mission première , c.à.d. celle dire le droit et de trancher les litiges entre justiciables, loin des querelles médiatiques et politiques.
À force de vouloir s'arroger tous les pouvoirs, le bureau exécutif de l'AMT conduit le corps de la magistrature, tout droit, vers l'affrontement avec un pouvoir politique qui finira par prendre le dessus sur les velléités hégémoniques d'un groupuscule de magistrats qui ne représentent nullement la profession.

E.CHOURABI
| 25-08-2015 14:18
La lutte contre l'iniquité, notamment celle de l'appareil judiciaire, censé donner justice à tout un chacun, devrait constituer une priorité tant pour les pouvoirs publics que pour la société civile et les journalistes appelés, plus que jamais, à se saisir de tous les dossiers faisant l'objet de traitement abusif de la part de certains magistrats dans l'exercice de leurs fonctions.
Cette priorité est dictée par la recrudescence des abus dans le traitement des dossiers en phase d'instruction, en matière pénale, traitement caractérisé par une omnipotence, sans précédent, des juges instructeurs et chambres d'accusation peu enclins à procéder à tous les actes nécessaires à la manifestation de la vérité avec pour finalité d'occulter les vérités et diriger l'instruction vers un sens ou vers l'autre selon le bon vouloir des autorités d'instruction dont la chambre d'accusation.
Il est des dossiers, tristement célèbres, parmi les gens de justice, qui devraient, au vue du faux et usage de faux, caractérisé, dont ils sont entachés, conduire à la récusation des magistrats qui y sont concernés et de les déférer devant le conseil de discipline.
Sauf que le ministre de la justice actuel semble peu armé à s'acquitter des taches hardies qui lui sont dévolues.



Educatrice
| 25-08-2015 14:14
Excellent article.On devrait l'envoyer aux différentes instances qui regroupent les juges et les avocats ainsi qu'aux trois présidents