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Le salafisme poursuit sa «mission divine» dans l'ombre d'Ennahdha
03/01/2012 | 1
min
Le salafisme poursuit sa «mission divine» dans l'ombre d'Ennahdha
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Dans une petite pièce appartenant à une mosquée de la capitale, Seif Allah Ibn Hussein, leader de la mouvance salafiste jihadiste en Tunisie, accorde une interview au journaliste Hédi Yahmed pour le magazine «Haqaéq», dans son édition du vendredi 30 décembre.

Une personnalité emblématique du mouvement jihadiste tunisien forgée par des années d’emprisonnement et de persécution, dans les prisons tunisiennes et qui va même jusqu’à affirmer que «le mouvement salafiste jihadiste en Tunisie, contrairement aux autres pays, n’a pas fait l’objet de révisions et qu’il est donc resté intact». Cette rencontre fait la lumière sur les déclarations étonnantes et, pour le moins, troublantes de ce leader salafiste.


Vainqueur des élections du 23 octobre, le parti Ennahdha a vu tous les projecteurs braqués sur lui depuis des mois. Pourtant, un nouveau mouvement, surgi dans le sillon de la révolution, semble faire de plus en plus parler de lui. Le salafisme, mouvance très controversée - suscitant à la fois fantasmes et terreur - se détache du paysage et semble provenir d’une autre époque.

Malgré un marquage de territoire - nettement perceptible à travers leurs tuniques afghanes, leurs appels au jihad et leurs pratiques plutôt radicales - les salafistes restent souvent confondus avec les islamistes d’Ennahdha. Même si le parti au pouvoir peine à clarifier sa position par rapport au salafisme, cette mouvance assez obscure et méconnue de la majorité, repose sur des fondements assez sectaires et continue d’évoluer en marge du mouvement islamiste.

Le courant salafiste serait né en Orient, plus précisément en Arabie Saoudite, inspiré du « salaf al salah », à savoir, le mode de vie des ancêtres pieux, comme l’était le Prophète Mohamed ainsi que les trois premières générations de l’Islam. Ces générations, ayant été en contact direct avec un « Islam pur et non entâché par les interprétations postérieures », sont vénérées pour leur comportement exemplaire et leur foi inébranlable et constituent donc un exemple à suivre. Cette mouvance évolue dans une sorte de comportement sectaire qui suit à la lettre le Coran et la Sunna en revendiquant leur supériorité par rapport aux autres mouvements islamistes.
Mais loin des portraits obscurcis par la propagande, que nombreux se figurent - à tort à ou raison - il est important de savoir aujourd’hui, que ces salafistes comprennent une aile radicale et une autre plus pacifiste, ce qu’on appelle les salafistes jihadistes et les salafistes quiétistes. Si ces derniers privilégient les prêches, sans appeler à la révolte, la première branche, plus réactionnaire, s’inspire d’autres mouvements intégristes comme Al Qaïda.
Les deux factions existent en Tunisie.

Le salafisme ne serait pas un nouveau-né en Tunisie, mais a connu une renaissance grâce à la révolution. Selon certains chercheurs - tels que Alaya Allani dans son ouvrage « La mouvance salafiste en Tunisie, les comportements et les catégories sociales » - le salafisme tunisien serait né, dans les années 80, d’une scission au sein de la « Jamaâ Islamya », noyau fondateur d’Ennahdha,.
Cette mouvance n’a cependant pas encore atteint la majorité nécessaire pour être considérée comme un véritable mouvement politique. Une mouvance plutôt « jeune » comparée à d’autres mouvements auxquels elle se compare, comme les frères musulmans d’Egypte, affichant près de 80 ans d’activité, ou encore le parti au pouvoir, vieux de plus d’une trentaine d’années.
La majorité de ses membres a été formée dans les prisons, sur internet – plateforme du recrutement salafiste – et devant les chaînes satellitaires. Beaucoup de ses adeptes ont également suivi les prêches du prédicateur salafiste et ancien mufti d’Arabie Saoudite, Ibn Baz.
De l’intérieur des geôles qui se sont vues remplir des nombreux adeptes du jihadisme, suite à la loi anti-terrorisme de 2003, Seïf Allah Ibn Hussein, avait un rôle de guide spirituel pour les prisonniers qui n’avaient pas connu son expérience du monde et sa vision internationale du jihad.
« Selon des méthodes spéciales, que nous avons développées de l’intérieur de nos cellules, j’ai réussi à enseigner et à former les nombreux « frères » qui n’ont pas quitté le pays et qui n’avaient pas connaissance des nombreuses informations et données sur le mouvement salafiste jihadiste […] J’avais la responsabilité de les éclairer sur de nombreuses considérations intellectuelles et religieuses ».

