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Tribunes
Mehdi Jomâa peut-il lutter efficacement contre le terrorisme ?
24/07/2014 | 15:39
4 min
Mehdi Jomâa peut-il lutter efficacement contre le terrorisme ?

Par Wicem SOUISSI *


A l'énième assaut de l’ennemi terroriste, la trompette du réveil sonna enfin. Mais qu’en est-il des forces mobilisées contre le terrorisme ? Il aura fallu Henchir Tella, près la frontière avec l'Algérie, et son cortège macabre, quinze morts parmi les militaires tunisiens, pour que le gouvernement daigne agir contre le terrorisme. Mais nul ne sait si son action sera couronnée de succès. Assurera-t-il la tenue d’élections libres, dans les délais impartis et sans encombres sécuritaires ? Seule certitude, la mise en œuvre de la répression du terrorisme islamiste met en relief les fragilités d’un Etat faible, une faiblesse alimentée de surcroît par une guerre intestine entre ses institutions.

La polémique médiatique entre le gouvernement et l’Instance de régulation du champ audiovisuel (HAICA) en est un signe accablant des plus récents. Le gouvernement de Mehdi Jomâa ferme-t-il une radio et une télévision de propagande religieuse extrémiste ? A l’exception de l’excès de zèle de la presse gouvernementale à le défendre, la profession en prend le contrepied. Réitéré jusque par l’Agence France Presse et l’association française Reporters sans frontières, le reproche de n’avoir pas consulté la HAICA avant de réprimer fait florès dans les médias tunisiens. Et le gouvernement ne convainc pas ces derniers que sa lutte contre le terrorisme respecte les libertés. Un échec qui traduit, une fois de plus, une faiblesse structurelle déjà observée dans la communication gouvernementale. Par le passé, déjà, les prestations télévisées du locataire de La Kasbah en matière d’antiterrorisme se sont révélées mièvres.

Au cœur de l’Etat aussi, les propres ambiguïtés de Mehdi Jomâa sont également un frein à son efficacité. Faire mine de découvrir soudain, sous la pression des terroristes, que la meilleure défense, c’est l’attaque, ampute son offensive du recul nécessaire à un rendement positif. Juguler le détournement des lieux de culte et des associations par des extrémistes religieux naguère choyés est ainsi une entreprise vouée à un succès assez partiel. Et, surtout, d'une pérennité mal assurée. Comme pour les lieux de revente de stupéfiants, leur répression se traduit par leur simple déplacement dans un autre lieu, plus marginal mais tout aussi opérationnel, et dans un underground plus difficile à surveiller.
Est-ce à dire que le terrorisme part gagnant ? En réalité, l'efficacité du combat antiterroriste suppose une réorientation significative de l'action menée jusqu'ici.

Certes taraudée négativement en son sein, la politique sécuritaire déployée n’est pas, à vrai dire, réduite à l’impuissance. En témoigne d'ores et déjà, au plan militaire, le renforcement de la coopération sur le terrain avec l’armée algérienne. Les appels du pied lancés auparavant sur le petit écran par l’ancien premier ministre Béji Caïd Essebsi en faveur d’une collaboration réciproque aux frontières communes des deux pays auront ainsi été entendus. La Tunisie va ajouter sa pierre à un édifice collectif tuniso-algérien, seul de nature à endiguer des dangers terroristes aux dimensions internationales.

Mais, à moins de reproduire la réussite surréaliste de Ben Ali contre les fanatiques, cela demeure insuffisant, faute de prendre le mal à la racine : à maux profonds, remèdes de choc, certes, mais aussi traitement à long terme. Assurément, nul n'ignore cependant qu'il s'agit d'un pouvoir à la durée de vie en principe limitée par les échéances électorales de fin d'année. Toutefois, lutter contre le fanatisme, répandu et armé, requiert d'inscrire dès à présent le combat sur le long cours.

Faire taire les sirènes du recrutement terroriste, qui puise au sein de la misère, notamment intellectuelle, exige une action éducative et sociale d'envergure. Mais cela ne peut reposer que sur une vision économique et financière claire des capacités de l'Etat. Une planification pertinente à moyen et long termes à ces égards nécessite donc de lever les obstacles dressés contre tout audit de la gestion des finances publiques par ses prédécesseurs, proches et lointains.
Elargir la marge de manoeuvre antiterroriste du chef du gouvernement appelle également la clarification de son champ de compétences en la matière. Aux commandes du palais de Carthage et de l'Assemblée pourtant feue constituante, les trois autres chefs, du CPR, de Ettakatol et de Ennahdha seraient ainsi invités à se tenir à l'écart des prérogatives du chef du gouvernement. A condition, évidemment, que Moncef Marzouki, Mustapha Ben Jaâfar et Rached Ghannouchi, plutôt que de se servir de la lutte contre le terrorisme comme d'un moyen de campagne électorale, au demeurant prématurée, apportent leur appui sans réserves à la politique du gouvernement.

A l'évidence, la satisfaction de ces deux conditions -planifier dès aujourd'hui sur des bases solides et dépolluer les domaines du ressort exclusif de La Kasbah- relève d'une révolution en soi. Mais face au terrorisme, continuer de pâtir de la lourdeur de la charge héritée de ses devanciers au gouvernement et dont il ne s'est pas délesté n'est par pour garantir à Mehdi Jomâa les fruits d'une politique efficace.
Mais l'enjeu principal n'est pas tant son succès ou son échec personnels. D'ailleurs, au-delà de mouvements d'opposition encore tiraillés par leurs divisions, c'est, en dépit de la torpeur estivale et ramadanesque, aux Tunisiennes et aux Tunisiens inquiets de faire davantage pression. Il s'agit tout de même, et avant tout, de leur prospérité et de leur sécurité !


* Journaliste
24/07/2014 | 15:39
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