En effet, en 2001, ce dernier a fait partie des dizaines de jihadistes arabes qui ont quitté la ville afghane de « Jalalabad », après le retrait des forces des Talibans, en direction des frontières pakistanaises. Pour se faire arrêter, par la suite, en Turquie et livrer aux autorités tunisiennes. En mars 2003, il fut condamné à plus d’une quarantaine d’années de prison et gracié en mars 2011, suite à la loi d’amnistie générale. Une loi qui a permis de libérer plusieurs membres du réseau et de le reconstituer.
Les salafistes jihadistes revendiquent aujourd’hui leur droit de travailler et de propager « al daâwa » mais affirment qu’ils « ne pourront pas longtemps contenir leur colère si quelqu’un venait à porter atteinte au sacré ».
« Même si le gouvernement de Hamadi Jebali nous laissera travailler et nous donnera nos droits, l’ambassade américaine ne le permettra pas car ce sont eux qui gouvernent le pays et tirent les ficelles au sein du parti au pouvoir ». Une déclaration troublante qu’il appuie en affirmant que les leaders du mouvement islamiste multiplient les visites à l’ambassade américaine.
Des salafistes qui, quelles que soient leurs appartenances, tissent leurs réseaux dans l’ombre du parti islamiste Ennahdha, jugé par nombre d’entre eux comme un « mouvement trop laxiste » et qui « ne fait pas honneur à l’Islam ». Le salafisme ferait l’objet, selon les déclarations de son leader, de nombreuses tentatives de scission par de nombreux saoudiens et ressortissants des pays du Golfe qui, à force de pétrodollars, essaient de revoir et d’influencer le mouvement salafiste, aujourd’hui encore : « Des acteurs connus, qui tissent leurs toiles aujourd’hui dans le pays, avec la complaisance du parti au pouvoir ».

Le leader du mouvement accuse Ennahdha de « ne pas se plier au jeu démocratique et de ne pas maîtriser la loi de la majorité » et va même jusqu’à affirmer qu’ « elle risque d’essuyer un échec cuisant », si elle continue sur la même voie. Il fustige également la « position irrespectueuse du mouvement Ennahdha vis-à-vis de l’Islam […] qui va jusqu’à accorder au Code du statut personnel plus de sacralité que le Livre Saint ».
« Si Ennahdha semble trouver des terrains d’entente avec d’autres mouvements laïcs et progressistes, pourquoi ne ferait-elle pas de même pas avec les salafistes ? ». Une interrogation que se pose Seïf Allah Ibn Hussein et qui explique à elle seule l’ampleur de la faille qui sépare les deux « mouvements ».
Lors du congrès des salafistes, rappelons-le, en mai 2011, les leaders de cette mouvance ont rencontré quelques-uns des responsables d’Ennahdha, dont Sadok Chourou, et certains bruits courent sur un éventuel rapprochement.
Avec son interprétation radicale de l’Islam, sans prôner explicitement l’usage de la violence, les salafistes tunisiens font preuve de plus en plus d’audace dans leurs pratiques et expriment une réelle volonté de changer le pays. Après des années de chape de plomb, il est difficile aujourd’hui de prévoir comment va évoluer cette mouvance, longtemps enfouie et persécutée. Une mouvance encore méconnue, mais qui pourrait fortement compromettre le passage de l’autoritarisme à la démocratie.

Si cette mouvance serait actuellement en « trêve », selon les déclarations de son leader, ceci ne l’empêche pas de commettre certains actes de violence, tels que l’attestent les dernières affaires de Nessma Tv, du cinéma Africart, et plus récemment, de la faculté des Lettres de La Manouba, une action qui aurait été détournée à des fins politiques « pour servir une minorité au sein de l’Assemblée Nationale Constituante », selon les dires de Seïf Allah Ibn Hussein.
Même si les cas de violences restent rares, les relations ambigües que les jihadistes entretiennent avec Al Qaïda, ne sont un secret pour personne. Ils se déclarent même « prêts à collaborer avec tous les « frères » qui partagent nos valeurs ». Une mouvance qui révère Yosri Trigui, capturé en Irak en 2006 et exécuté le mois dernier pour « actes de terrorisme » et le glorifie comme un martyr.
Une mouvance que beaucoup confondent avec « Hizb Attahrir », avec lequel elle partage la base mais diverge sur de nombreux points, notamment la notion de jihad.
Le salafisme, plus doctrinal et puriste dans son interprétation du Coran, se déclare ouvertement antidémocrate et refuse de s’engager dans la politique. Son leader n’hésite pas à déclarer non sans arrogance : « nous avions la capacité d’entraver le cours des dernières élections et de plonger le pays dans le chaos, mais nous avons préféré ne pas porter préjudice au peuple ».

Le salafisme représente un défi pour la démocratie naissante et même si le parti au pouvoir semble hésiter sur la position à adopter vis-à-vis de cette mouvance, le nouveau gouvernement aura, entre autres, la charge de définir une position claire par rapport au salafisme.
03/01/2012 | 1
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